La Bretagne est en passe de devenir une véritable terre d’élection pour le cinéma documentaire. Parmi les acteurs qui œuvrent à son rayonnement et pour son développement, il est une association qui est parvenue à trouver son rythme de croisière en tirant tous les bords qu’il faut depuis dix ans : Ty Films. Jean-Jacques Rault et son équipage préparent ardemment le franchissement d’un nouveau cap avec un événement signifiant : une maison des auteurs vient d’ouvrir ses portes à Mellionnec. 

 

Mellionnec, ce village costarmoricain de 420 habitants, a le vent en poupe ! Depuis que Ty Films y est amarré et le lancement des premières Rencontres du Film Documentaire en 2007, ce petit coin de Bretagne n’a cessé de se développer, en partie grâce à l’association dont l’une des vocations est de contribuer à créer du lien, de l’activité et de participer à son économie. En octobre dernier, l’association ouvrait les portes de sa maison des auteurs, un bâtiment destiné à accueillir professionnels du documentaire de là et d’ailleurs, jeunes mousses prompts à monter à l’abordage et amateurs éclairés ou souhaitant devenir de nouvelles vigies du doc.

 

L’ESPRIT TY FILMS EN PRATIQUE 

 

Les Rencontres de Mellionnec fêteront leurs 10 ans cette année, et avec elles, une philosophie et des pratiques estampillées Ty Films, entre innovation et permanence.  Jean-Jacques Rault, le capitaine du navire, nous parle d’une méthode de travail qui, pour être risquée, n’en a pas moins fait ses preuves et à de nombreuses reprises depuis la création de l’association : « En général, nous avançons selon le même cheminement : une envie de faire quelque chose le plus souvent liée à une demande ; on tente, en se mettant régulièrement en péril, faute de moyens. Quand ça marche, on institutionnalise beaucoup plus, on met en place un financement et on peaufine le fonctionnement ». Cette méthode est née avec les Rencontres et dès la première édition. Elle provient d’un désir d’agir pour le documentaire et sur deux fronts : le public – y compris scolaire – et les professionnels. « Nous essayons toujours d’avancer sur deux jambes, les professionnels d’un côté et les spectateurs de l’autre. Toutes nos actions visent à respecter cet équilibre. Notre public est aguerri et nos bénévoles participent au fonctionnement de la structure à tous les échelons et toute l’année. »

 

Car Ty Films s’appuie beaucoup sur le bénévolat, comprenant amateurs et professionnels dans le cinéma. Jean-Jacques explique que les bénévoles ne sont pas là « pour faire des actions ou pour les accompagnements que nous prenons nous-mêmes en charge ou qui sont confiés à des professionnels du secteur, mais pour imaginer le projet au fur et à mesure. Ainsi, des groupes se sont formés pour organiser et éditorialiser des projections nomades dans des lieux parfois insolites sur le territoire, d’autres ont conçu les outils et donné une forme aux ateliers jeunesse dont nous constatons qu’ils fonctionnent vraiment bien. Un autre groupe se charge actuellement de questions immobilières qui sont pour Ty Films un point fondamental de son développement en lien avec son fonctionnement et l’économie locale. Avec l’accueil des formations et des résidences libres ou encadrées, nous avons de plus en plus de besoins en la matière ! Ce groupe a imaginé un système de location de chambres chez l’habitant, une façon de créer de l’économie. Nous recherchons en ce moment des mécènes et des fonds d’investissement qui doivent correspondre à notre éthique. »

 

Du côté de ces énergies créatives et créatrices, le fondateur de l’association se souvient que « depuis ses débuts, Ty Films a attiré les jeunes auteurs qui démarraient dans le cinéma documentaire. Nous avons toujours à cœur d’accompagner les films dits fragiles et de donner un coup de pouce aux auteurs qui auront le plus de difficultés à trouver un producteur ou un distributeur ».  Profitant de l’expérience et des outils mis en place par le Groupe Ouest pour la fiction, Ty Films développe des formations à l’écriture, ainsi que des résidences d’écriture soutenues par le Département des Côtes-d’Armor.

 

LA MAISON DES AUTEURS : UN LIEU ET PLUSIEURS NIVEAUX

 

La toute nouvelle maison des auteurs de Mellionnec accueille le visiteur avec un programme riche et varié inscrit à son frontispice. « Ce lieu, c’est deux étages et trois niveaux physiques, mais bien plus de niveaux d’occupation en termes d’activité. Le premier niveau est celui alloué aux auteurs de Mellionnec et de sa région ; 5 bureaux leur sont réservés à l’année. Le deuxième niveau concerne les formations qui auront toutes lieu ici désormais, comme ça a été le cas pour la première session de « Du Désir de film à l’intention » en décembre. Le dernier étage est pensé comme une salle de réunion, conviviale, avec un petit salon de visionnage ; c’est parfait pour ce type de rendez-vous et ça peut permettre aux adhérents de venir regarder des films de la vidéothèque. Dorénavant, nous sommes aussi prêts à accueillir des auteurs à la demande. Ils pourront venir de n’importe où et trouver ici un lieu où se mettre au vert tout en bénéficiant de la présence et de l’écoute d’autres auteurs au travail (1). Nous avons également initié cet automne des ateliers extra-scolaires qui viennent compléter nos actions d’éducation à l’image en direction de la jeunesse : ce qui n’était qu’une petite formation ludique au cinéma documentaire en 2015 deviendra dès février prochain un véritable cycle sur une année, de l’écriture à la finalisation d’un film, adressé aux jeunes de 12 à 17 ans et monté sur des financements de Passeurs d’Images, de la DRAC et de la Communauté de Communes du Kreiz Breizh»

 

Ty Films est aujourd’hui la seule structure en Bretagne à proposer à la fois des résidences de montage (2) et des résidences d’écriture. « En ce qui concerne l’écriture, nous allons passer un cap déterminant cette année. Après avoir testé un nouveau système de bourses pensé en partenariat avec le Conseil départemental des Côtes d’Armor, nous accueillerons dès 2016 des résidences d’écriture de 4 semaines, pensées sous la forme d’un accompagnement à la carte (3) en fonction des projets et de leur avancement. Nous travaillerons donc à l’écriture en utilisant également le dérushage d’images tournées avant ou pendant la résidence, car nous sommes convaincus que l’on peut trouver dans les rushes de quoi relancer ou dynamiser l’écriture. Nous avons fait le choix d’être déficitaires en 2015 sur ce projet dans l’optique de convaincre de nouveaux partenaires de s’associer à nous et d’investir ; nous avons emporté l’adhésion de la DRAC et sans doute celle de la SCAM en plus du Conseil départemental. La convention sera signée en avril prochain, 4 à 5 bourses seront attribuées par an, selon les mêmes critères qu’auparavant : ce qui prime, c’est la proposition de cinéma qui est faite sur un sujet donné et le point de vue affirmé par l’auteur. »

 

UN AVENIR SOURIANT

 

Une maison des auteurs, une résidence d’écriture nouvelle mouture auxquelles on peut ajouter la perspective d’ouvrir une salle de cinéma à Mellionnec (encore à l’état de grange), la création de deux postes à Ty Films… quel arbre cette forêt cache-t-elle ?! « Nous avons signé au printemps 2015 une préfiguration d’un Contrat d’Objectifs et de Moyens avec la Région, la Communauté de Communes et la Mairie de Mellionnec. Ce contrat, qui sera validé pour les prochaines Rencontres, doit nous permettre d’évaluer le développement de Ty Films sur trois à quatre ans – renouvelables – , de déterminer des actions de service public et d’évaluer le financement correspondant. Ce contrat part du constat que les actions que nous menons déjà sont dans la droite ligne des politiques culturelles de la Région et du Département, et que nous prenons effectivement en charge des missions qui sont de leur ressort en réalité. En contrepartie de ce financement, nous devrons créer un certain nombre d’actions en direction du public et des professionnels, comme la maison des auteurs, l’embauche de deux personnes, une salle de cinéma, etc. Le CNC interviendra en partenaire, de même que la SCAM (4)»

 

Ty Films est devenu au fil des ans un acteur incontournable sur un plan régional, il est en train de le devenir sur un plan national. Jean-Jacques Rault nous révèle un autre projet en cours de réalisation : « En appliquant une nouvelle fois notre bonne vieille méthode, nous allons tester cette année les différentes étapes d’une formation que nous voudrions mettre en place sur 9 semaines, un peu comme ce que font Lussas et La Fémis. L’objectif sera de réunir nos deux formations existantes – dramaturgie et intention –  et de poursuivre le cursus jusqu’à la fin du développement d’un projet avec une partie « connaissance de la production » et une dernière partie intitulée « film-esquisse (5) ». 

Ce n’est pas tout : faut-il déjà parler des relations plus qu’amicales qu’entretiennent Lussas et Mellionnec et qui feront du village breton un poste d’avant-garde pour ce qui concerne la phase professionnelle de la future plateforme Tënk (6) ? Évoquer dès à présent ce projet d’un Master documentaire ?… Si Mellionnec n’est pas encore Lussas, il suit la voie de son aîné et pourrait bien devenir cet autre village documentaire.

Gaell B. Lerays

[1] Et cela pour la modique somme de 5 euros la journée et 10 euros la nuit chez l’habitant.

[2] Les résidences de montage sont en réalité une proposition de regard extérieur et de confrontation organisée avec un public faite à des équipes qui ont loué le matériel de montage dont dispose Ty Films.

[3] En général trois semaines avec un auteur réalisateur, et une semaine avec un monteur.

[4] Le CNC organise déjà des séminaires dans le cadre des Rencontres du Film Documentaire. Il développera ce partenariat dès cette année. La SCAM, quant à elle, prendra en charge une partie des frais d’équipement de la maison de auteurs, le déplacement des auteurs pour se rendre à Mellionnec. Il est également question que le CNC et la SCAM s’associent pour mettre en réseau les maisons des auteurs en France.

[5] Les commissions d’aide sont de plus en plus en demande d’ajouts d’images signifiantes aux dossiers déposés.

[6] Tënk est une plateforme SVOD éditorialisée, dédiée au documentaire de création et qui devrait voir le jour au printemps 2016.