Quelle place et quel statut pour les auteur.trices de l'audiovisuel ?


C’est au cœur du festival Travelling, organisé par Clair Obscur, que l’Association des Auteurs Réalisateurs en Bretagne (ARBRE) et Films en Bretagne se sont associés pour proposer une journée de discussion et de réflexion sur la place et le statut des auteurs dans le paysage audiovisuel français. Samedi 15 février, à la Maison des Associations de Rennes, une cinquantaine d’auteur·trices, scénaristes et /ou réalisateur·trices sont donc venu·es cuisiner ce métier à géométrie variable et aux contours vaporeux. Au menu : un partage d’expériences sur le thème de la place de l’auteur avec des professionnel·les du scénario, puis un focus sur le statut de l’auteur·trice, en compagnie d’intervenant·es issu·es de la SCAM, de la SACD et de la SCA.

Premier constat, mis en exergue par Bénédicte Pagnot, réalisatrice et adhérente de l’Arbre : « Le mot auteur est utilisé à tout-va, on ne sait parfois plus vraiment de quoi on parle puisqu’on peut être l’auteur d’un film d’auteur dont on n’est pas l’auteur ! Des incompréhensions voire des ressentiments peuvent naître entre nous à cause du flou du mot. » Et cette première distinction, fondamentale, pour se comprendre pendant cette journée  : « On utilisera auteur pour parler de celui qui perçoit des droits d’auteur. Et scénariste pour celui qui écrit des films. »

Pour Audrey Sanchez, autrice notamment de documentaires, il n’y a pas vraiment de méthode pour exercer ce métier protéiforme : « La clé, c’est d’écouter et de comprendre le désir du·de la réalisateur·trice. Souvent, celui-ci porte son projet depuis longtemps, et on arrive sur le film en cours de route. » Celle qui a connu sa première expérience de cinéma en tant que comédienne à l’âge de 11 ans, avant de travailler dans la distribution de films de cinéma puis la production de films documentaires pendant plusieurs années, ne cache pas qu’elle a « toujours voulu travailler dans la création. Il faut identifier un espace de complémentarité dans la collaboration avec un·e réalisateur·trice pour arriver à écrire le film qu’il a en tête. »

S’adapter, donc, aux exigences des réalisateur·trices, mais aussi aux diffuseurs, pièces maîtresses de la vie d’un film. Pour Matthieu Chevallier, scénariste et directeur d’écriture, surtout dans l’animation (Dimitri, Zip-Zip…) : « connaître les attentes des chaînes est crucial. Elles sont différentes selon que l’on travaille pour France Télévisions, Canal Plus ou les plate-formes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime ». Le travail d’écriture de la bible littéraire, véritable moelle épinière d’une série, ou du premier épisode donnent le ton. « Parfois, il faut être capable de faire des concessions. Les contraintes liées au diffuseur peuvent paraître rigides, mais sont parfois porteuses, voire rigolotes. Si on ne les supporte pas, il vaut mieux s’écarter de la série. »

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Bénédicte Pagnot, Matthieu Chevallier, Audrey Sanchez et Yacine Badday © Damien Le Délézir

 

« L’histoire reste le ciment d’un projet »

« La série est un format qui prend de plus en plus d’ampleur aujourd’hui. Dans cette écriture, le récit est primordial. La narration s’auto-alimente, c’est un moteur qui ne s’arrête jamais ! », raconte Yacine Badday, scénariste de fiction, qui a notamment obtenu la bourse Lagardère Scénariste TV pour son projet de série Le Miracle, créé avec Jean-Baptiste Sépari-Prévost, et développe actuellement un projet de mini-série historique. « En ce moment, je regarde The Deuce, la série de David Simon. Il y a une rigueur dans le rythme, l’écriture, qui est formidable. Les personnages sont très nombreux, les lignes narratives sont extrêmement denses et la série s’autorise des ellipses importantes, que ce soit entre les scènes ou entre les saisons ! »

Ce qui n’empêche pas celui qui a fait ses gammes en cinéma à l’université Paris 8 de travailler sur des scénarios de long-métrage, notamment avec Chloé MazloSous le ciel d’Alice. « Au cinéma, quand on coécrit un film avec le réalisateur ou la réalisatrice, on s’inscrit à la fois dans un terrain thématique et dans un registre de mise en scène. Durant l’écriture, on navigue donc entre les intentions, le propos et des intuitions de réalisations, parfois très fortes. Ces éléments servent à conditionner le récit qu’on va raconter, à nourrir les personnages, à bâtir la structure. Mais au-delà de l’histoire, le scénario doit permettre d’entrevoir le film à venir ».

Et Audrey Sanchez de reprendre la parole : « Que ce soit en série, en documentaire ou en long, je pense quand même que l’histoire reste le ciment d’un projet. »

Auteur·trices-producteur·trices : une relation essentielle

Pierre angulaire du financement des films, le scénario n’en reste pas moins le parent pauvre de la création audiovisuelle, et la discussion s’oriente souvent sur le nerf de la guerre : les budgets. Souvent très faibles, notamment en documentaire. « Il est très compliqué de se faire payer, poursuit Audrey Sanchez. Il faut se lancer dans des tractations avec le producteur ou la productrice, souvent conditionnées aux décrochages d’aides. Les montants versés n’ont rien à voir avec ceux de la fiction. On demande encore aux auteurs de prendre un risque financier hallucinant. »

Matthieu Chevallier abonde : « Trop souvent, les scénaristes sont payé·es après validation du scénario par le diffuseur. Ce n’est pas normal : le producteur devrait partager les risques, une fois le scénario validé par ce dernier, le scénariste devrait être rémunéré. »

Toutes et tous s’accordent sur la nécessité, dans la mesure du possible, de travailler avec un agent, qui négocie les contrats et défend les intérêts des auteur·trices. Yacine Badday évoque aussi la relation des auteur·trices avec les producteur·trices. « Les aides à l’écriture et les résidences sont bien sûr essentielles pour soutenir les auteurs mais je pense que c’est précieux quand les producteurs s’engagent contractuellement tôt dans la vie d’un projet ».

« Il faut un capitaine dans le navire. »

Une question dans la salle : « Qu’est-ce qui détermine si vous dites oui ou non à un projet ? » La réponse des intervenant·es est unanime. « Il faut de la sincérité dans la démarche du réalisateur, répond Yacine Badday. Qu’il sache ce qui lui tient à cœur, ce sur quoi il ne veut pas transiger. » Audrey Sanchez est du même avis : « Il faut du mouvement dans la pensée du réalisateur, car c’est très difficile de travailler avec quelqu’un qui ne veut rien toucher, et ne fait aucune concession. Mais le contraire n’est pas enviable. Il faut un capitaine dans le navire. »

Sonia Larue, réalisatrice et autrice, termine la rencontre en livrant son expérience personnelle, d’une belle collaboration entre réalisatrice et scénariste. « Pour mon film Travailleuses, travailleuses ! j‘avais beaucoup de matière, et étant habituée à avoir un rapport très intuitif et épidermique à mes films, j’avais peur de travailler avec quelqu’un d’autre sur l’écriture. La rencontre avec Audrey [Sanchez] a été très porteuse. On s’est vraiment emparées toutes les deux du film. »

Journée Arbre 150220 © Damien Le Délézir
Kristell Menez et Céline Dréan, autrices et réalisatrices, Cyril Brody, Guillaume Thoulon et Guillaume Jobbe-Duval © Damien Le Délézir

 

Auteur-autrice : un statut en questions

La rencontre suivante fut l’occasion de décortiquer les problématiques juridiques autour du statut d’auteur. Retour sous forme de questions-réponses en compagnie de Cyril Brody, réalisateur et vice-président de Scénaristes de Cinéma Associés – SCA, de Guillaume Jobbe-Duval, membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques – SACD et de Guillaume Thoulon, représentant de la Société Civile des Auteurs Multimédia – SCAM.

Qui sont les co-auteurs d’une œuvre audiovisuelle ?

Sont considéré·es comme auteur·trices : le·la scénariste, le·la réalisateur·trice, le·la dialoguiste, l’adaptateur·trice, l’auteur·trice de bible littéraire, l’auteur·trice de bible graphique, l’auteur·trice graphique, l’auteur·trice d’une œuvre pré-existante dans le cas d’une adaptation.

Quel est le statut social des auteur·trices ?

Les auteur·trices ne sont pas des salarié·es, donc ils·elles ne touchent pas le chômage, et ne peuvent pas être affilié·es au régime de l’intermittence. Ils·elles sont rémunéré·es par le·la producteur·trice en contrepartie de la cession de leurs droits d’auteur et par les organismes de gestion collective (SCAM et SACD) qui collectent les droits d’auteurs auprès des diffuseurs. Un·e réalisateur·trice est à la fois auteur·trice et technicien·ne. Il·elle perçoit des droits d’auteur et des salaires.

Qu’est-ce que le droit d’auteur ?

Une oeuvre est une « création de forme originale qui porte l’empreinte de la personnalité du créateur ». Les droits de l’auteur correspondent à un droit de propriété sur l’œuvre. Seule cette personne peut autoriser ou interdire l’exploitation de son oeuvre par autrui. Ce droit confère la maîtrise économique de l’œuvre, qu’on appelle aussi le « droit patrimonial ». En cédant ses droits sur une oeuvre à un·e producteur·trice, l’auteur·trice lui en confie donc la maitrise économique : chercher des financements, trouver d’autres coproductions ou partenaires, puis exploiter l’oeuvre. En revanche, il·elle conserve son droit moral qui est une spécificité du droit français et qui est incessible et perpétuel. Celui-ci comporte deux prérogatives : le droit à la paternité – voir son nom associé à chaque exploitation de l’oeuvre – et le droit au respect de l’oeuvre – contre toute dénaturation.

Comment protéger ses œuvres ?

Lorsqu’on écrit, il faut ménager des preuves de paternité de l’œuvre. Un élément important est de pouvoir dater ses créations  : les échanges de mails notamment peuvent simplifier les éventuels conflits. Il est recommandé de déposer le plus rapidement possible ses œuvres à la SACD pour les fictions en prise de vue réelle et les films d’animation ou à la SCAM lorsqu’il s’agit de documentaires et de reportages. Le dépôt sur internet coûte moins cher que le dépôt physique. Il est surtout très important que l’œuvre soit déclarée après la première diffusion pour que la société puisse calculer les droits afférents aux exploitations qu’elle gère, sous peine de ne pouvoir toucher les droits. Pour qu’un œuvre soit protégeable par le droit d’auteur, elle doit être, entre autre, « originale », c’est à dire porter l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Comment choisir son·sa producteur·trice ?

Le choix du·de la producteur·trice est crucial. Il faut pouvoir établir une relation de confiance. On peut notamment se renseigner sur les producteur·trices via les réseaux sociaux avant de les approcher. Dans tous les cas, demander gratuitement les conseils et les avis de la SACD ou la SCAM avant de signer le contrat.

Qu’est-ce qu’un contrat d’option ?

Cela revient à réserver l’exclusivité d’un projet à un producteur pour un temps donné, mais le contrat d’option n’implique pas la cession des droits d’auteurs. C’est un engagement de l’auteur·trice à ne pas proposer son projet à un·e autre producteur·trice. La SCAM conseille de demander 1000€ en contre-partie de l’immobilisation du projet et de ne pas dépasser 6 mois (un an grand maximum) pour un film documentaire. Il est toujours possible de reconduire l’option une fois celle-ci arrivée à terme. Aujourd’hui, pour une fiction en prise de vue réelle, le·la producteur·trice est obligé·e d’avoir une option sur l’œuvre avant de traiter avec un diffuseur.

Quelle rémunération ?

Sur la question des tarifs, le flou reste entier. La SCAM conseille aux documentaristes de se baser sur l’étude qu’elle a publiée en juin 2018 et qui s’intitule « De quoi les documentaristes vivent-ils ? » et sur l’étude de l‘Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA). Une nouvelle étude, menée par la SCAM et l‘Association des cinéastes documentaristes (ADDOC), est en cours et sera normalement divulguée lors du Sunny Side of the Doc du 22 au 25 juin 2020. Les différences de rémunération restent très importantes, ainsi que les disparités entre hommes et femmes.

De manière générale, la SACD, la SCAM et le SCA conseillent de « ventiler » la rémunération : éviter les paiements soumis à des aléa (obtention des aides, validation par le producteur/diffuseur, versements au premier jour de tournage…), éclaircir ce terme flou de « mise en production » pour le versement de la dernière échéance.  Le SCA milite pour un minimum garanti plus élevé pour les scénaristes et une réelle indexation du montant des droits payés pour l’écriture sur le budget du film.

D’autres conseils utiles ?

Dans le cadre de la réalisation d’un documentaire, il est important de bien faire signer les autorisations d’image aux protagonistes ou aux personnages du film pour éviter d’avoir des mauvaises surprises : il est arrivé que certain·es participant·es demandent ensuite à devenir coauteur·trices ou coréalisateur·trices du film. Les Registres de la Cinématographie et de l’Audiovisuel (RCA) permettent de consulter les archives des films, et notamment le taux de rémunération des scénaristes.

Une charte des bonnes pratiques a été initiée en 2012 par la SCAM avec les principaux syndicats de producteurs. On peut s’appuyer sur cette charte lors de difficultés ou de litiges. Son point fort : un glossaire documentaire qui explicite les termes cruciaux (note d’intention, de réalisation, scénario…). En cas de souci, le site de l’Amapa propose de faire office d’intermédiaire pour régler les conflits entre auteur·trices et producteur·trices, sans passer par le tribunal. Moyennant 150€ (par partie). Le taux de résolution des conflits est très bon.

Damien Le Délézir


Références et liens utiles :

Scénaristes de cinéma : un autoportrait, ouvrage collectif des scénaristes de cinéma associés (SCA) aux éditions Anne Carrière.

Site de la SCAM

Site de la SACD

Site SCA

Site AMAPA

Charte des bonnes pratiques (SCAM)