Fabrice Bassemon succèdera à Éric Gouzannet au poste de directeur de Clair Obscur à compter du 1er septembre prochain. L’occasion de découvrir son parcours et son projet pour l’association qui pilote notamment le festival Travelling à Rennes et des dispositifs d’éducation à l’image en Bretagne.

Vos expériences professionnelles et votre relation au cinéma ont été multiples : exploitant, directeur artistique de festivals, responsable de la diffusion, racontez-nous !

Fabrice Bassemon : J’ai été exploitant d’une salle de cinéma, le Studio 43 à Dunkerque, de 1999 à 2002. Il s’agissait d’une salle art et essai, labellisée jeune public, patrimoine et cinéma de recherche. J’avais en charge la programmation des films, l’animation du lieu, la communication et la gestion de la salle.
C’était le fruit d’une longue histoire personnelle avec ce cinéma car j’y avais été bénévole pendant une dizaine d’années avec le parcours classique du bénévole de cinéma : ouvreur, projectionniste, associé à la commission de programmations… C’est comme ça que je me suis construit, en fréquentant assidûment la salle, les rencontres cinématographiques de Dunkerque, et en faisant des stages d’analyse filmique avec des spécialistes et aux côtés d’autres passionnés. J’en garde un attachement particulier pour le travail en équipe et avec des bénévoles comme sur les festivals.

– Justement, à cette époque, il y avait également un festival qui s’installait annuellement dans ces lieux…

Oui, en parallèle de la gestion de la salle, je participais à la coordination du Festival du film de Dunkerque qui avait pour thématique l’univers cinématographique d’une ville portuaire… une ville comme pour Travelling ! D’ailleurs pour la première édition, en 98, nous avions choisi la ville de Marseille, en 99 c’était Lisbonne, puis New York et enfin Hong Kong.

– Des points communs avec les choix de programmations de Clair Obscur…

Oui, sauf Hong Kong, une ville qui a un potentiel cinématographique incroyablement intéressant… Le festival de Dunkerque était aussi l’occasion d’un focus sur la production cinéma et audiovisuelle régionale. C’est arrivé près de chez nous, devenu en 2000 Regards alentours, proposait une programmation issue de l’Eurorégion, le Nord de la France et la Belgique notamment.

– Qu’est ce qui vous conduit à rejoindre l’équipe de Centre Images ?

J’ai été recruté, en 2009, pour porter le festival du film de Vendôme. C’est Jean-Raymond Garcia qui m’a embarqué dans cette aventure. Il dirigeait l’Atelier de Production Centre Val-de-Loire (structure qui a précédé Centre Images et qui est devenue aujourd’hui Ciclic, ndlr) qui était en pleine mutation à l’époque. Le festival changeait de lieu pour intégrer un nouvel équipement culturel, Le Minotaure et par la suite l’association s’est transformée en EPCC (1). Ma mission était d’ « habiter » ce nouveau lieu, d’enrichir la ligne éditoriale, d’explorer de nouveaux champs. À Centre Images, j’étais également en charge de la diffusion culturelle et de la promotion des films subventionnés en région Centre. Ces trois missions couplées, la diffusion culturelle, la promotion des films et le festival de Vendôme, m’ont donné le sentiment de retrouver ma « famille de cinéma ».

– C’est à dire ?

À l’époque où j’étais exploitant, je soutenais beaucoup de premiers films comme ceux d’Alain Guiraudie, de Philippe Faucon, d’Orso Miret, de Mathieu Amalric…
La région Centre est la région des premiers films, du fait notamment de sa politique de soutien aux jeunes auteurs sur leur premier et second films. Ces films étaient donc le cœur des projets que nous diffusions sur le territoire. Et la ligne éditoriale du festival était aussi très axée sur les jeunes cinéastes, sur les œuvres contemporaines, avec une compétition nationale, une compétition européenne de courts-métrages et un focus sur les moyens-métrages. J’avais à cœur de présenter ceux qui sont l’avenir du cinéma et j’ai retrouvé beaucoup de cinéastes que j’avais accueillis à Dunkerque.

– Vous parliez d’ouvrir le champ, concrètement qu’est ce que ça a impliqué pour le festival de Vendôme ?

Plus de transversalité en croisant les disciplines. Dès les premières années, on a proposé de l’art contemporain, en invitant des artistes comme Pierrick Sorin, Valérie Mréjen ou Nicolas Floc’h, qui présentait dès 2009 une installation en lien avec le film Novo de Jean-Pierre Limosin. Lors de la présentation de la copie restaurée de Playtime, nous avons proposé une soirée music-hall avec la troupe de Jérôme Deschamps. Encore du côté du spectacle vivant Yolande Moreau est venue montrer son film Quand la mer monte et jouer son spectacle, Sale affaire, qui en est le point de départ. Il y a eu aussi des ciné-concerts avec Rodolphe Burger, Olivier Mellano, Mongomery… Le point commun entre ces propositions, en dehors du lien au cinéma, était un niveau d’exigence élevé.

– Vendôme restait un rendez-vous de cinéma.

Bien sûr ! Avec la création d’un panorama de longs métrages soutenus par les collectivités territoriales européennes, une compétition de courts, des focus sur le cinéma d’animation, des écoles ou des genres émergents. Des rétrospectives, comme celle de Bertrand Bonello qui présentait en exclusivité ses premiers essais notamment Qui je suis, un documentaire sur Pasolini. Nous avons d’ailleurs mis l’accent sur le documentaire de création et les prototypes cinématographiques, un genre particulièrement fertile, avec des œuvres de Pedro Costa, d’Arnaud Des Pallières, d’Alain Cavalier qui parlent du cinématographe et du monde. Et pour ne pas se prendre trop au sérieux, on a aussi invité Benoît Delepine et Gustave Kervern, fait un parcours Philippe Katerine…
– En 2009, vous quittez Vendôme et Centre Image pour Bourg-en-Bresse où vous êtes directeur du service Action culturelle, avec toujours cette volonté de faire du lien entre les arts.
Oui j’ai rejoint l’Ain pour raisons familiales et intégré l’équipe municipale avec pour mission d’innover et on m’a laissé beaucoup de liberté sur les choix. La ville héritait d’un hôtel particulier, l’Hôtel Marron de Meillonnas, qui devait devenir un lieu de culture. On y a créé un espace d’art contemporain, H2M, épicentre du dispositif des Chemins de la culture et d’un événement annuel pluridisciplinaire. Le credo était le décloisonnement des genres et des disciplines, la transversalité. Nous avons invité des artistes très divers, issus de la photographie, du Street art, de la BD, de l’art contemporain, des arts de la rue et de la musique et fait autant de propositions décalées. Notre ambition était d’amener les artistes à rechercher de nouvelles façons d’occuper l’espace public, de faire circuler les publics et d’interroger la réception des œuvres.

– Ces cinq années vous ont fait prendre du recul avec le cinéma. Quel est votre état d’esprit à quelques semaines de votre arrivée à Clair Obscur ?

J’ai le sentiment d’arriver en terrain favorable, au sein d’une équipe composée de gens compétents et intelligents. Il y a de vraies réussites sur Travelling, des synergies, des choses à poursuivre, à creuser et d’autres qu’il faut repenser.
La mission, que m’a confiée le conseil d’administration, est de lancer une réflexion collective sur la cohérence du projet de Clair Obscur, la place de chacun dans l’œuvre collective, et de travailler sur les perspectives, les objectifs.
J’ai des attentes élevées dans l’exigence du projet artistique de l’association. En tant que directeur, ma mission sera du côté de la stratégie et du management. Donner une impulsion et des axes, être l’initiateur de certains projets, font aussi partie de ma mission. Et il ne s’agit pas pour moi de faire le travail à la place des gens mais bien avec.

– Quelles sont vos priorités ?

Avant tout que l’éducation soit au cœur du projet. Et pour ça, les deux pôles, artistique et éducation à l’image, tels qu’ils sont en place à Clair Obscur doivent travailler ensemble. Etre au cœur des mutations numériques et des nouvelles pratiques autour des écrans, désacraliser et s’appuyer sur les savoirs et les savoir-faire.
Le festival doit rester le fer de lance de la politique culturelle et éducative de l’association, mais j’aimerais que l’on construise davantage de passerelles. Les axes forts et majeurs de l’association restent de continuer à ouvrir le regard sur le monde et de contribuer à la diversité et au pluralisme de l’offre artistique, culturelle et patrimoniale du festival. En ce sens, j’aimerais continuer ce que j’ai mis en place lors de mes précédentes expériences, faire le lien entre l’art et le cinéma.
Un autre cheval de bataille sera de développer les rencontres professionnelles du festival, de faire des ateliers de coproduction en lien avec le tissu régional et Films en Bretagne. Que Travelling devienne une plateforme des professionnels de la région !

– Quelles échéances vous donnez-vous pour rendre tangibles ces projets ?

Le plan de développement de l’association doit pouvoir se programmer sur plusieurs années. Bien sûr pour la prochaine édition (Oslo en février prochain) nous manquerons de temps pour mener à bien l’ensemble de ces projets. Je la vois comme une édition de transition, ce qui ne signifie pas sans ambition ! Le terrain est très favorable du côté de l’Institut Norvégien du Cinéma mais c’est trop court pour les propositions transversales ou explorer de multiples champs. Mais j’ai déjà quelques idées…

Propos recueillis par Elodie Sonnefraud

(1) Etablissement Public de Coopération Culturelle

Fabrice Bassemon prendra son poste de directeur de Clair Obscur à la fin de l’été 2014.
Une rencontre presse sera proposée courant septembre à Rennes pour rencontrer Fabrice Bassemon, les membres du Conseil d’Administration, l’équipe et Eric Gouzannet.
Retrouvez plus d’informations sur le site de Clair Obscur.