La 17e édition du Mois du film documentaire prenait fin début décembre et à quelques encablures de la majorité. Eux l’ont, la majorité, depuis hier, allez ! Ils s’appellent Émilie, Sarah et Maxime et leur jeunesse n’a d’égale que leur énergie et leur capacité à agir et à réagir à la vitesse du vent. Tous les trois ont été propulsés coordinateurs du Mois du doc dans trois de nos quatre départements, un peu au dernier moment. L’occasion de lever le voile sur un aspect déterminant de ce rendez-vous phare du cinéma documentaire, en lui donnant trois visages humains.
27, 28 et 32 ans, c’est l’âge de trois nouveaux électrons dans la formule documentaire du Mois du doc en Bretagne.
Quelques points à éclaircir peut-être sur la manifestation elle-même : initiée par Images en Bibliothèque, elle essaime le territoire entier durant le mois de novembre et est portée en régions par des associations qui en font la promotion et coordonnent l’événement et se portent ainsi garant de son bon fonctionnement. Ça commence par les films qu’il faut sélectionner, les prévisionnements à organiser, les producteurs, réalisateurs, salles et médiathèques à contacter, les catalogues à concevoir et les calendriers et autres plannings à établir. Un casse-tête qui pour ces trois nouveaux venus a dû se démêler en accéléré et sans retour en arrière possible. Car chacun d’eux a pris ses fonctions entre un et deux mois avant l’ouverture des feux, prenant en marche une machine qui par endroits présentait un statu quo alarmant. Quid de ce scénario haletant ? un happy end ! Les premiers bilans font état d’un enthousiasme généralisé et d’une fréquentation encore accrue cette année. Mais qui sont donc ces trois super héros qui ont œuvré dans l’ombre aquatique de leurs écrans, le plus souvent ?
Portraits
Sarah Budex, 27 ans : « Profils paysans de Depardon a été pour moi une expérience bouleversante et déterminante dans ma conception du cinéma. Pour moi qui prête tant d’importance à l’aspect social des choses, ce fut un choc politique, esthétique et éthique. »
Sarah naît et grandit à Vannes auprès de parents cinéphiles et partageurs. Elle étudie l’anglais en même temps que le cinéma à Rennes 2, passe un CAP de projectionniste et s’interrompt quelques temps pour voyager tout en exerçant son premier métier à l’heure finissante du 35mm. Quand celui-ci disparaît des salles, elle reprend un Master à Paris 3 Sorbonne Nouvelle en Économie, Sociologie et Nouveaux Médias et se spécialise dans l’exploitation des salles. Dans le même temps, elle fait un stage d’assistante de programmation chez Carlotta et négocie les droits de diffusion de films que l’association Le Cinéma Numérique Ambulant projette en Afrique. Son Master en poche, Sarah rentre à Vannes où, après un CDD de transition au Cinéville La Garenne en tant qu’assistante du directeur, elle rentre chez Cinécran comme renfort pour le Mois du Film Documentaire. Elle connaît bien l’association vannetaise qui collabore très régulièrement avec le cinéma de la Garenne et Sarah appréciait déjà beaucoup leur travail. Dès sa première journée, elle doit faire face à des défis qu’elle n’aurait pas imaginés et les difficultés seront légions durant ce seul mois de reprise en mains de l’organisation. Heureusement, Sarah a pu compter sur Erwan Moalic de Daoulagad Breizh, le quatrième larron de la coordination régionale, seul coordinateur « historique », – et vers qui nous reviendrons en janvier, à l’heure des bilans – pour l’assister quand elle en avait besoin, et sur Célia Penfornis de Comptoir du Doc, pour un cours magistral express sur les tenants et les aboutissants de l’événement. Sarah se dit enchantée par sa relation avec les autres coordinateurs et par les échanges auxquels elle a assisté après les projections : « ce sont des moments privilégiés. C’est comme si chacun arrivait avec ses bagages, qu’on en échange quelques uns, et qu’on reparte avec des choses de l’autre à la fin. » Elle apprécie aussi la décentralisation qui participe de l’identité de l’événement. Puisqu’elle poursuivra sa route avec Cinécran (elle vient de signer un CDI), Sarah souhaiterait plus et mieux accompagner les médiathèques et leurs séances, et être plus présente aux côtés des intervenants sollicités. L’an prochain…
Maxime Moriceau, 28 ans : « Le cinéma documentaire pour moi, c’est la forme la plus libre, la forme de toutes les formes. Le genre qui réunit la plus grande diversité de films. »
Après un BTS audiovisuel à Montaigu où il découvre le cinéma documentaire, Maxime part à Nantes puis à Angoulême poursuivre des études universitaires de réalisation documentaire. C’est à l’issue de son Master 2 qu’il réalise En apparence, un premier film programmé aux Rencontres de Mellionnec en 2012, un premier contact professionnel avec l’association. Un peu après, on lui offre là-bas de réaliser l’un des portraits ; ce sera Marine pour Maxime. Envoûté par l’endroit, Maxime décide de revenir y vivre et négocie une rupture conventionnelle de contrat avec la société parisienne pour laquelle il travaillait, comme assistant monteur notamment. Il passe une année à écrire un film sur son grand-père, qu’il garde au chaud pour l’instant. En 2015, Maxime intègre la coopérative d’activités Avant-premières en tant que réalisateur ; il peut ainsi facturer des prestations, comme des ateliers périscolaires dans sept écoles primaires du Centre Bretagne. En 2015 toujours, il participe au Mois du Film Documentaire pour la première fois, en tant que projectionniste pour feu l’association Double Vue. Quand celle-ci met la clé sous la porte et que Ty Films est pressentie pour s’occuper du Mois du doc, Maxime accepte de prendre en charge la coordination de l’événement. Il confie s’être attendu à prendre le train en marche, il ne s’y était pas trompé. Sans doute a-t-il manqué de temps pour rencontrer en amont les personnes qui font le Mois du doc sur le terrain, le temps qui aura manqué aux deux associations pour que le passage de relais se fasse sereinement ; mais il a néanmoins été très bien accueilli une fois la manifestation lancée, chacun étant soulagé d’avoir à nouveau un interlocuteur après une zone de flou inconfortable. Seul le catalogue, source principale d’information pour les fidèles de ce rendez-vous annuel, a connu quelques imprécisions horaires et de calendrier. Pour ce qui est des qualités que réclame un tel poste, Maxime parle d’anticipation et de projection ; quant à ses préférences dans l’exercice de sa mission, il évoque sa concrétisation au mois de novembre comme une manière d’apothéose. Pour la prochaine édition, il espère réussir à suffisamment segmenter les tâches pour mieux déléguer, notamment en termes de communication, et ainsi libérer du temps pour pouvoir le consacrer à l’aspect relationnel de sa mission. Il attend également de plus participer au choix de films estampillés « coups de cœur régionaux », l’occasion pour chacun des coordinateurs de découvrir les films élus par leurs partenaires. Maxime poursuit aujourd’hui sa route au sein de Ty films, où il coalisera avec Pauline Chevallier un atelier sur la re-création en documentaire avec des jeunes de Mellionnec, et un atelier de programmation avec les jeunes du quartier de la Croix Lambert, avec l’association Le Cercle, à Saint-Brieuc (dont les choix de films seront présentés lors des prochaines Rencontres).
Émilie Morin, 32 ans : « Mon lien au cinéma est un lien d’émotion. Ce travail du son et de l’image qui emmène dans des univers et renvoie à des choses qui chamboulent, je trouve ça très fort, et c’est ce qui m’intéresse. »
Émilie commence par la biologie, sans trop savoir pourquoi faire. Mais tous les chemins ne mènent-ils pas au documentaire ? C’est en s’exerçant à la médiation culturelle qu’elle découvre ce pan du cinéma qui la fascine assez pour provoquer un changement radical d’orientation. Elle quitte Paris pour Lyon où elle suit un M2 de production documentaire, travaille un an dans la partie à Annecy, avant de se rendre compte que c’est faire des films qu’elle voudrait. Elle part suivre la formation Créadoc d’Angoulême où elle rencontre Maxime Moriceau, qu’elle retrouve pour la réalisation des portraits de Mellionnec, Ty Films l’ayant elle aussi sollicitée. Émilie choisit ensuite de s’installer à Rennes, et garde un œil sur et quelques activités à Mellionnec (le journal des Rencontres). C’est au laboratoire de développement argentique Labo K qu’elle expérimente et envisage les rapports que l’image fixe et le son peuvent entretenir avec le mouvement, ce qui fonde son cinéma. En 2015, elle expose ses photographies et ses dessins à Saint-Aubin du Cormier et au Théâtre de la Parcheminerie. Entre temps elle intervient au sein d’ateliers d’éducation à l’image et de création pour plusieurs structures, et travaille comme monteuse et preneuse de son pour d’autres. Émilie connaît bien Comptoir du Doc, et elle connaît également le Mois du Film documentaire quand l’association lui propose un poste pour développer l’action culturelle en son sein. Arrivée en septembre, elle a dû comme ses collègues apprendre sur le tas, avec cependant cet avantage sur eux qu’elle disposait de toute une équipe fort bien rodée (1) pour lui donner les informations qui lui manquaient, et d’une équipe de bénévoles qui « changent tout à l’ambiance générale et donnent de l’ampleur à l’événement par leur nombre et leur attachement », dit Émilie. C’est l’enthousiasme des partenaires et des publics qui l’aura le plus marquée, celui d’apporter et de recevoir ce cinéma à plein d’endroits, d’ordinaire à l’écart des programmes. « C’est un travail utile ! Créer du lien, c’est à cela que ça sert », se réjouit-elle. Elle a bien sûr comme les autres manqué de temps et prendra celui de « mieux rencontrer les gens et structures qui accueillent les séances et de comprendre mieux leurs besoins l’an prochain. » Après le succès des animations déjà mises en place cette année, il est prévu d’encore plus valoriser les séances de découverte du documentaire à l’avenir, à destination du jeune public et des scolaires, pendant et en dehors du Mois du Doc. Et de continuer d’inventer de nouveaux rendez-vous, tels ces apéros organisés cette année pour que les adhérents rencontrent les réalisateurs d’une manière chère à Comptoir du Doc, informelle.
On aura compris qu’après un mois d’une première expérience intense pour tous les trois et sur bien des aspects, la carte maîtresse est et restera l’humain. N’est-ce pas de là que part le cinéma documentaire, et vers là qu’il va…
Gaell B. Lerays
(1) Célia Penfornis, coordinatrice générale ; Agnès Frémont, chargée de programmation du Mois du Film Documentaire au sein de Comptoir du Doc et plus largement de la part artistique et d’accompagnement des intervenants ; Estelle Ribeyre pour l’aspect technique.