Melody, un long-métrage en coproduction


Après avoir achevé fin 2012 la production de son premier long-métrage de fiction, .Mille et Une. Films récidive en s’essayant cette fois-ci à la coproduction. Melody retrace le parcours d’une jeune femme de vingt-huit ans qui décide de devenir mère porteuse contre une grosse somme d’argent, ce qui lui permettra d’acheter le salon de coiffure dont elle rêve. Rencontre avec son coproducteur Gilles Padovani, en marge du tournage qui vient de s’achever dans le Finistère et à Rennes.

– Comment est venue cette idée de coproduction ?

– Gilles Padovani : au départ, Melody est un projet belge porté par la société Artémis. Le producteur Patrick Quinet est un producteur important en Belgique, il est président de l’UPFF, syndicat de producteurs francophones et a été très en pointe sur la réforme vertueuse du Tax Shelter (crédit d’impôt belge, ndlr). Comme beaucoup de producteurs belges, il travaille souvent en coproduction. Il coproduit la plupart de ses films avec Samsa Film, une importante société luxembourgeoise et il travaille aussi pratiquement toujours avec Serge Zeitoun de Liaison Cinématographique, une société parisienne dont il est actionnaire.
Patrick Quinet avait produit le premier film de Bernard Bellefroid : La Régate. Un très beau film qui avait eu (lui aussi*) le prix du public à Angers. Pour ce deuxième film, il s’avère que Bernard Bellefroid avait suivi, en 2011, la résidence du Groupe Ouest. Bernard est venu travailler à Brignogan et il a beaucoup apprécié sa collaboration avec Marcel Beaulieu, le scénariste qui le suivait. Il a aussi beaucoup aimé la Bretagne. Tant mieux, car une des conditions de la résidence implique de tourner, au moins en partie, en Bretagne.
Les critères pour pouvoir bénéficier du FACCA sur du long-métrage, quand on n’est pas implanté en Bretagne, obligent à effectuer des dépenses significatives en région et à y faire la moitié du tournage. Mais le Luxembourg était déjà partenaire, or pour pouvoir bénéficier d’un maximum d’argent du Luxembourg, il y a une sorte de règle de trois qui fait que plus il y a de dépenses d’argent au Luxembourg, plus l’aide est importante. Et une des données de l’équation nécessite d’effectuer la moitié du tournage plus un jour dans le pays. De fait, cela annulait un des deux critères bretons. Donc pour pouvoir tourner ici, ils se devaient d’obtenir un autre critère, et le seul possible était d’avoir un coproducteur sur place.
C’est ainsi qu’ils se sont tournés vers moi. Je pense que le fait que Les lendemains soit sorti peu de temps avant nos premiers contacts n’est pas un hasard. Nous sommes souvent sollicités pour faire des coproductions, surtout s’il y a des problèmes de critères. Mais à .Mille et Une. Films, on en fait peu, voire très peu. J’en ai fait une sur A côté de Stéphane Mercurio en 2007, et c’est pratiquement une des seules.
Ma ligne de conduite, c’est l’intérêt que je porte au projet et l’intérêt qu’il peut y avoir pour ma société. Là, j’étais assez tenté par l’idée de pouvoir participer à cette production internationale, même si ça reste un film avec un budget de 3 millions d’euros. Evidemment j’ai demandé à lire le scénario et à voir le précédent film de Bernard. J’ai beaucoup aimé les deux. Puis la rencontre avec Serge Zeitoun et avec Bernard m’a convaincu de m’engager sur ce projet. Les trois autres producteurs font souvent des coproductions ensemble et je ne suis pas à l’initiative du projet, j’ai donc une place un peu à part. Mais Patrick et Serge ont l’élégance et la générosité de se comporter avec moi de façon à la fois très attentive, très professionnelle et très cordiale.

– Est-ce que vous engageriez d’autres sociétés à s’investir dans ce genre de démarches ?

– G.P. : j’ai produit Les lendemains et on a fini le film fin 2012. Là je développe un long-métrage dont on vient de finir l’écriture et je vais mettre au moins deux ans à monter le film, ce qui nous amène en 2016 ou 2017. Ca veut donc dire que, pendant 5 ans, je n’aurai rien fait entre guillemets sur le long-métrage. Alors que pouvoir être coproducteur comme ça, ponctuellement, même si on en fait une tous les deux ans, ça nous inscrit dans cette filière-là, ça élargit nos contacts, ça nous positionne comme un acteur de cette industrie du long-métrage. De ce point de vue là, c’est très intéressant, on n’est pas juste une boîte aux lettres. Moi, j’apprends plein de choses, mes collaborateurs aussi. On s’enrichit d’un point de vue professionnel tout en valorisant l’image de la société. Et puis l’idée à terme, c’est bien sûr de pouvoir coproduire un jour un de mes projets avec Artémis. Je ne peux donc qu’encourager d’autres à le faire.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que ce type de coproductions internationales peut avoir tendance à diminuer un peu les possibilités de dépenses en région. En effet, une fois les accords de coproduction passés, il faut jongler avec les histoires de points : tant de jours tournés au Luxembourg, tant de post-prod en Belgique, nationalité du réalisateur, des comédiens, langue de tournage…. c’est un véritable casse-tête. Dans le cas présent, c’est la France qui amène le moins d’argent, les obligations de dépenses sont donc moindres. Par exemple, par rapport à un téléfilm français comme celui de Josée Dayan qui se tourne en Bretagne en ce moment, l’emploi breton sur Melody est moindre, mais les coproducteurs ont vraiment été corrects et se sont réellement battus pour respecter les engagements et nous avons « injecté » d’autres types de dépenses en Bretagne. Sur le téléfilm de Dayan il y a trente-six Bretons. Sur Melody, on est seize avec la prod (assistante et administratrice compris) ; il y a des techniciens, dont trois chefs de poste et ça c’est quelque chose d’important. La chef-maquilleuse, la chef-coiffeuse, la scripte, et le perchman ont fait les quatre semaines au Luxembourg avant d’arriver ici. Puis s’y sont ajoutés toute une équipe régie et quelques renforts. Mais il y a aussi le mixage qui s’est fait à Rennes : c’est pas mal de ramener de la post-prod sur une coproduction belge, eux qui grâce à leur Tax shelter interviennent souvent sur ces postes dans les coproductions avec la France. Pour finir, toutes les sorties seront faites en Bretagne : DCP, HDCAM, etc. Et sur une coproduction à trois pays, ça représente pas mal de travail. Pour conclure, je dirai que s’il y a moins d’emploi pour les techniciens, une coproduction comme celle-ci, qui fait travailler une production et ses salariés, des techniciens et des prestataires, me paraît plus structurante pour notre secteur.

– Films en Bretagne a monté un groupe de travail pour réfléchir au développement de la fiction longue en région. Je crois savoir que vous en faites partie…

– G.P. : aujourd’hui, dans le cadre de Films en Bretagne, on réfléchit à des rencontres auteurs/producteurs, à des mini-formations producteurs. Et si on élargit au développement du long-métrage en Bretagne, je pense que la coproduction est un élément intéressant. Dans la perspective du Pacte d’avenir et aussi de la mission Brucy, on pourrait imaginer que France 3 Bretagne et/ou la plateforme des télés locales s’engagent, de façon même modeste, sur un ou deux films par an. S’y ajouterait le fonds régional : filière ou FACCA, et si une Sofica bretonne ou un fond d’investissement voit le jour, la Bretagne pourrait devenir un partenaire intéressant, avec une possibilité d’apports financiers significatifs, des techniciens reconnus, des prestataires de qualité.

Propos recueillis par Mael Cabaret
* Les lendemains de Bénédicte Pagnot a reçu le Prix du Public au Festival Premiers Plans d’Angers en 2013.
Photographie en Une : Les interprètes principales, Lucie Debay et Rachel Blake (de gauche à droite) © Kris Dewitte