Olivier Marboeuf : l’art de la conversation


 

Le festival de Belfort vient de décerner deux prix à « Koropa » de Laura Henno, un court-métrage documentaire produit par la société rennaise Spectre Productions, dirigée par Olivier Marbœuf et Cédric Walter. Nous sommes allés à la rencontre de Olivier Marbœuf, installé à Rennes en 2014, dont le parcours très riche révèle un esprit autodidacte et rigoureux. 

 

À 21 ans, Olivier Marbœuf cofonde la maison d’édition de bande dessinée Amok (aujourd’hui Fremok). « Éditeur métèque » dit-il, c’est là qu’il affirme un goût pour la circulation et la mise en conversation d’auteurs souvent étrangers, dont la part commune est leur volonté d’explorer le langage de la BD, et se situent dans des thématiques définies plus tard comme post-coloniales.
Si Olivier Marbœuf choisit déjà de créer sa propre structure d’édition, c’est qu’il souhaite pouvoir « montrer autre chose, autant dans les contenus que dans les conditions de production, de diffusion et de visibilité. »

Il devient par la suite commissaire d’exposition. Son intérêt principal se porte sur les questions de mise en récit. En 2004 ouvre l’espace Khiasma, aux Lilas, en Ile-de-France. Olivier en assure la direction, et met en place un lieu où la globalité du processus de fabrication et de diffusion est pensée, permettant un écosystème cohérent où les œuvres et les personnes dialoguent en permanence. « Je passe beaucoup de temps avec les gens dont j’expose le travail. Je considère toujours qu’on travaille en conversation, qu’on fait les choses ensemble. Je les accompagne comme ils m’accompagnent ». Khiasma propose des résidences, des séances de projections sur le travail en cours avec le public et avec le réseau artistique, ou des expositions associées à d’autres événements dans des lieux d’arts proches ou à l’étranger.

La rencontre avec Cédric Walter est décisive. Cédric est producteur de cinéma d’auteur (Pedro Costa, José Luis Guerín, Emmanuel Parraud) et sent qu’il se passe quelque chose dans le champs du cinéma d’artiste. Olivier saisit l’opportunité de se frotter à la fabrication du cinéma. « Je pense que l’art et le cinéma sont deux champs très différents. À Spectre on essaie de garder l’écologie des deux et de voir comment l’un peut renseigner l’autre. » Spectre Productions est ainsi présentée comme une société dédiée aux nouvelles écritures cinématographiques et aux projets audiovisuels innovants. Si Cédric accompagne davantage les films qui peuvent se produire avec les guichets du cinéma d’auteur, Olivier s’occupe du corpus cinéma d’artiste.
« De mon côté, ce qui m’intéresse dans l’art, ce sont les formes radicales, c’est-à-dire qui reviennent au début  : le cinéma, c’est d’abord un art des images et des sons. Je cherche ce qui peut émerger dans la friction des images et des sons, sans que le scénario l’ait balisé avant. »
Le scénario donc, cent fois remis sur le métier dans la production cinématographique, n’est pas ici systématiquement la colonne de l’écriture. Leurs auteurs peuvent rapporter rapidement des images. Un travail d’enrichissement commence alors, qui peut passer par des formes diverses : le dialogue avec l’auteur concerne la matière visuelle, mais porte aussi sur des échanges autour de lectures qui précisent les enjeux conceptuels. « La question que l’on se pose incessamment avec l’auteur est de savoir comment intégrer concrètement ce qui doit l’être afin que le film se passe de discours. » C’est pourquoi les rushes sont re-montés régulièrement, mais peuvent être aussi l’objet d’installations vidéo, de performances et de séances de projections publiques. « On va au bout de la précision de ce qu’on veut faire, sans penser en terme de longueur et de format. » Là encore, par cette conversation entre les étapes et les intervenants, la structure du film, sa forme et son sens s’écrivent au fur et à mesure. Cette autre façon de procéder est rendue possible par le maillage des lieux de production et des lieux de diffusion qu’Olivier a tissé dans le champs de l’art contemporain.
« Je suis un producteur et un curateur qui produit du contenu et du sens dans lequel le film est un moment. C’est l’idée du film non pas comme objet de fin, mais compris dans un processus toujours vivant. »

 

Sur-mesure

 

Martin Le Chevallier écrit des films structurés par un dispositif simple et des dialogues entre des figures. Filipa César s’immerge de long mois seule pour rapporter progressivement de la matière filmée. Louis Henderson a lui réalisé deux films dont l’image est constituée par des captures d’écran d’ordinateur. Produire des approches aussi différentes requiert d’inventer les modalités de production de chaque œuvre. Olivier a le sentiment d’être davantage dans le sur-mesure pour chaque projet, que dans un modèle de fabrication qui comprendrait des variations.
Et pour cela, il faut « être au travail » à toutes les étapes, notamment la diffusion. En tant que directeur de centre d’art, la place du public est centrale pour lui. « Je pense en terme de logique de secteur pour que les films soient vus ». Ainsi, les films sont visibles en centre d’arts, festivals, musées et médiathèques, et collectent par là un nombre de spectateurs parfois bien supérieur à celui du circuit du court-métrage en France.

Pour le montage financier, Spectre Productions s’adresse à plusieurs institutions. Dans le champs de l’art, le Centre National des Arts Plastiques (image/mouvement) peut être un soutien, ainsi que les centres d’art ou les FRAC qui peuvent acheter le film pour une exposition à venir. « Le cofinancement des institutions de l’art permet d’associer des budgets et d’assurer une bonne diffusion, mais met en place un calendrier qu’on ne maîtrise pas. Ce qui est parfois inconfortable, c’est d’avoir une échéance d’exposition mais de manquer d’argent pour réaliser le film. »
Côté cinéma, Olivier s’adresse au fond d’innovation du FACCA, également le Dispositif pour la Création Artistiques Multimédia et Numérique (DICRéAM) et le Fonds d’Aide à l’Innovation Audiovisuelle du CNC. Les autres guichets lui semblent plus frileux  : « On passe très vite pour intellectuel, ce qui est mauvais signe, » dit-il.

 

Fantômes

 

Olivier et Cédric accompagnent des projets qui élaborent des représentations manquantes ou marginales dans notre culture. Comme des images ou des récits fantômes, Spectre Productions convoque l’histoire de l’esclavage avec la figure de Toussaint Louverture, la commune de Münster au 16è siècle, ou les enjeux de l’écologie avec la philosophe Donna Haraway dans le film intitulé Story telling for Earthly Survival.

Les nombreux prix que reçoivent les films dans les festivals français et internationaux confortent Oliver dans ses choix. « Dans les festivals étrangers, on retrouve souvent trop peu de Français. Il me semble qu’on passe pour des gens qui n’osent pas beaucoup changer les modes de production ni les écritures cinématographiques, malgré toutes les compétences et le talent qu’il y a ici. »

Ses relations avec la Bretagne  ? « J’y ai des amis et j’aime la ville de Rennes donc je suis très heureux d’être ici. J’ai beaucoup travaillé ces deux années sur les projets en cours et je commence progressivement à démarrer plus de choses localement. Je sais que la Bretagne fait partie des références en terme d’organisations de cinéma à l’échelle nationale et j’aimerais faire des choses ancrées ici, car pour moi c’est un vrai projet d’être à Rennes. Et j’aime travailler et être en rapport avec des gens qui ne font pas la même chose que moi. »

David Cenciai

Deux fois primé aux Entrevues de Belfort, (Grand Prix du Court Métrage et Prix Camira), Koropa de Laura Henno est sélectionné en compétition en janvier à Premiers Plans et en février au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand.

Sac la Mort d’Emmanuel Parraud sortira en salle en février avec une avant-première rennaise le 10 février 2017.

Plusieurs films de Spectre Productions seront à l’honneur dans le cadre du prochain festival Travelling à Rennes mais également à la Berlinale et au Rotterdam en début d’année.

Le site de Spectre Productions