Parler du Mois du film documentaire aujourd’hui, à l’heure de Cannes et des week-end prolongés, pourra sembler anachronique à ceux qui relient l’évènement au mois de novembre exclusivement. Pourtant, la fin de l’année calendaire n’est que le point d’orgue d’un travail au long cours qui ne s’interrompt pour ainsi dire pas, et qu’effectuent dans l’ombre des acteurs très investis et qui méritent notre éclairage. En Bretagne, c’est aujourd’hui le temps de la sélection des films qui seront peut-être projetés dans six mois…

 

Chaque année depuis 17 ans, le cinéma documentaire gagne tout le territoire français, c’est-à-dire, possiblement, chaque région, département, ville, village, hameau. Et ses habitants. Pour atteindre ces publics, il faut de bonnes volontés et parfois trouver à les accorder : celle, par exemple, des élus locaux, qui doivent avoir à cœur d’intégrer le cinéma documentaire dans leur politique culturelle, celle des structures de diffusion, associatives ou privées, convaincues qu’il y a dans cet engagement le ferment d’une circulation vertueuse, d’une ouverture et d’une cohésion. Pour atteindre ces structures et leurs élus, il faut d’autres passionnés, des médiateurs dont le documentaire est en quelque sorte la spécialité, des chargés de mission (entourés de bénévoles le plus souvent), réunis au sein de coordinations départementales, des professionnels qui oeuvrent à l’année pour dénicher les pépites et les curiosités qui susciteront émotion, réflexions, intérêt et passions.
En Bretagne, ces coordinations sont au nombre de quatre : Comptoir du doc pour l’Ille-et-Vilaine (Agnès Frémont, Émilie Morin et Célia Penfornis), Daoulagad Breizh pour le Finistère (Erwan Moalic), Cinécran pour le Morbihan (Sarah Budex et Jean-Christophe Monneau) et Ty Films pour les Côtes-d’Armor (Maxime Moriceau). Elles ont chacune pour vocation de présélectionner les films qu’elles proposeront aux diffuseurs lors de journées de visionnage afin de réunir les choix de programmation de chacun, d’organiser le Mois du Film documentaire à leur échelle, de créer un maillage local fort, de l’animer et de le développer. C’est un premier niveau d’intervention. Il en est un second, indispensable pour une vision harmonisée et globale de l’évènement : la coordination régionale.

Constituée comme on s’y attend des quatre coordinations susmentionnées, elle a pour vocation d’ancrer les initiatives locales et d’investir les modes de fonctionnement jugés les plus efficaces dans un projet collectif plus ambitieux du point de vue de sa portée et des moyens mis en œuvre pour l’organiser. Ainsi, les coordinations départementales se réunissent-elles régulièrement de janvier à décembre pour des questions de bilans, de programmation, de budget et d’organisation. Cette année, avec ses trois nouvelles recrues dont nous avions parlé en décembre dernier, la coordination régionale tend à renforcer ce lien entre les associations porteuses de l’évènement dans l’optique de rendre plus fluide son fonctionnement et de simplifier ses relations avec les structures partenaires. Des mots déjà présents dans le lexique attaché à la coordination tendent cette année à prendre la place du maître dans l’organisation de cette nouvelle édition : mutualisation, communication, simplification, normalisation. Des mots au service d’un objectif commun : promouvoir le documentaire de création et faciliter les moments d’échanges et de débats artistiques et citoyens.

 

Six coups de coeur

 

On l’a dit, l’un des enjeux portés par la coordination régionale, c’est la programmation. Et celle-ci concerne six films en particulier, six œuvres estampillées « coups de cœur régionaux ». Si les films concernés suivent le même processus de sélection que tous ceux qui seront proposés à l’échelle départementale (repérages par les programmateurs, présélection au sein des comités), ils n’ont pas tout à fait la même nature, ni ne bénéficient des mêmes moyens. Sur ce point, la coordination touche en effet une subvention de la Région Bretagne qui, d’après Sarah Budex de Cinécran « couvre les frais liés aux tournées régionales, avec cette volonté très affirmée de rémunérer les intervenants », ce qui, il faut le souligner, n’est malheureusement pas le cas dans de nombreux autres territoires.
Quant à ce qui différencie un film coup de cœur régional d’un film « d’intérêt plus local », il s’agit pour Sarah de films qui ouvrent plus grand encore le spectre de la réflexion et dont on suppose qu’ils pourront rencontrer leur public n’importe où sur le territoire. « Ce doivent être des films dont les qualités d’écriture et de mise en scène sont exceptionnelles, qui adoptent un point de vue original sur des thématiques peu explorées, en tout cas différemment. Des films qui nous obligent et dont on peut penser qu’ils offriront aux spectateurs l’occasion de regarder le monde autrement, et d’en discuter. »
Deux longs-métrages documentaires sont donc proposés par chaque association parmi lesquels ils en choisissent six, en prenant soin à ce qu’ils ne soient pas trop longs (pour laisser du temps au débat qui suivra) et à ce que la programmation s’équilibre en termes de sujet et de traitement.

Pour cette 18e édition, le jury a délibéré et décerné son unique prix (une tournée régionale) aux films suivants :

Burning Out, de Jérôme Lemaire, produit par At-Doc, Zadig Productions & Louise Productions

 

Islam pour mémoire, de Bénédicte Pagnot, produit par .Mille.et.Une.Films : « Islam pour mémoire est sorti le 22 mars dernier ; nous souhaitions qu’il puisse continuer à être vu et que le public rencontre la réalisatrice, tant il nous semble être un film nécessaire, profond, bienveillant, apaisé pour réhabiliter une culture de l’islam si riche, trop facilement réduite aux évènements tragiques du présent, par manque de connaissance bien souvent. Le cinéma documentaire nous permet d’aller au-delà des clichés et de nos préjugés, ce que Islam pour mémoire fait, d’évidence. » Agnès Frémont pour Comptoir du Doc.

 

Un Paese di Calabria, de Shu Aiello & Catherine Catella, produit par Tita Productions : « ce film a fait l’unanimité dans notre comité. C’est une autre manière de parler de migration forcée que celle qu’apportent les flux incessants d’information, avec un point de vue plus humain et optimiste. C’est un film dont nous avons pensé que les gens pouvaient avoir besoin. » Sarah Budex

 

Les Vies de Thérèse, de Sébastien Lifschitz, produit par Agat Films & Cie

 

Il reste maintenant aux structures de diffusion à faire leur choix dans chaque département, choix que chacun pourra retrouver sur un ou plusieurs écrans proches de chez lui en novembre prochain. À l’heure où les chiffres de fréquentation de la plus grande et de la plus démocratique des célébrations du cinéma documentaire accuse une baisse de fréquentation à l’échelle nationale, la Bretagne voit ses résultats progresser très nettement en 2016 : plus de séances (+33) auxquelles ont assisté 2 427 personnes supplémentaires lors de la 17e édition (20 266 spectateurs au total en Bretagne). Voilà qui confirme l’engouement du public breton pour le cinéma, la rencontre et le débat, un public que le documentaire touche droit au coeur.

Gaell B. Lerays