Le « phénomène Anaïs »


A ce jour, plus d’un demi-million d’internautes ont vu le film de Marion Gervais ‘’Anaïs s’en va-t-en guerre’’. La toile s’est enflammée pour l’histoire de cette jeune agricultrice qui se bat contre tous pour réussir à cultiver des plantes aromatiques. Alors que le replay s’arrêtera le 15 août pour laisser place à d’autres formes d’exploitation, retour sur une success story qui n’a sans doute pas encore dit son dernier mot.

Sur son site Les tisanes d’Anaïs, la jeune femme remercie tous ceux qui lui ont envoyé des messages de soutien : « Je suis touchée par toutes vos réactions… Vivons d’amour et d’eau chaude ! ». Une consultation rapide d’internet suffit à mesurer l’incroyable engouement suscité par ce documentaire diffusé pour la première fois par TV Rennes le 17 avril dernier : ‘’Une belle leçon de vie’’, ‘’Une histoire qui donne envie de se battre’’, ‘’Un film à la puissance émancipatrice’’, etc. En pleine période de récoltes, Anaïs Kerhoas à qui ces signes de reconnaissance ne font pas perdre la tête a reçu des sollicitations du monde entier venant de restaurateurs, de mécènes ou d’admirateurs émus par son combat.

La réalisatrice Marion Gervais, à qui nous avons déjà consacré un article, confirme cette réjouissante inflation de messages enthousiastes et analyse les raisons du buzz : « Les gens ont eu un coup de cœur pour la personnalité d’Anaïs. Ils se sont projetés dans cette gamine qui vient d’un milieu modeste et qui, par sa détermination, sa colère, et son goût immodéré pour la liberté, décide d’aller au bout de son rêve. C’est un être rare et entier qui ne laisse pas de place au compromis. Certains m’ont dit que le film avait bouleversé leur vie, qu’il leur avait donné la force de prendre certaines décisions, d’assumer enfin leurs désirs ». Formée au cinéma direct par les Ateliers Varan, la documentariste est à la fois heureuse et troublée par le succès « un peu vertigineux » de ce film, produit avec peu de moyens et réalisé en « immersion longue, solitaire et parfois violente dans la confrontation au caractère fort d’Anaïs. J’ai suivi mes intuitions, en restant au plus près de ce que je voulais transmettre ».

Comme une traînée de poudre

A l’issue de la première semaine de replay, la réalisatrice demande à TV Rennes de prolonger le visionnement sur internet pour permettre à des amis et à des proches de découvrir le film. La chaîne locale lui annonce alors 28 000 vues, un score inhabituel après un si court laps de temps sur la toile. A la suite d’un article paru sur Rue89, le documentaire est regardé par 10 000 internautes de plus. Et à chaque nouvelle parution – la revue XXILe Nouvel Observateur ou encore 20 minutes – le pouvoir amplificateur du net joue à plein. Les réseaux sociaux partagent sans modération les avis et appréciations sur le film. « Des mini-blogs sont créés qui commentent des scènes et des dialogues du documentaire », précise Marion Gervais. Tant et si bien, qu’au bout de 4 mois, Anaïs s’en va-t-en guerre a conquis 510 000 spectateurs !

« On ne s’attendait pas à cela. Pour nous, c’est à la fois euphorisant et questionnant », souligne Juliette Guigon de Quark Productions. « D’un point de vue économique, ça n’a pas de sens. Réaliser ou produire des films, c’est un vrai métier, c’est du travail, et ni Marion, ni nous n’avons réellement gagné notre vie. Ça ne change pas le plaisir que nous avons eu de faire ce documentaire. Mais nous nous interdisons de faire plus d’un ou deux films par an avec des chaînes locales car ils sont trop durs à financer. Il est surprenant de constater qu’avec un budget d’une cinquantaine de milliers d’euros, ce film fait l’équivalent de 5 fois une audience d’Arte pour un documentaire de société. Ma crainte, c’est que les gens imaginent qu’on puisse financer le documentaire de cette façon-là, par la grâce des vues sur le web. C’est faux, notre économie ne tient que grâce au système du financement audiovisuel du CNC, de France TV, d’Arte… ».

La productrice compare le parcours de ’’Anaïs s’en va-t-en guerre’’ avec d’autres films sortis en salles qui, malgré une très bonne presse, n’ont pas atteint les 10 000 entrées. Aujourd’hui, l’étau se resserre entre la difficulté de produire un documentaire pour l’écran de cinéma et celle de trouver une place sur une chaîne de télévision. La diffusion via internet « crée tout de même un appel d’air. Au moins, le film aura été vu pour ses qualités propres ».

Les bonnes fées continuent à se pencher sur le film de Marion Gervais. Quark Productions, qui voulait que le film soit diffusé sur une antenne nationale, a contacté France 4. La chaîne a eu un coup de cœur et diffusera le film à l’automne. Les Editions Montparnasse vont éditer cet hiver un DVD avec des bonus. Après avoir été vu par autant de spectateurs, le DVD trouvera-t-il son public ? Juliette Guigon, qui n’attend pas de retombées financières, est curieuse de ce prolongement et Marion Gervais ravie que le film existe aussi à travers « l’objet DVD ». Une version sous-titrée en anglais donnera accès au marché international. Des enseignants veulent créer des documents pédagogiques autour du film pour le montrer dans les établissements et des projections sont prévues dans des prisons. Après avoir été sélectionné au festival Etonnants Voyageurs, le documentaire sera montré en août au Festival de cinéma de Douarnenez (1). Le film entame une deuxième vie dont nul ne peut dire quelle tournure elle va prendre, tant le ‘’phénomène Anaïs’’ est atypique…

La jeune agricultrice, quant à elle, va bientôt pouvoir se mettre en quête d’une terre à acheter, son vœu le plus cher étant de faire pousser ses plantes sur son propre terrain. Le crowdfounding lancé en son nom sur Ulule par Quark Productions a permis de collecter 19 000 euros, alors que le montant demandé n’était que de 4000 euros ! C’est ce qu’on appelle un capital sympathie.

Nathalie Marcault

(1)‘‘Anaïs s’en va-t-en guerre’’ sera projeté le samedi 23 août à 21 au Festival de cinéma de Douarnenez. 

‘’Anaïs s’en va-t-en guerre’’ / 46 minutes / 2014. Un film de Marion Gervais. Une coproduction Quark, TVR, Tébéo, TébéSud. Avec la participation du CNC. Avec le soutien de la Région Bretagne et de la PROCIREP & de l’ANGOA.