Coup de projecteur sur Norman Mac Laren à l’occasion de Travelling Ecosse qui se tiendra du 19 au 26 février à Rennes. Le festival met à l’honneur les films de jeunesse du cinéaste. A découvrir absolument ! Deux projections de ce programme sont prévues dont la première dès le 13 février à l’EESAB.

Difficile exercice que celui de résumer l’œuvre de Norman Mac Laren, tant celle-ci, foisonnante et hybride, échappe aux catégories. Pendant cinquante ans, il explore par une soixantaine de films les territoires du cinéma d’animation, du documentaire, et du film expérimental. Couronnée par plus de deux cents prix internationaux, dont l’Oscar du meilleur court métrage pour Neighbours en 1952 et la Palme d’or pour Blinkity Blank au festival de Cannes de 1955, son œuvre est considérée comme l’une des plus importantes dans l’histoire du cinéma d’animation. Ses trouvailles techniques et esthétiques placent la question du rythme et de la musique au cœur de son travail.

« Norman Mac Laren a réalisé la plupart de ses films à l’Office National du Film du Canada (ONF), mais il faut rappeler qu’il découvrit le cinéma aux Beaux-arts de Glasgow », explique Mirabelle Fréville, programmatrice au festival. « Ce sont vraiment ses premiers films, souvent laissés de côté dans les rétrospectives au profit d’œuvres plus connues, qu’on avait envie de montrer au public. En plus, projeter à l’EESAB* de Rennes des films créés aux Beaux-Arts de Glasgow nous a séduits et permettait d’associer de façon pertinente l’école rennaise au festival. »
Né en 1914, inventeur inclassable de films d’animation, considéré comme l’un des maîtres du genre, Norman Mac Laren fait ses premiers pas de réalisateur en Ecosse, son pays natal. C’est, en effet, à la Glasgow School of Art, au début des années trente, alors étudiant en arts plastiques, qu’il découvre le cinéma de l’avant-garde soviétique. Impressionné par les œuvres d’Eisenstein ou d’Oskar Fischinger, réalisateur allemand de films d’animation, et résolu à se consacrer dès lors au cinéma, il réalise son premier film en 1933.

Sans argent et sans matériel, il commence par peindre sur de la pellicule déjà impressionnée, qu’il a préalablement grattée pour la rendre transparente. Puis avec une caméra prêtée, il tourne Seven Till Five, un documentaire muet et expérimental sur la vie des étudiants de l’école, qui explore les possibilités du montage comme générateur de rythme. D’autres films suivront, comme Camera Makes Whoopee, documentaire sur le bal de fin d’année, succession hétéroclite de trucages en tous genres : surimpressions, ralentis…

Eloge du petit budget

En 1935, deux de ses films sont récompensés au Scottish Amateur film Festival. Mac Laren y fait alors une rencontre déterminante : John Grierson, l’un des membres du jury et réalisateur britannique reconnu. Impressionné par le talent du jeune étudiant, il lui propose de venir travailler au General Post Office Film Unit de Londres, dès la fin de ses études. Mac Laren y apprend le métier de réalisateur à travers des films de commande, tout en développant son goût pour l’expérimentation. Par exemple, Love of the Wing (1938), film promotionnel pour le service postal aérien du Royaume-Uni, est le moyen de s’adonner avec malice et inventivité au jeu des métamorphoses, chères aux surréalistes, et dessinées directement sur pellicule.
En 1941, John Grierson fonde l’ONF et invite Mac Laren à le rejoindre. Le jeune cinéaste s’épanouit alors dans cette structure où son travail est financé, considéré et encouragé, et où il peut rapidement créer une section animation. Il garde au fil des films une fraîcheur et une démarche d’artisan curieux, qui aime mélanger techniques d’animation (pixilation **, stop motion***, dessin animé) et expériences sonores (son synthétique gravé sur la pellicule).

Travaillant le plus souvent seul, il tente, cherche, tâtonne, hors des lois et des modes cinématographiques, avec une économie de moyens, qu’il érige en véritable principe créatif : « Je crois fermement au stimulus créatif que représente un petit budget. Je crois que moins il y a d’argent pour le cinéma, plus il doit y avoir d’imagination », déclare-t-il dans The Low Budget and Experimental Film, un texte théorique publié en 1955. Avec humour, il affirme : « Peut-être est-ce parce que je suis né et ai grandi en Écosse que je me suis toujours intéressé aux films à petit budget. Je ne peux pas nier que je tire un réel plaisir du fait de réaliser des films à partir du minimum en termes d’argent, d’équipement et de temps. »

À l’heure où les budgets des films sont de plus en plus énormes, et où le numérique conduit parfois à un formatage des œuvres, les bricolages poétiques de Mac Laren sont un appel à la créativité, et rappellent que la magie du cinéma peut aussi naître d’un duel entre un homme et une chaise, ou d’une tache de couleur qui s’agite au rythme de la musique. Figuratives ou abstraites, ludiques et fantaisistes, ses œuvres surprennent par les sensations visuelles et sonores qu’elles suscitent.

Le programme choisi par Travelling est composé de films étudiants, réalisés à Glasgow, et de films de commande pour la poste britannique. Deux autres courts métrages, réalisés plus tard, permettent de montrer à la fois l’évolution et l’approfondissement de son travail, tout en révélant la richesse et le potentiel des premières œuvres. Ces films seront projetés mercredi 13 février à 17 h à l’EESAB, site de Rennes, et rediffusés le mercredi 20 février à 17h au Gaumont.

Solène QUINTIN

*EESAB : Ecole Européenne Supérieure d’Art de Bretagne
** Pixilation : Technique d’animation en volume où des acteurs réels ou des objets sont filmés image par image.
*** Stop Motion : Technique d’animation en volume, image par image.
Programme Mac Laren : Seven Till Five (Ecosse, 1934, 10’, N&B, muet), Camera Makes Whoopee (Ecosse, 1936, 16’, N&B, muet), Hell Unlimited (Ecosse, coréalisé avec Hélène Biggar, 1936, 15’, N&B, muet), Love on the Wing (Grande-Bretagne, 1938, 4’30, couleurs, animation), Mony a pickle (Grande-Bretagne, 1938, 4’, N&B, documentaire), A Chairy Tale (Canada, coréalisé avec Claude Jutra, 1957, 9’52, N&B, animation, avec la musique de Ravi Shankar), Dots (États-Unis, 1940, 2’21, vidéo, couleurs, son).
Et aussi un programme John Grierson, accompagné d’un film de Mac Laren, de courts métrages documentaires et de films expérimentaux de Len Lye, un autre inventeur de cinéma, le 21 février à 16h30 au Gaumont et le 25 février à 16 h à l’Arvor.