Le 20 août, Daoulagad Breizh et le Festival de Douarnenez organisaient comme chaque année une rencontre autour de la création audiovisuelle et cinématographique en langue bretonne. Suivie par plus d’une soixantaine de personnes, la réunion est revenue comme bien souvent sur des constats récurrents : un manque de projets et peut-être de créateurs, un sentiment de discrimination liée à la langue de création et un besoin de mieux structurer la filière. Quelques pistes d’aides concrètes ont été évoquées. Suite à ces échanges, la Région Bretagne a annoncé un nouveau dispositif d’aide.
Créer en breton ?
Les organisateurs avaient proposé à Nolwenn Korbell (comédienne et chanteuse), Michèle Beyer (écrivaine), Kaou Langoët (comédien), qui tous créent en langue bretonne, de venir témoigner. Erwan Moalic (Daoulagad Breizh) a commencé par revenir sur des actions initiées à Douarnenez pour favoriser l’émergence de films en langue bretonne, tels des « speed dating » et un stage co-organisé avec Films en Bretagne. Malgré ces initiatives, le nombre de courts métrages de fiction produits reste très faible, et l’on voit peu de nouveaux auteurs et réalisateurs. A quoi est-ce dû : manque d’idées, de financement, d’accompagnement ? Michèle Beyer a évoqué son « sentiment de solitude, de découragement » par moment, Kaou Langoët a expliqué qu’au lieu d’attendre des propositions, il avait choisi de s’investir pour réaliser des projets légers avec d’autres brittophones et Nolwenn Korbell s’est interrogée sur l’accès à l’information sur les aides pour la réalisation en langue bretonne.
Le parcours du combattant
Le débat s’est ensuite focalisé sur les projets proposés et le processus de production. Peu de projets soumis aux producteurs et aux diffuseurs, un trop petit nombre de dossiers qui se concrétisent réellement. Pour le scénariste Gégé Gwen, il y a des auteurs, mais pour qu’un film d’une quinzaine de minutes existe, « c’est un parcours du combattant« . Plus de trois années entre le début et la fin, et sans que ceci bien entendu nourrisse son homme. Lionel Buanic, diffuseur avec Brezhoweb lui a fait remarquer que la production en français n’était pas forcément plus simple, mais, qu’en l’occurrence, les formes d’aide qui accompagnent les projets en français accompagnaient parfois bien mal les œuvres en breton… Les producteurs Philippe Guilloux et Laurence Ansquer ont tous deux produits des courts métrages en breton. Ils s’accordent pour dire que ce travail est difficile. Un autre producteur, Thierry Bourcy, ajoute même qu’il est « plus facile de produire un film en serbe ou coréen qu’en breton ». Mael Le Guennec, responsable des émissions en langue bretonne pour France 3 Bretagne est du même avis « On perd du temps à expliquer le choix de la langue. Et au sein de France 3, on a peu de marge de manœuvre et normalement pas le droit de faire de la fiction en région. Quand on arrivera à produire en breton sans se cacher, on aura avancé ».
Une discrimination ?
Déjà souvent entendues, les incompréhensions concernant les notes de lecture produites par des lecteurs missionnés par la Région Bretagne pour donner un avis préalable à l‘aide aux projets audiovisuels ont été exprimées, ici encore, par un producteur : « Pour un dossier, j’ai eu deux remarques liées à la langue dont : je m’interroge sur l’utilisation du breton qui n’apporte rien ». Tangi Louarn, militant associatif, y voit une discrimination. Le réalisateur Emmanuel Roy a été blessé par des retours de ce type. « Pourquoi devrais-je me justifier si j’ai envie de créer dans ma langue ?« . Cette question de la nécessité pour les élus d’expliquer le sens de leur politique régionale d’aide à l’audiovisuel aux lecteurs qu’ils mandatent a déjà été soulevée lors de l’assemblée générale de Films en Bretagne, en juillet. Gageons que la multiplicité des exemples évoqués avec le vice-président chargé de ces questions permettra qu’à l’avenir les lecteurs soient mieux sensibilisés à « la valorisation des singularités bretonnes » auxquelles la Région est par ailleurs attachée…
Se faire entendre
D’autres questions récurrentes ont été évoquées : celles de la structuration de la filière des professionnels en langue bretonne, et de sa difficulté à se faire entendre. Le producteur Fred Prémel a rappelé qu’il existait formellement, au sein de la fédération Films en Bretagne, un groupe de travail dédié. Dans la réalité, faute de noyau actif pour le faire vivre, ce groupe de travail n’existe pas. Plusieurs personnes considèrent également qu’il y a en Bretagne une bonne structuration, que Films en Bretagne par exemple est bien écoutée, mais qu’il manque un lobbying de la part des bretonnants, et qu’ils doivent s’investir dans les structures existantes pour se faire entendre.
Filmer des bretonnants demande une compétence linguistique
Philippe Guilloux, réalisateur de documentaires qui ne parle pas breton, sait que certaines des personnes qu’il interroge témoigneraient beaucoup mieux dans leur langue maternelle. Il hésite cependant à les faire parler breton car il aurait besoin de travailler pour cela avec un assistant brittophone quand le budget de ses projets ne lui permet pas d’envisager ce type de poste. Ceci pourrait-il faire l’objet d’une aide spécifique lors de l’examen des dossiers par la Région ?
Un tableau qui n’est cependant pas si noir…
Si certaines personnes pensent que la production en langue bretonne ne pourra pas se développer sans un changement des comités de lecture régionaux ou la mise en place de quotas, Mael Le Guennec est revenu sur les avancées en l’espace de dix ans. Le second long métrage réalisé par Soizig Daniellou, Noz, produit par Kalanna et destiné à France 3 et aux chaînes locales est en montage, Fin ar Bed aura une deuxième saison, qui sera tournée cet automne avec les moyens techniques de France 3, avec comme pour la première saison Lyo et Tita à la production et Nicolas Leborgne à la réalisation. « L’outil existe, on peut trouver du financement, il faut être optimiste !«
Et une nouvelle aide régionale
Lena Louarn, vice-présidente chargée des langues de Bretagne a présenté le nouveau dispositif, imaginé suite aux débats initiés dans le cadre du Contrat d’Objectif et de Moyens (COM) sur la production audiovisuelle en langue bretonne. Inscrit dans la politique linguistique et la stratégie d’aide à la production audiovisuelle, il s’agit d’une aide individuelle qui sera attribuée pour la première fois en 2019, et qui devrait être reconduite d’année en année. France 3 Bretagne et Brezhoweb participent financièrement et techniquement au dispositif.
L’objectif de l’aide est de faire émerger de nouveaux talents, de nouveaux univers. Les diffuseurs ont identifié une demande des spectateurs pour des séries de fiction en langue bretonne, de format court (3 à 10 minutes), et d’au moins 10 épisodes. Trois projets seront soutenus à hauteur de 3 000 euros pour le premier, 2 000 pour le second et 1 500 pour le troisième.
Les dossiers seront à rendre pour le 7 octobre et seront instruits par le Service des Langues de Bretagne. Le dispositif est expliqué de manière détaillée sur le site de la Région Bretagne.
Tant la Région que les diffuseurs espèrent que cette proposition incitera des bretonnants à se lancer dans l’écriture. Ensuite, les initiateurs essayeront de proposer tutorat, formation et mise en relation pour que les auteurs trouvent des producteurs, et que leurs œuvres soient accessibles sur les chaînes et sur internet.
Comme pour toutes les premières éditions de dispositifs, le temps entre l’annonce et la date de remise des dossiers est courte. Ha se a c’hellfe bezañ mat evit tud zo. Ne vo ket kaset re a deuliadoù. Muioc’h a chañsoù evit a re a gemero perzh. Chañs vat dezho ! * *A vous de jouer.
Catherine Delalande