Cette semaine, ARTE fête le 500e numéro de « Court-Circuit », son émission consacrée au court métrage. Si les professionnels connaissent bien Hélène Vayssières, la chargée de programme en charge du court à ARTE France, ils ont moins l’habitude de côtoyer Fabrice Dugast, le coproducteur délégué du magazine.

Un bureau à quelques centaines de mètres de la station du métro Château d’eau. Une grande pièce où cohabitent une machine à café et des stations graphiques, une salle de production et une salle de montage. C’est ici que, depuis bientôt quatre ans, est assemblé Court-Circuit, le seul magazine télévisuel qui nous plonge chaque semaine dans les coulisses des créateurs de films courts. Il est encore tôt et seul le ronronnement du percolateur accompagne les paroles de Fabrice Dugast.
Des études, du rock et du violoncelle à Rennes dans les années 80, un service civil en Sarre et un film sur Michel Butor en Suisse, premiers emplois audiovisuels à Hambourg puis atterrissage à Strasbourg où ARTE est en train de décoller. Il y travaille pour les soirées théma et réalise plateaux et habillages. En 96, les charmes de la flammeküche et du Riesling n’opèrent plus et il s’installe à Paris. La même année, il crée la société 3XPlus (prononcer Troisfoisplus) avec des associés strasbourgeois. Le développement de la chaine franco-allemande permet à des prestataires de s’implanter en Alsace. 3XPlus aura donc des bureaux à Paris et Strasbourg et réalisera du design d’antenne pour ARTE.
Nibelungen.com
Fabrice entame son tour du PAF : réalisateur pour France 3 sur le programme jeunesse Les Minikeums puis deux ans comme responsable du design et des bandes annonces chez TF1. La fin des années 90 approche et, avec elle, une certaine lassitude du travail dans les chaines. « Après avoir quitté TF1, j’ai pris conscience du potentiel des animations interactives » se souvient-il maintenant que le percolateur lui laisse la parole, « le média, tout en se révélant divertissant, permettait de proposer aux spectateurs une densité de connaissances plus grande que dans un programme linéaire, et surtout l’interactivité permettait à chacun de digérer le contenu à son rythme. J’ai eu envie de créer des programmes que je qualifiais de ludo sapiens».
En 2000, il propose à ARTE des projets d’ « aventures interactives » qui pourraient prolonger la vie des programmes diffusés à l’antenne. Et la chaîne signe un jeu d’aventure qui s’inspire des Nibelungen, le film de Fritz Lang, puis, en 2002, Pepe Carvalho, un privé à Barcelone, un pastiche de l’univers créé par Manuel Vàzquez Montalbàn. « C’était une sorte d’apothéose. Je puisais dans les livres de Montalbàn des références à l’histoire espagnole qui me permettaient de nourrir l’écriture de ce jeu qui était associé à la diffusion de la série télé Pepe Carvalho sur ARTE ». raconte-t-il en observant subrepticement le percolateur qui semble pourtant réduit au silence.
Ces premières réalisations lancent 3XPlus sur le marché des productions ludo-éducatives et permettent à la société de remporter des marchés auprès d’ONG ou d’institutions comme l’ADEME ou le Ministère des Finances. « Cette période nous a accoutumé à combiner des économies aussi différentes que celles du net et de la télévision ».
Arte Global
La porte d’entrée s’ouvre, une jeune femme entre, pose son manteau et, sans hésiter une seconde, glisse une capsule de café dans le percolateur. Nouveau flash back qui m’amène à m’interroger : le percolateur serait-il à Fabrice Dugast ce que la DeLorean est à Robert Zemeckis ?
Mon hôte essaye d’oublier le gargouilli qui emplit la tasse et m’entraîne fin 2006. Chez ARTE, on pense désormais « média global » et la quête est à l’interactivité. Hélène Vayssières cherche à renouveler la formule du magazine Court-Circuit qui est à l’antenne depuis 2001. Elle souhaite un nouveau concept d’émission qui intégrerait internet. « ARTE cherchait également à proposer une permanence du programme court via le net et compenser ainsi la programmation toujours tardive de ces films. Le tout était combiné avec la volonté de rajeunir l’audience de la chaine et le net paraissait être une solution » explique Fabrice Dugast.
Le 24 janvier 2007, la nouvelle formule de Court-Circuit concoctée par 3XPlus est à l’antenne. Le magazine est réalisé par Federico Vitali et la rédaction en chef est confiée à Frédéric Temps. Plus de sujets courts que dans la saison précédente et une volonté affirmée de rencontrer ceux qui réalisent les films courts. Fabrice Dugast applique son précepte ludo sapiens : Le Truc et La Leçon du Professeur Kouro (tient, lui aussi il semble tout droit sorti de Retour vers le futur…), deux séries décryptant les techniques du cinéma, sont mises en production.

La Leçon du Professeur Kouro

La totalité du magazine connaît un prolongement sur le net où il est accessible gratuitement dans une durée longue. « C’était une vraie gageure » explique le percolateur devant un Fabrice Dugast médusé, « il fallait produire un magazine et sa déclinaison interactive dans le même budget que la version précédente de Court-Circuit. L’apport de la chaine (623 000 euros pour les 35 magazines produits en 2007 par le pôle français) était complété par une aide sélective au magazine accordée par le CNC. Nous devions réitérer nos demandes auprès du COSIP tous les six mois et, au fil des demandes, nous avons eu la bonne surprise de voir le soutien augmenter : le CNC avait pris en compte le développement non-linéaire du programme et décidé de bonifier son apport ! ».
Mais avant que cette formule soit rôdée, les écueils n’ont pas manqué. Il a fallu faire évoluer les contrats des réalisateurs du magazine pour tenir compte de l’exploitation non-linéaire de leurs sujets, régler les problèmes de programmation induits par le fait que le programme non-linéaire n’est pas diffusé en Allemagne (la législation allemande limite le développement des sites internet des diffuseurs publics) etc. « Si nous avons pu avancer, c’est en grande partie grâce à la relation de travail solide et dynamique que nous avons entretenue avec Hélène Vayssières » tiennent à souligner à l’unissons Fabrice et le percolateur qui ne semblent pas du genre flagorneur.
Communauté pédagogique
Quel bilan tirer de ses quatre saisons de Court-Circuit ? « Je pense que nous avons atteint nos objectifs sur le net. La fréquentation du site de Court-Circuit a augmenté, notamment autour des concours de courts métrages que nous organisons. Nous avons aujourd’hui 15 000 inscrits dont la moyenne d’âge est beaucoup plus jeune que celle de l’antenne. Nos activités en ligne ont permis de renforcer ou créer des liens avec des écoles professionnelles comme La Poudrière à Valence, l’ESMA de Montpellier, l’ENSAD, Emile Cohl à Lyon ou Le Fresnoy. Et nous recevons régulièrement des demandes concernant l’utilisation de nos modules « ludo sapiens ». Je crois que nous avons réussi à créer une véritable communauté pédagogique autour du site » conclut le producteur.
Dans un grand nuage de vapeur, le percolateur interrompt une nouvelle fois notre échange et m’emporte vers la gare Montparnasse où nous avons rendez-vous avec une locomotive de ses amies…
JFLC
> La 500e de Court-Circuit est diffusée vendredi 17 septembre à 00h25