En des temps d’alarmes sociales et sociétales, la culture entre en résistance (dont elle est, d’une manière certaine, une forme). Le cinéma se porte plutôt bien, en particulier sur notre territoire. La volonté politique renouvelée de nos élus régionaux d’appuyer la structuration et le développement de la filière audiovisuelle n’y est pas étrangère. A une autre échelle, il est de petites mains qui tricotent dans leur coin pour offrir aux publics les plus variés dans des zones géographiques parfois très isolées un accès régulier sinon continu à cette culture du cinéma. Le cinéma Iris de Questembert est de ceux-là.
« Ce que j’aime à l’Iris, c’est que c’est un cinéma qui a une identité affirmée, d’autant plus qu’il est porté par un projet culturel formalisé », déclare Stéphanie Jourde, sa programmatrice depuis sept ans. « On est en milieu rural, c’est donc important pour nous de proposer des films tout public, et en même temps, de conserver une force de proposition en termes de cinéma Art et Essai ». Un acte de foi qui va dans le sens d’une « ouverture sur le monde et d’un enrichissement culturel », lesquels doivent pour elle aller de pair avec « le plaisir des yeux et l’émotion ».
Après des études dans le développement territorial – culturel et/ou touristique –, Stéphanie atterrit là « un peu par hasard » raconte-t-elle, en tant qu’assistante administrative, avant de prendre les rênes du cinéma. Elle n’est pas seule, loin s’en faut : Franck Cairou est l’autre salarié de la bande, qui compte aussi de nombreux bénévoles à « mains d’œuvre » pour concocter des évènements susceptibles de faire se rencontrer les gens. « J’anime une commission de programmation d’une dizaine de bénévoles hyperactifs, qui a pour vocation de choisir les films que nous avons envie de défendre et d’accompagner » poursuit-elle. Accompagnement, un maître-mot pour ces équipes de passionnés qui s’investissent très en amont de la programmation, en fréquentant des festivals, en participant à des prévisionnements, en se tenant à la page : « d’une certaine façon, ils se forment continuellement ; faire partie de ces commissions n’a rien à voir avec de la figuration ! » plaisante Stéphanie. À chaque rendez-vous, une ou deux personnes deviennent référentes, préparent l’accueil du public et des invités, les échanges qui suivront le film qui sera projeté. Tout ce qui peut concourir à la bonne marche de l’évènement. Outre ces forces vives sans quoi rien ne serait possible (de la tenue quotidienne de la caisse aux renforts dans la cabine de projection), Stéphanie peut compter sur le soutien d’une entente de programmation – Micromégas-Epic, animée par Sylvain Clochard, à Nantes – qui fait le lien entre le cinéma et les distributeurs, et lui « donne surtout des indications sur les possibilités de sorties grand public, moins sur le cinéma Art et Essai pour lequel l’Iris jouit d’une grande latitude », précise Stéphanie. « C’est globalement un fonctionnement très souple, et c’est très appréciable », ajoute-t-elle, « même si nous avons certaines contraintes en cas de sortie nationale pour l’accès aux films grand public et les Arts et Essai porteurs (première semaine en plein programme et pas de VO pour les premiers ; difficulté à les obtenir suffisamment tôt pour les seconds). Ce qui nuit évidemment à la diversité de la programmation. C’est le pouvoir des distributeurs qui n’entend pas forcément la réalité des petites salles associatives comme la nôtre. » C’est le seul véritable bémol dont Stéphanie fait état. D’autres partenaires encore assoient l’engagement de l’Iris envers le cinéma d’auteur, tels l’ACID ou l’AFCAE, mais également, à notre niveau régional, Cinéphare (et une programmation de films de répertoire une fois par mois), et Zoom Bretagne.
Ainsi, à coups de points à l’endroit et de points à l’envers, petits et grands se voient proposer toute l’année des parcours cinématographiques à la croisée des genres, des types, des temps, des techniques du cinéma, au fil des 32 séances proposées chaque semaine (un nombre que l’association est en train d’augmenter). Du Festival Ciné Filous à la rentrée de septembre à Froid Polar en janvier-février, de Questions de jeunesse au printemps – un programme de courts métrages clés en main mis en forme par l’association Côte Ouest et à destination de jeunes à partir de 14 ans – au Mois du Film documentaire, auquel l’Iris participe très activement chaque mois de novembre, pour partie sous la houlette des coordinations départementales pour l’événement Cinécran (56) et Daoulagad Breizh (29), sans compter des Ciné-café organisés au moins une fois par mois et qui proposent un film coup de cœur et une rencontre, le plus souvent avec le réalisateur du film projeté, il y a toujours une bonne raison de fréquenter le cinéma et d’y croiser professionnels et amateurs éclairés.
Parmi ces rendez-vous phares que s’efforcent de mettre en place ces fervents amateurs autour de Stéphanie et de Franck, s’ouvre bientôt la fraîchement baptisée Fabrique de l’image, qui s’intitulait Arrêts sur images jusqu’à l’an dernier : « L’édition 0 a eu lieu en 2014 et faisait suite à plusieurs constats : d’une part que les échanges avec le public tournaient toujours beaucoup autour du sujet ou de l’histoire du film, et pas des formes cinématographiques ; d’autre part que l’Iris, pourtant reconnu pour avoir une programmation riche et qualitative, n’avait pas de temps fort et exclusif pour célébrer ce travail dans la durée ; aussi qu’il y avait très peu d’évènements autour de la photographie au cinéma ; enfin que cela autorisait une transversalité dans la programmation », se souvient Stéphanie. « Ainsi, nous étions libres d’aborder, par exemple, des choses aussi diversifiées que les arcanes du métier de chef opérateur ou l’étude de l’univers visuel d’un cinéaste à travers un film, ou son œuvre », ajoute-t-elle.
Depuis 2014, le rendez-vous n’a cessé d’évoluer, pour devenir cette année La Fabrique de l’image : une façon de préciser les choses d’emblée, et de resserrer le spectre des propositions autour d’une seule figure, un invité, celle du chef opérateur. « Nous souhaitions mettre à l’honneur les grands talents qui existent en Bretagne et nous avons invité Guillaume Kozakiewiez. Cette fois, il s’agit d’une carte blanche qui lui est offerte et qui courra sur les deux jours que dure désormais l’événement. Outre un choix de films qui l’ont influencé par leur photographie – Les Hauts de Hurlevent, d’Andrea Arnold et Les Moissons du ciel, de Terrence Malick – nous projetterons Salto Mortale, son dernier long-métrage documentaire, et un programme de courts-métrages : Je les aime tous, une fiction qu’il a réalisée cette année, et Tard sur le port, de Maël Diraison, sur lequel il a fait l’image. Maël Diraison sera là pour parler de leur collaboration. Le cœur de l’événement consistera en une rencontre durant laquelle Guillaume Kozakiewiez reviendra sur son parcours et son travail de chef opérateur, en présence de Maël. »
Il faut maintenant espérer que le public répondra présent à cette nouvelle proposition de l’Iris Cinéma : « nous aimerions élargir son audience, car notre envie première et ce qui motive chacune de nos entreprises, c’est le partage ! », conclue, joliment, Stéphanie.
Gaell B. Lerays