Le Réseau Shelburn : produit à Plouha, programmé dans 80 villes


Un film d’époque produit, tourné, post-produit en Bretagne, et distribué depuis la région, annoncé sur les écrans de 80 villes dans le mois suivant sa sortie…
Cela vaut le coup de s’y intéresser, non ?

Tout d’abord, l’histoire racontée dans Le Réseau Shelburn : pendant la Seconde Guerre mondiale, plus de 10 000 avions alliés tombent sur le sol français. De 1943 à 1944, le Réseau Shelburn est mis en place par les alliés et la Résistance française pour évacuer les aviateurs vers l’Angleterre.
Dans les Côtes du Nord (ex Côtes d’Armor), à Plouha, Marie-Thérèse Le Calvez, résistante depuis les premiers jours de l’occupation, va mettre son courage au service de la liberté. Baignée entre incertitude et désespoir, quel prix devra-t-elle payer pour que l’opération soit une réussite ?

L’histoire est bien traitée, bien jouée, les effets spéciaux crédibles et l’on oublie vite que l’on a affaire à un film qui n’a pas été fait de manière conventionnelle.

Aux manettes du projet, un couple de Gommenec’h, commune des Côtes d’Armor de moins de 600 habitants. Lui est scénariste et réalisateur, elle est comédienne.

Alexandra Robert et Brice Ormain
Alexandra Robert et Brice Ormain © Vent d'Ouest Distribution

 

Produire et tourner aujourd’hui en France un film d’époque en costumes, même pour une société ayant pignon sur rue (et d’une rue située de préférence dans les beaux quartiers de la capitale), est très compliqué. Ceci s’est vérifié ces dernières années chez nous avec des films qui n’ont pas trouvé leur financement comme Le Jour G. ou ont failli ne pas se faire, comme Fleur de Tonnerre.
Une fois dans la boîte, trouver un distributeur qui ouvrira le chemin des salles n’est pas non plus une mince affaire. Les producteurs de longs métrages de la région s’accordent là-dessus, ayant dû pour certains assurer eux-mêmes le rôle de distributeur.

Pour faire exister ce film qui, pour Nicolas Guillou, s’apparentait au devoir de mémoire et permettait de mettre en scène le rôle des femmes dans la Résistance, les deux initiateurs ont choisi les chemins de traverse. D’abord, ils possèdent leur propre matériel de tournage et sont multi instrumentistes.
Elle, Alexandra Robert, fera le casting et jouera le rôle principal, mais sera également co-monteuse et distributrice. Lui écrit le scénario, réalise, assurant également montage et rencontres avec les spectateurs. Fort de trois autres expériences de longs métrages produits avec beaucoup plus d’énergie que de budget, ils fédèrent.
Ils passent sept années de leur vie à mettre en place des partenariats, c’est ainsi que l’on retrouve 23 logos sur l’affiche. En coproduction avec l’association Les Mémoires de l’histoire, basée à Plouha, ils obtiennent des soutiens institutionnels bien sûr, l’Éducation nationale, l’Office des Anciens Combattants, des médias.
Mais c’est avant tout la population locale qui fera que le film existe, au fil de ses quatre années de tournage. Aux 87 comédiens, d’ici ou d’ailleurs, se joindront 500 figurants. On comptera 2 000 bénévoles. La majorité du tournage se fera dans les Côtes d’Armor, une escapade à Paris permettra de filmer sur le toit des Invalides. Le plateau sera ouvert aux scolaires et en accueillera un millier.
Associer la population locale au tournage génère une réelle envie de découvrir le film. C’est ainsi que les avant- premières ont réuni 12 000 spectateurs, en Bretagne et Normandie.

Le processus de fabrication et de distribution du Réseau Shelburn ressemble beaucoup à celui de J’demande pas la lune, juste quelques étoiles… réalisé par Robert Coudray et sorti en 2013. De producteur, le réalisateur est devenu distributeur, et a fait découvrir le film à 42 569 spectateurs, dans 261 lieux de diffusion, en commençant par des projections au plus près du lieu de tournage. Les réactions très positives d’un public local permettant d’élargir la zone de diffusion.

Cette façon de travailler, en assurant des fonctions multiples, est plus efficace que celle qui consiste à attendre d’avoir réuni le budget qui serait indispensable pour lancer le projet. Mais ces créateurs expriment leur frustration, leur sentiment de ne pas être reconnus et soutenus sur le territoire à la hauteur de l’œuvre artistique proposée et du nombre de ses spectateurs.
Robert Coudray, qui vient de commencer la post production d’un nouveau film, parle de « cinéma buissonnier ». Pour lui, nombre de films auront encore moins de place qu’avant, obligeant plus que jamais à travailler sur le bouche à oreilles et les réseaux.

Eric Simonin et Nicolas Guillou
Éric Simonin (comédien) et Nicolas Guillou (réalisateur) - Le Réseau Shelburn © Catherine Delalande

La carrière du Réseau Sheburn, c’est aussi des séances en milieu scolaire, comme celle organisée à Montauban-de-Bretagne, le lendemain de la sortie nationale, pour les 5 classes de troisième du Collège Évariste Gallois, suivie d’une rencontre avec Nicolas Guillou et le comédien Éric Simonin. Pas un bruit pendant les deux heures de projection et des échanges faciles.

« Qu’est-ce qui vous a plu dans le film ? » : « C’est un beau film », « C’est l’histoire de la France », « On se sent vraiment dans l’action, comme si on ressentait l’émotion des personnages ». Dire que le Réseau Shelburn a été fait avec 64 000 euros d’argent frais n’est peut-être pas lui rendre service, car cela rend perplexe.

Nicolas Guillou, lui, devant les collégiens, ne veut évoquer que le positif : « Merci d’avoir apprécié le film. Ce dont j’ai envie, c’est de parler de nos histoires, sur notre territoire. C’est important de choisir de vivre de ses passions. On n’a pas eu le financement, on nous a dit que le film ne se ferait jamais. Mais je suis breton, avec un côté bulldozer… On le dit dans le film : résister, c’est exister. Notre avenir nous appartient. Je fais le plus beau métier du monde. J’ai choisi de faire du cinéma et de le faire en région, avec les gens que j’aime. Les métiers que l’on choisit nous donnent des ailes. Écoutez le message. Donnez-vous les moyens de construire votre vie. »

 

Catherine Delalande