Les Fleurs amères de Olivier Meys, un drame chinois tourné à Rennes


Lorsque les lumières se rallument, l’émotion est palpable ce lundi 16 septembre, dans la salle de cinéma de l’Arvor, à Rennes. Venus nombreux assister à l’avant-première du film d’ Olivier Meys, Les Fleurs amères, les spectateurs ont été happés par l’histoire de Lina, jeune femme chinoise ayant quitté son pays et sa famille dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure mais contrainte, in fine, de se prostituer sur les trottoirs parisiens. Un film juste et sensible, principalement tourné à Rennes et actuellement dans les salles.

Les cheveux bouclés et les yeux clairs, l’accent bruxellois agréablement trainant, la sinophilie d’Olivier Meys n’est visiblement pas à chercher du côté de ses origines ancestrales. À l’entendre, cet intérêt pour la société chinoise s’ancre plutôt dans un parcours de vie singulier. Né à Bruxelles, diplômé de l‘Institut des Arts de Diffusion en 2000, il intervient l’année suivante comme assistant réalisateur sur un long-métrage où il rencontre l’accessoiriste Weng Liping avec lequel il se lie d’amitié. « Cela faisait plusieurs années qu’il n’était pas retourné en Chine. J’avais, quant à moi, très envie d’aller là-bas. Nous avons entrepris de travailler ensemble et de réaliser un reportage radiophonique sur la contamination par le virus du Sida de quelque centaines de milliers de personnes dans la province du Henan. C’est donc par le son que j’ai commencé, ça a été mon école de la narration. » Un projet en entraînant un autre, Olivier Meys s’installe en Chine en 2005. Il poursuit son travail radiophonique pour lequel il est récompensé en 2010, à Brest, en recevant le Prix Longueur d’ondes pour Un Printemps oublié. « Mon premier contact avec la Chine coïncide avec l’entrée de ce pays dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Cette période marque de grands changements économiques et sociaux qui se répercutent aussi dans la vie des familles. J’étais à la bonne place pour être le témoin de tout ça. Mon travail documentaire s’est développé autour de ces grandes thématiques que relatait la presse internationale. Cependant, j’ai toujours essayé d’aller au delà de l’information et d’entrer dans ces grands sujets en passant par la petite porte, celle de l’humain, en m’appuyant sur des histoires familiales, des histoires d’amitié. » Il réalise ainsi Vies nouvelles, qui prend pour cadre un village déserté après la construction du plus grand barrage du monde, le Barrage des Trois-Gorges. Le film est sélectionné aux États généraux du film documentaire de Lussas, en 2005. « C’est à ce moment là que j’ai rencontré Gilles Padovani, je cherchais alors un producteur pour mon prochain film, tourné dans un hutong, un quartier populaire de Pékin racheté par l’État à l’approche des jeux olympiques de 2008. » Entre les deux hommes, la mayonnaise prend : Mille et Une Films sera coproducteur et le film récompensé du Prix international de la Scam au Cinéma du Réel en 2008. « C’est lors de ce séjour à Paris, que j’ai découvert l’histoire de ces femmes. », se souvient Olivier Meys.

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© Elodie Gabillard

 

L’histoire de ces femmes, c’est celle d’une émigration toute particulière qui concerne dans 85% des cas, des femmes de 35 à 50 ans, originaires pour la plupart du Dong Bei, une province du nord-est de la Chine. S’endettant pour rejoindre la France où elles pensent trouver une meilleure situation professionnelle elles n’ont, une fois arrivées à Paris, pas d’autres choix que celui de se prostituer pour rembourser la dette contractée pour partir. « J’ai passé entre un an et un an et demi à faire des recherches documentaires entre Paris et le Dong Bei pour comprendre comment se mettait en place ce cercle vicieux. J’ai rencontré des sociologues, j’avais besoin d’ancrer mon film dans une réalité pour me sentir à l’aise. », explique le réalisateur qui signe ici sa première œuvre de fiction. « Je n’entrevoyais pas la possibilité d’en faire un documentaire, mais finalement, je crois que je vais aussi loin, voir plus loin : il a fallu créer un personnage, le façonner pour qu’il génère de l’empathie, je ne suis pas sûr que nous serions arrivés à cela avec un documentaire. » Avec Loix Maarten comme premier scénariste, An Mei, scénariste chinoise pour adapter les dialogues et Benoit Dervaux comme chef opérateur, Les Fleurs amères, ne s’embarrasse pas des artifices de la fiction. « Grace au travail d’Adrien Souchet, chef décorateur, les décors se rapprochent au maximum de l’endroit où dorment ces femmes. Là encore, il ne s’agit pas d’imiter la réalité pour le plaisir d’en faire une reconstitution parfaite, mais c’est cet ancrage dans le réel, qui permet au spectateur de ne pas se poser la question du vraisemblable ou de l’invraisemblable et de se laisser totalement embarquer par le récit. » Et dans la salle quasi comble de l’Arvor, le public rennais s’est effectivement laissé embarquer…

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© Mille et Une Films.

 

C’est donc un brouhaha d’exclamations qui retentit lorsque, à l’issue de la projection, Gilles Padovani, coproducteur du film, annonce aux spectateurs que l’essentiel du tournage s’est effectué à Rennes ! Surpris, Olivier Meys le fut aussi : « Quand Gilles m’a dit que nous allions tourner à Rennes, j’ai été déstabilisé. J’avais imaginé le film à Paris ! » Mais le soutien de la Région Bretagne obtenu via l’aide à la production n’est pas sans contrepartie : 15% du budget doit être dépensé en région. Réalisateur et producteur trouvent un terrain d’entente : la première semaine de tournage, consacrée aux extérieurs, se déroule dans la capitale française. Olivier Meys veut capter l’énergie de la ville. S’ensuivent trois semaines à Rennes, pour tourner les intérieurs. Et le résultat est bluffant. « Je dois reconnaître qu’il y a eu un boulot incroyable. En plus les techniciens bretons et les techniciens belges se sont parfaitement entendus, il y a eu énormément de fraternité et ne pas tourner à Paris en Bretagne nous a offert un certain confort de travail, c’était moins stressant. »

 

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© Mille et Une Films.

 

En Belgique, le film, distribué par Cinéart, sort dès le printemps 2018 sur les écrans. Outre-Quiévrain, reste à trouver un distributeur. La recherche est longue et laborieuse, elle aura duré près d’un an. « Avec le Centre Wallonie Bruxelles, nous avons organisé deux projections et invité une quinzaine de distributeurs sans succès. À la rentrée 2018, nous avons décidé, à contrecœur, de contacter de plus petites structures. » C’est finalement aux Rencontres Cinéma de Gindou que deux distributeurs se manifestent. L’un deux, Urban Distribution porté par Frédéric Corvez et Jean-Jacques Rue, conclut le marché. La sortie en salle est fixée au 18 septembre 2019 : Les Fleurs amères sera projeté dans 28 cinémas de l’hexagone. Pour le public chinois, pas de projection en salle, « mais de beaux scores sur les sites de streaming », se réjouit Olivier Meys.

Il aura donc fallu que ce dernier signe sa première œuvre de fiction autour d’un fait de société chinois pour découvrir la Bretagne ! Une région qui n’a visiblement pas fini de séduire le réalisateur qui entame début octobre une tournée régionale avec Zoom Bretagne. Alors avis aux retardataires : rendez-vous vendredi 4 octobre au Cinéma Arletty de Saint-Quay Portrieux dans le cadre des Rencontres de Films en Bretagne !

Elodie Gabillard