En 1980, Nicole et Félix Le Garrec réalisent Plogoff, des pierres contre des fusils, sur la mobilisation contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff. Ce film emblématique des luttes bretonnes vient d’être restauré. Sélectionné à Cannes Classics, il sortira dans les salles en 2020, à l’occasion du quarantième anniversaire de l’événement. Échange avec les réalisateurs et les principaux acteurs ayant œuvré à remettre ce film en lumière : Pascale Le Garrec, leur fille, Moïra Chappedelaine-Vautier, productrice à Ciaofilm, et Anthony Trihan, de Next Film Distribution.
En 2017, Pascale Le Garrec assiste à une projection de Plogoff, des pierres contre des fusils au Festival de cinéma de Douarnenez. Le public est enthousiaste mais la copie, en très mauvais état, ne rend pas hommage au film. Qu’allait-il rester de Plogoff d’ici quelques années ? Pascale contacte alors Moïra Chappedelaine-Vautier, à l’origine de la restauration d’Avoir vingt ans dans les Aurès réalisé par son père René Vautier. Moïra avait pour le film bénéficié de la première commission du CNC d’aide à la numérisation des films de patrimoine. Elle encourage Pascale à se lancer dans la démarche de restauration de Plogoff. Entre les deux femmes, la confiance et l’écoute s’instaurent naturellement. Près de deux ans d’investissement enthousiasmant leur auront été nécessaires pour arriver au bout du processus.
Première étape : trouver les négatifs et les identifier. Pascale se rapproche de LTC Patrimoine, société ayant repris la gestion des négatifs de nombreuses oeuvres cinématographiques françaises. Les négatifs de Plogoff, en 16 mm, y sont entreposés. « Quand les éléments ont été identifiés et que nous étions sûres de pouvoir déposer un dossier de demande d’aide à la restauration et à la numérisation au CNC, détaille la productrice, j’ai proposé à Nicole, Félix et Pascale que Ciaofilm porte la responsabilité administrative de la restauration. Avec leur accord, nous avons donc déposé et obtenu une aide du CNC de 70.000 euros et un soutien de la Région Bretagne et de la Cinémathèque de Bretagne à hauteur de 20.000 euros. »
Une fois les négatifs rachetés à LTC, Pascale se rapproche du laboratoire Hiventy à Joinsville, auquel sera confiée la restauration. Plongés dans des bains pour enlever une partie des rayures, les négatifs sont ensuite scannés image par image en 4K afin de pouvoir traiter les petites détériorations. Un transfert en 2K est fait pour les salles et enfin, le film est sauvegardé en copie 35 mm. Cette ultime étape permet une conservation sur le long terme. Pour sauvegarder un film, le numérique n’est pas une solution… C’est toujours la pellicule ! Moïra travaille actuellement à la restauration de films produits par Unité de Production Cinéma Bretagne dans les années 1970 : « Je trouve ce travail de restauration absolument fascinant. Personnellement, cela a nourri un questionnement très important sur la notion de conservation. Ces films, s’ils avaient été tournés dans les années 2000, en numérique, auraient disparu… En tant que productrice, je me pose souvent cette question : quels sont les films qui resteront accessibles au public dans cinquante ans ? »
En principe, la restauration image est suivie par un directeur de la photographie mais sur Plogoff, c’est Pascale qui s’y attèle : « Je me sentais apte à le faire, ayant été monteuse pendant 10 ans, et mon père ne voulait pas faire les déplacements. » La réalisatrice Séverine Vermersch l’épaule pour suivre l’étalonnage. Jakez Bernard, qui avait fait le son du film, suit la restauration audio. Au final, note Pascale, « l’idée n’est pas de créer un nouveau film mais bien de retrouver le film d’origine. »
Pour porter la nouvelle sortie du film, Nicole puis Pascale contactent Next Film, jeune société de distribution ayant un pied à Paris et l’autre en Bretagne, à Douarnenez. Pour Anthony Trihan de Next Film, « accompagner Plogoff, ce film emblématique d’un cinéma documentaire engagé, fortement lié à l’histoire de la Bretagne, du Finistère, c’était pour nous une évidence. » Le distributeur prévoit un travail spécifique en Bretagne, l’histoire racontée par Plogoff ayant beaucoup marqué le territoire. Le film sera distribué en France au cours du premier trimestre 2020, dans sa version d’origine.
La sélection de Plogoff à Cannes Classics est une belle surprise qui pose le premier jalon de la sortie restaurée du film. Un objectif porté, dès le départ, par le distributeur Anthony Trihan : « J’ai pris contact avec Gérald Duchaussoy, qui programme Cannes Classics avec Thierry Frémaux. Je lui ai parlé du film, des enjeux qu’il porte, de la place qu’il occupe dans le cinéma documentaire. Nous avons inscrit le film et avons fait parvenir une copie de travail du film en cours de restauration. Les programmateurs ont été séduits par sa contemporanéité… Et on nous a communiqué sa sélection ! »
La restauration et la sélection à Cannes vont permettre de continuer à faire exister le film. « Ces films de lutte ont été utilisés comme des tracts au moment de leur réalisation. Ils sont maintenant une matière d’archives fantastiques, un témoignage vivant qui doit rester accessible », explique Moïra Chappedelaine-Vautier.
Quand Nicole et Félix se lancent dans Plogoff en 1980, la Bretagne n’est pas épargnée par les dérives et drames environnementaux au nom du progrès : Amoco Cadiz, remembrement, nucléaire… « On a fait un film avec une conviction forte. Si on ne s’engageait pas à fond, en prenant des risques vraiment très grands, il n’y avait pas de film. Nous n’avions pas un centime mais il n’était pas question qu’on ait une subvention. À ce moment-là, tout le monde était à droite et ils étaient tous pour la centrale », se souvient Nicole Le Garrec.
Matériel d’occasion, salle de montage et studio d’enregistrement à domicile : une véritable autonomie de production et de post-production se met en place. Jakez Bernard rejoint Nicole et Félix pour les prises de son. Sur place, Nicole comprend qu’il y avait un vrai sujet autour des gens de Plogoff : « Voir une population de gens qui avaient obéi toute leur vie devenir tout à coup militants et prendre des risques, c’était drôlement intéressant. » La petite équipe vit les six semaines d’enquête publique sur place, est hébergée et nourrie chez l’habitant. « Le film donne la parole à des gens qui ne l’ont pas habituellement, rappelle Pascale. Remettre les choses en question, se battre pour ce qu’on vit, c’est un message important. »
Le film sort initialement à l’automne 1980. Nicole et Félix, souvent avec des femmes de Plogoff, l’accompagnent à de nombreuses reprises. « S’il n’y avait pas eu cet enthousiasme du public, le film n’existerait pas, estime Nicole. On est passés devant des publics très différents : des gens en difficulté, des Rmistes… On est allés dans des prisons, de petites communes… Des écoles fermaient, des hôpitaux. Pour eux, Plogoff symbolisait la résistance. C’est ça qui fait écho aujourd’hui. La révolte ne meurt pas comme ça. Elle renaît de ses cendres. Du coup, le film garde une certaine jeunesse. »
Dans le film, des habitants de Plogoff parlent breton. Comme le dit Félix d’un air malicieux lors de l’entretien, « Dalc’h peg ! » (« Accroche-toi, tiens bon ! »). Une certaine idée de la résistance…
La bande-annonce du film restauré est à voir ici.
Marion Geerebaert