La 17ème édition des Rencontres de Films en Bretagne s’est tenue du 5 au 6 octobre au Centre des congrès et au cinéma Arletty de Saint-Quay-Portrieux. C’est sous un soleil radieux, et dans un décor naturellement somptueux, que les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel de France, mais aussi de Belgique et d’Italie, se sont retrouvés pour prendre des nouvelles, et en donner. Un rendez-vous entendu et construit comme un point d’étape, où les réflexions collectives se nourrissent des initiatives individuelles pour penser ensemble des projets ambitieux et ancrés dans leur temps. Un rendez-vous pour redire également la volonté collective, des professionnels comme des politiques, de poursuivre dans la voie d’une structuration et d’un développement de la filière, à l’intérieur et au-delà de nos frontières. La journée du vendredi était consacrée à un parcours découverte d’un média ancré dans un territoire, Lignes de Ville à Strasbourg.
Lignes de Ville est un média de poche démarré en avril 2017 à Strasbourg sur une première ligne de tramway. Aux Rencontres de Films en Bretagne à Saint-Quay-Portrieux, l’un de ses concepteurs Frédéric Burgun, également producteur audiovisuel, a consacré une journée à détailler son parcours de création. C’est une expérimentation actuellement en voie de duplication qui permet une diffusion ciblée d’œuvres audiovisuelles courtes. Une démarche qui a déjà accroché l’Institut national de l’audiovisuel mais aussi la chaîne Arte.
L’histoire de Lignes de Ville démarre par une simple observation, une nuit de décembre 2015 à Strasbourg. Ce soir-là, Frédéric Burgun, l’un des quatre associés de la jeune société de production strasbourgeoise Red Revolver, a préféré le tramway au vélo pour rentrer chez lui. À regarder les autres voyageurs ne communiquant pas entre eux, le nez sur leurs tablettes ou leurs smartphones, il a l’intuition qu’une application pourrait les réunir et les faire échanger autour de la ville qu’ils traversent et partagent sans vraiment s’en rendre compte. L’idée se traduit rapidement en mots : créer un média destiné aux seuls utilisateurs du réseau de tramway et se nourrissant avec les images de la richesse patrimoniale et sociale de Strasbourg. Red Revolver se rapproche de Data Projekt, une agence de communication spécialisée dans le développement de sites web et d’applications avec l’envie de proposer “des contenus sur quelque chose de direct pour le spectateur tout en offrant à de jeunes auteurs-réalisateurs un accès à une diffusion, défend Frédéric Burgun. Ceci en créant notre propre écran, le plus détaché possible des financements publics dans son fonctionnement”.
Dans un premier temps, les aides des collectivités restent déterminantes, les deux entreprises travaillent de concert et soumettent leur concept, sous une double entrée liant transport et tourisme, au dispositif d’appels à projets Tango et Scan. Porté par la métropole strasbourgeoise pour développer l’économie numérique, celui-ci leur accorde une bourse de 21 000 euros en juin 2016. Elle permet de démarrer les travaux de conception de l’application proprement dite et de démarcher des partenaires. La Compagnie des Transports Strasbourgeois, elle-même en pleine réflexion sur la dématérialisation de ses billets ou la production de contenus audiovisuels originaux pour faire passer ses messages aux usagers sur le bon comportement à observer dans les transports en commun, sent une opportunité à saisir. Elle vient abonder avec 30 000 euros supplémentaires un deuxième coup de pouce financier de 20 000 euros que le service Culture de l’Eurométropole Strasbourg a accordé au projet. “Les financements que nous avons obtenus sont hors des fonds de soutien classiques à l’audiovisuel”, précise Frédéric Burgun. Dès le développement du pilote, un partenariat de choix permet toutefois à l’application de gagner immédiatement en crédibilité : celui de l’Institut national de l’audiovisuel. Le courant est bien passé entre Frédéric Burgun qui, pour avoir travaillé comme prestataire en son sein, connaît bien la richesse de son fonds – sept millions d’heures d’archives de télévision et de radio depuis les années 1940 à aujourd’hui sans oublier 1,5 million de photographies de tournage – et une institution “aujourd’hui soucieuse de faire connaître cette matière au plus grand nombre en se tournant vers de nouvelles écritures, de nouveaux formats”, selon Christelle Molina, déléguée régionale INA, également présente à Saint-Quay-Portrieux. Un accord financier est conclu pour une mise à disposition de contenus déjà disponibles sur ina.fr et pour une cession de droits adaptée au fait qu’il s’agisse d’une diffusion sur le web. Le concours de l’INA a favorisé l’arrivée de la chaîne Arte, intéressée par la dimension franco-allemande de l’application, sa créativité et la possibilité offerte, en lui fournissant des contenus d’un gabarit adapté – Karambolages ou Ploup par exemple –, de capter une audience autre que celle qui la suit à l’antenne ou sur ses plateformes comme Arte creative.
Totalement bilingue, en français et en allemand, Lignes de Ville réunit aujourd’hui 40% de contenus produits directement par Red Revolver et Obella éditions où se mélangent des créations originales de short docs, de courts métrages, de web-séries, des illustrations et des contenus narratifs, certains sponsorisés mais sans publicité, et évidemment tous géolocalisés. Pour certains jeunes réalisateurs, ce peut être une ouverture pour une reconnaissance plus large : une web-série sur le handicap conçue pour Lignes de Ville a été acquise et diffusée par France 3 Grand Est. Des Strasbourgeois inspirés par leur ville ont également été repérés ou sollicités lors de résidences d’écriture : c’est le cas du blogueur Xavier Munch qui conçoit de drôles de pastilles sur les principaux clichés concernant Strasbourg…
Les 60% restant de la matière diffusée par l’application sont apportés par l’INA, Arte ou la filmothèque régionale Mira. La connexion au territoire étant la règle de diffusion, on peut voir Jean-Louis Barrault récitant le poème Liberté de Paul Éluard, puisqu’une des stations de la ligne D porte le nom de ce dernier. Idem pour la station des Halles avec une exploration de leur passé en compagnie de la petite fille au bretzel ou celle de Lansberg, proche d’une salle d’entraînement où l’on découvre dans un web-doc le jeune boxeur Khaled se préparant à un combat. Strasbourg ayant créé depuis 1997 un fonds de soutien à la réalisation de courts métrages, les usagers peuvent aussi regarder selon l’endroit où ils se trouvent sur la ligne de tramway des œuvres tournées dans la ville.
Gratuite et disponible au téléchargement sur iOS et Android, l’application mobile Lignes de Ville diffuse bien évidemment les informations pratiques concernant son principal partenaire la Compagnie de Transport Strasbourgeoise. Elle a d’ailleurs vu le jour le 29 avril 2017 à l’occasion de l’inauguration de l’extension du tramway sur la ligne D qui se prolonge jusqu’à Kehl en Allemagne. Son élargissement à d’autres lignes du réseau est programmé pour les prochains mois. Pour l’heure, sans véritable campagne de communication, elle a connu un pic de fréquentation à la rentrée de septembre avec trente utilisateurs par jour et enregistré deux mille téléchargements. La brièveté du temps de transport conditionne le format des œuvres proposées, mais la curiosité de l’usager s’étend parfois au-delà de ces limites alors qu’il reste à répondre au renouvellement régulier des propositions audiovisuelles. Le public visé fréquente en effet souvent la même ligne, jusqu’à près de 90% des usagers.
Frédéric Burgun et ses complices ne s’en effraient pas. Ils défrichent, améliorent déjà la navigation sur leur application et répondent aux sollicitations compatibles avec l’outil qu’ils ont mis en place. Ils ont pour eux l’existence du réseau 4G qui couvre la plupart des villes possédant un tramway, de belles possibilités de mémoire et de son dans les smartphones, et l’opportunité offerte aux transporteurs de diffuser des contenus informatifs sans installation spécifique dans les véhicules. D’autres villes comme Mulhouse, Nancy ou Aix-en-Provence sont intéressées par l’application Lignes de Ville et son modèle économique, mais Red Revolver n’entend pas se focaliser sur ce seul développement. La société continue de produire des documentaires de création pour les chaînes de télévision.
Christian Campion
NB : D’autres aventures transmédia existent en France, comme l’a rappelé le producteur Thierry Bohnké qui assurait la modération de l’étude de cas consacrée à Lignes de Ville à Saint-Quay-Portrieux. À commencer, à Nantes, par Les Contes de l’Estuaire.