Après des études aux Beaux-Arts de Lisbonne, le réalisateur portugais José Miguel Ribeiro se prend de passion pour le cinéma d’animation lors d’un stage à Rennes en 1999. Il fait ses armes auprès de figures de l’animation bretonne : Jean-Pierre Lemouland (créateur de JPL Films), Philippe Julien, Laurent Gorgiard (réalisateurs), Fabienne Collet (cheffe costumière)… Cette formation a changé sa vie !
En 2013, il se lance dans l’aventure de son premier long-métrage Nayola avec Virgilio Almeida, scénariste et ami du réalisateur depuis plus de 20 ans. Ce road-movie qui retrace le parcours de 3 femmes, 3 destins touchés par la guerre en Angola est co-produit par le Portugal, la Belgique, les Pays Bas et…JPL Films, société de production rennaise. Un retour aux sources de sa passion pour cet auteur portugais !
Ce film, présenté en compétition au dernier Festival international du film d’animation d’Annecy et primé au Festival de Guadalajara au Mexique (Meilleur film) sortira en salle le 8 mars 2023 (Urban distribution) et sera à découvrir aux Rencontres de Films en Bretagne le 6 octobre en présence de l’équipe.
D’où vous est venue l’idée de cette histoire de Nayola ? Comment ce film est-il né ?
Tout a commencé quand le producteur portugais Jorge Antonio m’a envoyé la pièce de théâtre A Caixa Preta de José Eduardo Águalusa et Mia Couto. Une pièce très émouvante, abordant le thème de la famille, de trois générations de femmes qui se rencontrent. J’ai beaucoup aimé ce texte qui traite d’une réalité que je ne connaissais pas, avec une part de féminin très forte.
Quand je lui ai donné mon ressenti, il m’a dit : tu vas faire un long-métrage avec ça !
Nous sommes partis sur l’idée que cette histoire pouvait être racontée en prise de vue réelle couplée à l’animation, et qu’une durée totale de 40 minutes était suffisante. Le projet était donc au départ hybride. Au cours de la première année de travail nous nous sommes rendu compte que cette combinaison ne fonctionnait pas très bien ensemble, tant au niveau du récit et du rythme que visuellement. Nous avons alors changé de cap et décidé de traiter ce film uniquement avec l’animation.
Le défi dans ce film a été de m’approcher de la réalité. Entrer dans la société angolaise, dans sa culture, sa population, comprendre comment les Angolais avaient vécu cette guerre coloniale, comme ils l’appellent là-bas, la guerre de la libération, la guerre civile. Je voulais connaître l’histoire et l’évolution de ce pays du point de vue des Africains et non du point de vue des colons. Parce que je ne voulais pas faire un film sur l’Europe, ou regarder l’Angola à travers internet et les réseaux sociaux. Cela m’a pris beaucoup de temps pour sentir, ressentir les choses avant d’entrer dans les décisions artistiques et les diriger. Je voulais être à l’aise avec le thème, et le pays.
Ce peuple a vécu près 40 années de guerre. C’est un grand héritage, un traumatisme pour plusieurs générations de l’Angola. Tout le monde connaît quelqu’un qui a disparu, qui s’est perdu. On m’a raconté qu’à l’époque, tous les dimanches à la même heure certains se donnaient rendez-vous pour essayer d’avoir des informations sur des proches disparus. Je suis entré dans cette réalité. Cela m’a pris cinq ans de recherche et de travail avec l’équipe, dont Virgilio, lui-même proche de cette histoire puisque son père est Angolais.
C’est le premier film de la sorte que je réalise car mes précédents sont autobiographiques. Notamment un film que j’avais déjà fait au Cap-Vert et en Guinée, où mon père était militaire, au combat pendant 4 ans, lors de la guerre coloniale portugaise. Cette histoire familiale a aussi influencé la décision de faire le film sur Nayola.
Comprendre le point de vue des femmes a été également un réel enjeu. Les femmes de l’équipe, notamment Johanna Bessière (animatrice 3D), m’ont permis de mieux appréhender le côté féminin. Recueillir leurs points de vue et leurs sentiments a été très important pour moi.
Ce travail pour « sortir de moi-même » a été le plus difficile, et en même temps le plus intéressant. Je suis sorti de l’endroit où j’étais, pour aller dans un endroit qui était loin pour moi.
Je suis maintenant un peu plus femme, et un peu plus Angolais !
Comment s’est passé le travail d’écriture du scénario et la collaboration entre vous deux ?
José : Nous avons commencé l’écriture en 2013 quand j’ai reçu la pièce de théâtre, et le film est sorti en 2022. Nous avons écrit beaucoup de versions du scénario, beaucoup, qui ont évoluées avec nos recherches, nos ressentis, nos décisions.
Virgilio : Nous avons commencé par étudier la pièce de théâtre, un manuscrit de 66 pages avec beaucoup de dialogue. Le lire dans la continuité prend 20 minutes. Le challenge était de transformer ce texte pour en faire un récit de 80 minutes. On a donc fait un gros travail préalable d’adaptation, de recherche de scènes supplémentaires etc. Nous avons travaillé sur une triple thématique : la guerre, l’amour, le voyage, et nous est venue l’idée d’écrire un road-trip, un film qui invite au voyage.
Pour ce qui est des décors, je me suis inspiré des paysages de l’Angola, tellement beaux, avec tellement d’écosystèmes différents, des montagnes, des plaines, des rivières, des déserts… Ma famille est d’origine angolaise et j’ai toujours eu un lien fort avec ces lieux.
Pour l’écriture des personnages, j’ai été très heureux de voir que les rôles dans cette pièce étaient tenus par trois femmes. Des femmes africaines, dans une société qui reste très matriarcale.
Nous avons perçu très vite le tempérament de la Grand-mère. Elle contrôle tout, garde tous les secrets. Tous ses silences sont contrôlés. En revanche, si nous avons eu besoin de chercher le caractère de Nayola – qui cherche son mari et qui se cherche en quelque sorte de plus en plus elle-même, c’est pour la 3e femme, la plus jeune, la plus révolutionnaire, que cela a été le plus difficile. Je crois que j’ai écrit trois versions du scénario. Cette adolescente Yara nous a donné beaucoup de travail car elle est notre fil conducteur de l’histoire. Pour bien construire les personnages, nous avons travaillé avec une comédienne chanteuse pour ce personnage. Une femme qui combat pour les droits humains, qui a souffert et veut changer le monde comme son père, sa mère, ses grands-parents.
Pour et avec elle, nous avons réécrit le scénario et exploré cette notion était notre préoccupation principale dans le film : toutes les personnes qui vivent une guerre n’en reviennent jamais indemnes, sont fatalement différentes, et n’ont de cesse de se chercher elles-mêmes.
José : L’autre moment important dans le processus d’écriture était celui du choix des voix des personnages. On nous avait prévenus qu’il serait difficile de trouver trois actrices en Angola. Il n’y a presque pas de jeunes actrices, il n’y a pas de théâtre professionnel, les femmes font beaucoup de choses mais il n’y a pas de comédiennes professionnelles.
Pour le rôle de la grand-mère, ça a été relativement rapide car j’avais repéré une actrice qui avait déjà travaillé avec Jorge et ça a très bien fonctionné avec elle.
Ça a été plus compliqué avec les deux autres !
Pour trouver qui incarnera le personnage de Yara, je suis allé chercher du côté de la musique et de la danse. C’est là que j’ai découvert Feliciana Délcia Guia, une râpeuse qui faisait une battle avec un homme de façon très chorégraphique, très théâtrale. Quand je l’ai vue sur la vidéo j’ai senti l’énergie d’une très belle femme, forte et fragile à la fois. Elle avait toutes les dimensions que nous cherchions pour ce personnage. Pour moi elle est fragile parce qu’elle a un passé qu’elle n’a pas résolu et qu’elle souffre de cela. Pour quelqu’un qui ne sait rien de ses parents, le vide est tellement grand que c’est douloureux.
Il ne manquait plus que Nayola. Nous l’avons trouvée en faisant un casting via la société de production angolaise qui nous a envoyé la vidéo d’une artiste qui faisait du slam. Ce n’est pas une actrice mais elle sait projeter sa voix.
Puisque ces 3 femmes n’étaient pas actrices professionnelles et que je n’étais pas sûr d’obtenir ce que je cherchais, j’ai passé un mois en Angola pour les rencontrer, apprendre à les connaître avant d’enregistrer leurs voix et faire en sorte qu’elles se sentent à l’aise, que les personnages soient une partie d’elles-mêmes, qu’elles se les approprient.
On a pris soin également avec Virgilio que les dialogues de chaque personnage soient nourris de la propre histoire des comédiens et comédiennes qui leur donnent voix. En cinéma d’animation on a toujours la sensation que l’on regarde et que l’on écoute des poupées raconter les histoires. Ce qui me passionne, c’est de faire en sorte que les personnages soient le plus humain possible.
Nous avons notamment montré aux animateurs les vidéos des séances de travail avec les personnes qui prêtent leur voix aux personnages. Ils se sont inspirés de leur physique, de leur regard, leurs gestes, et de détails plus subtils. Les choses les plus importantes sont parfois celles invisibles, les silences, l’immobilité.
Vous utilisez différentes esthétiques dans le film : de la 2D et de la 3D…
Il y a deux histoires parallèles dans ce road-movie, il y a le passé et le présent sur une période de 16 ans. Nous avons voulu caractériser ces époques distinctes pour que le spectateur puisse ressentir des émotions différentes.
La 3D permet le contrôle et l’insertion de micro-mouvements qui rendent l’image plus fluide et que le dessin traditionnel ne permet pas. En 2D il n’y a pas cet espace, l’image animée est plus saccadée.
C’est pour cela que nous avons choisi la 3D pour le présent et pouvoir travailler la part intérieure des personnages, et la peinture et le dessin animé pour le passé, notamment pour montrer le voyage et la transformation de Nayola dans ce périple.
Dans ce voyage il y a aussi différentes hauteurs de décors que je voulais différentes. J’ai essayé d’orchestrer et d’harmoniser tout cela pour faire en sorte que chaque scène change par rapport au parcours que Nayola, sans jamais perdre les styles et valeurs des artistes avec lesquels j’ai travaillé. Les décorateurs et décoratrices ont fait un travail extraordinaire.
Cela donne cette richesse graphique que l’on expérimente en voyant le film.
Propos recueillis par Lubna Beautemps et Cécile Pélian, juin 2022