Ode à une postière • Par Vincent Robinot


Pour ma part, j’ai passé toute la période de confinement en baie du Mt St Michel où me restent des attaches familiales.

J’avais depuis longtemps prévu d’aller faire des images du Mont entouré par la mer à l’occasion de la grande marée des 9-10 avril. Il s’agissait de repérages en prévision d’un documentaire intimiste sur la Baie de mon enfance. Des images en drone étaient nécessaires. Puisque j’avais obtenu toutes les autorisations, je sautai sur l’occasion pour sortir du cadre réglementaire…

Sur la nouvelle passerelle, un Mont comme jamais m’accueillit : Jupiter et Neptune s’étaient  accordé avec la Lune ! Une mer d’huile s’offrait à un lever de soleil éclatant… Mais le rocher demeurait plongé dans son sommeil. Tout était calme autour de moi. La sensation d’isolement fut à son paroxysme, lorsque progressivement, la mer encercla le Mont. Plus une vague, plus un mouvement, le temps semblait suspendu. Seul le cri des goélands au loin venait troubler le silence ambiant.

Une fois les vues extérieures réalisées, je me suis décidé à rallier l’intérieur… par curiosité.

J’ai alors pris conscience du caractère exceptionnel de la situation. Les ruelles étaient vides ; les grilles des commerces descendues ; sur les tables des restaurants, les chaises retournées… Le chant des oiseaux, auquel on ne prête pas attention habituellement, accompagnait chacun de mes pas. La poussière sur les vitrines, la fiente accumulée sur le sol… tout semblait figé, d’un autre temps. On aurait dit un décor de cinéma… abandonné.

Avec une caméra d’appoint, j’ai alors saisi cette ambiance si particulière pour donner la réplique aux images aériennes tournées juste avant… instinctivement, sans savoir si cela allait me servir.

Ce n’est qu’au dérushage, le lendemain, que ma pensée s’est éclaircie.

Parmi toutes ces images volontairement filmées en mouvement, la seule en plan fixe m’interpella particulièrement : sur les marches du gigantesque escalier du Grand Degré, qui monte à l’Abbaye, j’avais immortalisé une postière, gravissant péniblement ces marches, faisant coûte que coûte sa tournée pour la poignée d’habitants de ce village insolite. Visuellement, la scène tranchait avec les autres plans aux cadrages dynamiques : cette fois, c’est le sujet qui donnait vie et mouvement au cadre tout en enrichissant ce décor minéral d’un brin d’humanité ; symboliquement, cette femme incarnait l’importance d’un service public en de telles circonstances… l’importance d’un service public pourtant fragile et menacé…

Vincent Robinot
Auteur-réalisateur