Preder-nij. Réflexions volatiles • Par Emmanuel Roy


La semaine précédent le début du confinement généralisé, nous étions quelques un·es à avoir fait le projet de se réunir pour jeter les bases d’un collectif d’auteur·es brittophones déterminé·es à mettre en commun leurs énergies et leurs expériences pour tenter de donner à l’écriture de films de fiction en langue bretonne un surcroît de visibilité.

Nous partions du constat que la part dédiée aux fictions en breton dans la production cinématographique régionale reste tragiquement faible alors que dans le même temps le vivier de créateurs·rices potentiel·les ne cesse de croître et que, côté public, la demande est bel et bien au rendez-vous. 

Nous en étions là, donc, quelques-jours avant l’officiel lock-down, quand nous dûmes annuler notre premier rendez-vous, la France se crispant déjà : lieux de réunion associatifs inaccessibles, écoliers sommés de rester à la maison… Episode 0 de notre projet reporté sine die, le bec dans l’eau. Scheiße !

Depuis, le monde entier ou presque s’est arrêté, et le temps a suspendu son vol. 

Mes journées se ressemblent toutes les unes aux autres. Rythme à peu près invariable, unité de lieu, interactions humaines quasiment exclusivement réduites à la cellule familiale. Je ne me plains pas, d’autres ont beaucoup moins de chance que moi. La maison est grande, au vert, face à la mer.

Je me réveille à l’aube, alerté par le chant des oiseaux. J’essaye en vain de reconnaître les espèces qui mêlent leurs voix à ce concert matinal, mais je suis bien trop ignorant. Comme pour nombre de mes contemporain·es, la nature est devenue un décor dont je ne décrypte pas grand chose du fonctionnement. S’il y avait un coq encore, là oui je saurais. J’ai cette vision du tonitruant gallinacé au générique de début de Shawn, the sheep, s’égosillant au lever du soleil : Cock-a-doodle-do !

Je me lève, donc. Il faut bien. Le moral n’est pas toujours au rendez-vous. Après l’atterrissage forcé du début du confinement, vécu comme un bouleversement soudain et radical, donc en quelque sorte « dynamique », la crise promet de s’étirer en un interminable tunnel dont personne n’ose prédire le bout. Le temps de l’évidence des tournages stoppés nets et reportés touche à sa fin, la perspective d’une vague reprise prend corps…
Je me perds en conjectures : dans les prochains mois, quels sont-ils ces projets qui vont pouvoir reprendre ou voir le jour ? Dans quelles conditions ? Il y aura forcément une baisse drastique d’activité dans notre secteur, des priorités revues, moins d’argent encore qu’à l’accoutumée… Marée noire de sombres perspectives, engluant les ailes du cormoran, asphyxiant nos envies, masquant nos sourires… Je patauge entre mauvaises augures. 

Tout le long du reste de cette journée cent fois recommencée, je me surprends à observer plus qu’à l’accoutumée ces oiseaux qui m’entourent. Ils semblent encore être les seuls à s’agiter, insouciants et libres d’aller et venir à leur guise. Ici un moineau, un rouge-gorge, ou encore un merle noir, là une mouette, un pigeon… Je guettais depuis longtemps une mésange, j’en ai aperçu une aujourd’hui.

Il se dit que les populations d’oiseaux baissent dramatiquement dans nos campagnes, sur certaines espèces planerait même le danger d’extinction. En cause : les activités humaines, par destruction de l’habitat naturel, introduction de produits chimiques impactant les oiseaux directement, ou les insectes dont ils se nourrissent, réchauffement climatique, pollution aux micro-plastiques… L’être humain a ce génie particulier de toujours faire les choses en grand, quand il s’agit de malmener la planète.

Il paraît que ce virus va le faire réfléchir, se « réinventer » (sic).

Dans ce monde tout nouveau tout beau qu’on se promet la main sur le cœur et l’autre sur le clavier d’ordinateur, il faudra sans doute avoir plus d’égard pour les oiseaux, au même titre que pour la nature toute entière, et envisager enfin la bio-diversité comme notre bien le plus précieux. Car sans cette richesse du monde du vivant nous creusons le lit de notre propre disparition. Nous le savions depuis longtemps, et cette pandémie n’est qu’un gros voyant rouge de plus sur le tableau de bord de nos sociétés « titanic-esques ». Pas encore l’iceberg, hamdoulah.

Pour l’éviter, il nous faudra savoir mettre en œuvre ce respect pour la planète, et donc pour nous-mêmes. Seulement, j’en suis persuadé, nous n’en serons capables que si dans le même temps nous mettons fin aussi à tous les autres types d’accaparement, de colonisation, de spoliation, d’exploitation, de soumission, de négation… Entre être humains.

Rappelons-nous : les Européens ont réussi en seulement quelques années à exterminer le dodo de l’Ile Maurice. Dans le même temps ils y importaient massivement des hommes et femmes, réduit·es en esclavage, arraché·es à leurs terres d’Afrique continentale. Dans les deux cas, c’est le même état d’esprit qui commande.

Un exemple parmi tant d’autres. Il date un peu, me direz-vous. Certes, mais avons-nous fondamentalement changé la donne depuis ?

Cette fois-ci, difficile de faire l’autruche.

Alors oui, depuis le mois de mars 2020, la France et le monde bruissent de bonnes résolutions. Ralentir, soigner, protéger, relocaliser, rétribuer comme il se doit, revenir presto aux vraies valeurs… Biskoaz kement all!
C’est chouette tout ça.

Qui vivra verra. Que sera, sera

Il me vient en tête un dicton en breton : kant bro, kant giz, da bep labous e yezh, da bep pobl he frankiz. Cent pays, cent façons, à chaque oiseau sa langue, à chaque peuple sa liberté.

Tiens, encore une histoire d’oiseaux, une histoire de langues, une histoire de diversité fondamentale à respecter, à promouvoir. 

Vivement que notre collectif puisse déployer ses ailes.

Emmanuel Roy
Rener ar skeudenniñ, aozer/sevener
Chef-opérateur, auteur/réalisateur