Le nouveau film du réalisateur rennais Sébastien Watel est au cœur d’une polémique qui enfle dans la presse.

L’actualité nous réserve parfois de drôles de contradictions. Hier, en regardant la télévision je tombe sur Ewan McGregor et Jim Carrey chez Michel Denisot. Les deux comédiens assurent la promotion de I love you Philipp Morris, « l’histoire vraie d’un ex-flic, ex-mari, ex-arnaqueur aux assurances, ex-prisonnier modèle et éternel amant du codétenu Phillip Morris. Steven Russell est prêt à tout pour ne jamais être séparé de l’homme de sa vie… » nous dit le dossier de presse. On papote sur le plateau de Canal+, en clair, à une heure familiale. Tout va tellement bien dans ce monde gay friendly, que nos deux stars, pourtant hétérosexuels déclarés, se sont embrassées devant les photographes alors qu’elles recevaient la médaille des Arts et Lettres des mains du ministre. Et cela ne semble pas avoir fait frémir la ménagère de moins de 50 ans. Alors, définitivement oublié le temps de l’ORTF où les homosexuels témoignaient à visage caché aux Dossiers de l’écran ? Pas si sûr.
À quelques heures en train du plateau du Grand Journal, une équipe a débuté, il y a quelques jours, la réalisation d’un court-métrage d’animation. C’est à Rennes, le réalisateur se nomme Sébastien Watel et son film Le Baiser de la lune. Sébastien est, notamment, connu pour encadrer de nombreux ateliers d’initiation au cinéma d’animation à destination du jeune public. Que nous raconte son film ? Je vous livre le synopsis tel qu’il apparaît sur le site de la production, L’Espace du Mouton à plumes : Prisonnière d’un château de conte de fée, une chatte, « la vieille Agathe », est persuadée que l’on ne peut s’aimer, que comme les princes et princesses. Mais cette vision étroite de l’amour est bouleversée par Félix, qui tombe amoureux de Léon, un poisson-lune, comme pour la lune, amoureuse du soleil : deux amours impossibles, pour « la vieille Agathe ». Pourtant, en voyant ces couples s’aimer, librement et heureux, le regard de la chatte change et s’ouvre à celui des autres. C’est ainsi qu’elle quitte son château d’illusion et se donne enfin, la possibilité d’une rencontre… Donc, Léon et Félix, c’est un peu comme Philip Morris et Steven Russel. Ils sont homos et ils s’aiment. Point barre. Cela devrait être aussi simple qu’une promo sur Canal+.
Que nenni. Car Le Baiser de la lune fait actuellement couler beaucoup plus d’encre que I love you Philipp Morris. Comme l’écrivait hier Emmanuelle Bonneau sur RUE 89, Sébastien Watel est allé un peu vite en besogne en annonçant prématurément que son film était soutenu par le Ministère de l’Education nationale. Sur le site web dédié à son court-métrage, il avait apposé le logo de l’Education nationale sous l’onglet « Partenaires ». L’inspection académique de Rennes a demandé, courant janvier, le retrait de la griffe. Rien de bien méchant jusque-là. Et comme Sébastien Watel souhaite que son film « fasse réfléchir les élèves sur les différentes relations amoureuses », sa demande officielle de partenariat est finalement partie à l’Académie de Rennes. Toujours selon RUE 89, l’inspecteur d’Académie hésite car « La diversité des réactions invite à réfléchir. La question est de savoir à quel niveau on peut aborder cette discrimination particulière. Il y a un véritable débat et s’il y a débat, c’est que cela ne va pas de soi. »
Et d’où vient le débat ? Depuis deux semaines, ce film qui n’existe pas encore est sous le feu de groupes de pression ulcérés par la volonté du réalisateur de faire acte de pédagogie sur l’homosexualité en CM1/CM2. Dès la mi-décembre, l’hebdomadaire de droite libérale Les 4 Vérités a lancé une pétition pour réclamer l’arrêt du soutien de l’inspection de l’Académie rennaise et celui des collectivités territoriales au court-métrage, taxé de « propagande du lobby homosexuel ». L’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre du 92 (Apel92) dénonce, elle, « une tentative de manipulation des consciences de jeunes enfants ». Enfin, Christine Boutin, consulteur du Conseil pontifical pour la famille et que l’on a connu très remontée contre le PACS, s’est jointe aux opposants. Elle en appelle à Luc Châtel réclamant « au nom du respect de la neutralité de l’Education nationale », « l’interdiction de la diffusion du film ».
Alors, les conservateurs et homophobes de tous poils vont-ils obtenir gain de cause ? Si l’Education nationale ne s’est pas engagée, la Région Bretagne, les départements des Côtes d’Armor et du Finistère et la ville de Rennes ont confirmé leurs soutiens au Baiser de la lune, malgré les 15 000 signatures que revendique le site Web des 4 vérités. Et de mon côté, je suggère deux choses : que Frédéric Mitterrand glisse un mot à son collègue Luc Chatel lors du prochain conseil des ministres et lui raconte sa dernière remise de décoration ; que Michel Denisot invite cette polémique sur son plateau pour nous rappeler que l’homosexualité, cela ne se vit pas seulement au cinéma.

JFLC

PS : au moment où je pose le point final à ce billet, je découvre dans Libération que Roselyne Bachelot veut « mettre le paquet » sur l’éducation sexuelle à l’école. Luc Chatel n’a pas fini de recevoir du courrier…

PS 2 : La réponse du ministre Luc Chatel n’a pas tardé. Interrogé sur RMC mercredi 3 février, il a déclaré: « Je dis oui à la lutte contre l’homophobie, oui à la lutte contre les discriminations, oui à la sensibilisation de nos lycéens et de nos collégiens, mais je pense que traiter ces sujets en primaire, ça me semble prématuré (…) ce film n’a pas vocation a être projeté en primaire. » Et d’insister: ce film est «une initiative privée, ce n’est pas une initiative du ministère de l’Education nationale, elle n’est pas financée par le ministère.» (extrait d’un article publié sur LibéRennes.fr)