Peau neuve pour France Télévisions


Face à la mer, baignée de la timide lumière d’octobre, la salle du Palais des Congrès de Saint-Quay Portrieux s’apprête à accueillir la table ronde France Télévisions, nouvel organigramme, nouvelle case, nouveaux liens avec les régions ? Un an après la refonte structurelle du groupe impulsée par Delphine Ernotte-Cunci, c’est l’occasion de présenter aux producteurs et auteurs en région, les nouveaux dispositifs en place. Pour en discuter, trois invités et une modératrice : Renaud Allilaire, directeur du pôle société et géopolitique de France Télévisions ; Olivier Montels, directeur adjoint des antennes et des programmes de France Télévisions ; Patrice Schumacher, directeur des antennes et des programmes régionaux ; Clara Vuillermoz, productrice chez Les films du Balibari.

« Le paysage français est toujours marqué d’un fort centralisme, autant en terme de processus de décisions que de point de vue sur le monde et sur les territoires », rappelle la productrice Clara Vuillermoz après une rapide présentation des invités et avant de resituer cette table ronde dans l’année écoulée : « L’année dernière, à la même époque, lors d’une première édition autour de la régionalisation et de la réforme de l’audiovisuel public, Olivier Montels avait promis une rencontre avec Takis Candilis, directeur général délégué à l’antenne et aux programmes. Cette rencontre a eu lieu en janvier et nous a permis à nous, producteurs en région, chapeautés par Films en Bretagne, d’établir une liste de constats et de préconisations issus de réflexions sur cette régionalisation, les programmes, leurs financements, le numérique etc. Ce document a été envoyé en mars dernier à Takis Candilis. Depuis, pas de nouvelles ». Bonnes nouvelles ? Retour sur les évolutions de France Télévisions depuis que Delphine Ernotte-Cunci a lancé son projet de réorganisation de l’entreprise.

« La France en vrai ». C’est sous cette appellation, jugée un peu promotionnelle par certains producteurs, que Patrice Schumacher, directeur des antennes et des programmes régionaux, s’emploie à présenter le nouveau rendez-vous documentaire de France 3. Un rendez-vous fixé tous les lundis à 23h05, composé de deux documentaires diffusés dans chacune des 13 régions du pays. « La ligne est claire : nous cherchons prioritairement des documentaires de société, ancrés sur les territoires. Nous utilisons souvent ce terme, à hauteur d’homme. Nous voulons parler de la vie d’aujourd’hui, avec les gens des territoires ». L’autre nouveauté, ce sont les collections documentaires regroupant chacune une dizaine de films sous la même unité thématique. « Le réseau co-produit 250 films. Ce principe de collection permet de mettre un peu de clarté », remarque Patrice Schumacher. «  Nous définissons, entre délégués des antennes et des programmes en régions, des thématiques extrêmement larges qui permettent aux auteurs, réalisateurs et producteurs, prioritairement en régions, de faire des propositions. Une à deux fois par an, nous faisons un point sur ce que pourraient être les futures collections toujours dans la ligne de « La France en vrai ».  Puis, nous les annonçons au Sunny Side of the Doc. » Des thématiques telles que « Aux arbres citoyens ! » ; « La jeunesse invisible » ou encore « L’amour au pays ». « Mais ce n’est pas parce que nous sommes en région que nous racontons du régional. Les problématiques résonnent sur le plan national », intervient Olivier Montels. Pour le directeur adjoint des antennes et des programmes de France Télévisions, pas question non plus de parler de formatage : « Un thème est fixé mais nous attendons des regards, des approches, des écritures différentes. Je n’appelle pas ça un formatage mais une ligne éditoriale ».

Clara Vuillermoz RFEB19 ©YLM PIcture
Clara Vuillermoz ©YLM PIcture

 

Sous la voix de Clara Vuillermoz, les craintes des producteurs en région se font entendre : qu’en est-il de la surreprésentation des producteurs parisiens ? Comment envisager une véritable décentralisation lorsque les producteurs en région ont le sentiment d’être réorientés systématiquement sur les cases régionales ? « Nous choisissons un projet parce qu’il est formidable, pas selon l’origine des producteurs », répond Renaud Allilaire. Patrice Schumacher poursuit : « Depuis la réorganisation de France Télévisions ce qui a fondamentalement changé c’est que nous, délégués des antennes et des programmes régionaux, sommes invités aux réunions avec les unités documentaires et les unités magazines. Et véritablement, ça permet d’échanger, d’éviter les projets redondants. Et puis, ce n’est pas parce que les films sont diffusés régionalement qu’ils ne peuvent pas l’être nationalement. La deuxième case de la France en vrai, de temps en temps, sera nationalisée ». Des paroles qui se veulent plutôt rassurantes donc pour les producteurs en région.

Comment aller chercher les audiences ? Quel est le budget dédié ? Quelles sont les actions mises en place pour communiquer sur la diffusion de ces 250 films par an ? Sur ces questions s’ouvre la deuxième partie de la table ronde. « Depuis septembre 2019, les films sont en deuxième partie de soirée, nous avons gagné 45 minutes sur l’heure de diffusion, c’est considérable ! », s’enthousiasme Olivier Montels qui en profite pour rappeler quelques chiffres : une moyenne de 340 000 téléspectateurs sur le premier documentaire, des documentaires régionaux de France 3 qui voient leur audience multiplier par 2,6 et, depuis septembre, l’offre des documentaires régionaux du lundi soir a été vue par 2 800 000 téléspectateurs contre 1 million sur la même période en 2018. Des audiences encore peu satisfaisantes mais en progression. Et les chiffres pourraient bien augmenter puisque les films seront également visibles sur le site de France Télévisions dès 2020. Mais pour le groupe qui ne dispose d’aucun objectif d’audience sur le documentaire, la communication n’en demeure pas moins difficile : « Souvent la presse quotidienne régionale reçoit des grilles de programmes toutes faites venant d’agences parisiennes et sur lesquelles les films programmés ne sont pas détaillés mais sont présentés sous l’étiquette générique « La France en vrai « . Et nous n’avons pas de budget pour acheter des pavés de publicité dans la presse quotidienne régionale ». Dans la salle, les propositions fusent : inviter des journalistes régionaux à ce type de table ronde, inciter les producteurs à prendre part au travail de communication, encourager les délégués régionaux à partager sur les réseaux sociaux ou encore à favoriser l’exposition de ces documentaires sur la plateforme de France Télévisions. Autre amélioration à noter : auteurs et producteurs peuvent accéder à tous les films qui sont lancés par les antennes régionales, sur le guide de la création de France Télévisions.

Renaud Allilaire et Olivier Montels ©YLM Picture
Renaud Allilaire et Olivier Montels ©YLM Picture

 

Consacrée aux nouvelles formes et aux nouvelles écritures, la troisième partie de la table ronde est introduite par Renaud Allilaire qui rappelle que le linéaire a encore une belle place à faire à l’innovation mais qui reconnaît que « face à une consommation non linéaire qui se développe de plus en plus, le 52 minutes n’est probablement pas la seule ni la bonne réponse ». Le directeur du pôle société et géopolitique de France Télévisions en profite pour présenter deux conseillers de programme – Antonin Lhote et Julie Rubino – en charge de l’accueil de projets à destination de la plateforme de France Télévisions et des supports numériques, « où il y a de la place pour des documentaires qui peuvent faire le pari de formes plus courtes, sérielles ou de récits plus incarnés… ». L’occasion aussi d’élargir le public en ciblant les jeunes adultes (18-35 ans).

De nouvelles formes à venir qui s’inscrivent dans une autre logique : de diffuseur France Télévisions devient éditeur de contenus. La société passe d’une organisation en grille à une organisation en genre et dès janvier, les délégués antennes et programmes deviennent des délégués antennes et contenus. Mais alors à quoi ressemblera la France Télévision du futur ? « Il y aura du documentaire non linéaire sur France 3 T.V, nous sommes en train de mettre en place un budget 2020 et la trajectoire que nous a fixé notre actionnaire nous demande d’aller en 2022 sur un budget global de 80 millions d’euros pour les programmes non linéaires », annonce Olivier Montels. « Dans ces programmes, il y aura de la fiction, du documentaire, du divertissement etc. » L’appel aux producteurs en région pour se positionner sur de la fiction non linéaire est lancé. Et le directeur adjoint des antennes et des programmes de France Télévisions en profite pour glisser : « Notre volonté, ce n’est pas de travailler qu’à Paris mais nous avons parfois des difficultés à trouver, en régions, des producteurs capables de répondre à la diversité des contenus de France Télévisions. Nous cherchons notamment des producteurs de flux en région. Et, si l’on veut se différencier de Netflix, notre avenir dépend de notre capacité à travailler avec le local ».

Ce rendez-vous aura-t-il permis de rassurer les producteurs en région ? La nouvelle organisation de France Télévisions semble offrir la possibilité de tisser d’autres liens et cette table ronde « très calme » selon Clara Vuillermoz « témoigne d’une pacification des rapports entre diffuseurs et producteurs ». La productrice regrette toutefois « une organisation encore trop centralisée, un manque de porosité et de dialogue avec les producteurs en région ». Si la voie est tracée, du chemin reste à parcourir. Rendez-vous est donc pris l’année prochaine !

Élodie Gabillard