Léo Dazin, Antoine Lareyre, Owen Morandeau : FAIRE MEUTE !



Ils sont trois.  Ils ont évolués dans la diffusion, l’écriture et la réalisation ainsi que dans la fabrication des films. Ce sont aussi des spectateurs assidus, ils aiment un cinéma populaire et spectaculaire sachant jouer du langage du 7e art. C’est cette passion qu’ils ont envie de partager…

Imprégnés de leur expérience et animés par leur désir, ils se sont réunis au sein d’un collectif Faire Meute dans la volonté de faire et de montrer autrement des films.

 

Pourriez-vous revenir sur vos parcours personnels précédant la fondation de Faire Meute ? Comment vous vous êtes rencontrés et autour de quoi vous êtes vous retrouvés et réunis ?

Léo Dazin : Nous nous connaissons depuis une dizaine d’années. Owen et moi avions commencé à tourner quelques films ensemble à Saint-Brieuc avant de rencontrer Antoine dans le cadre du Festival du Film de l’Ouest.

Owen Morandeau : Le festival a sélectionné deux de nos films la même année, Le Rogue de Léo et La Ville s’endormait de Thibault Le Goff et moi. Une relation s’est alors tissée entre nous, mais également nos associations respectives, Equinok Films et Courts en Betton. Elle nous a conduit à collaborer sur deux courts métrages, Gargantua de Léo et Le Péril jaune de Thibault et moi. Ces coproductions ont scellé nos habitudes de travail.

Antoine Lareyre : Le Festival du film de l’Ouest fut en quelque sorte un point névralgique. Léo et Owen ont rejoint le comité de sélection du festival avant même qu’Equinok et Courts en Betton ne coproduisent des films. Gargantua et Le Péril jaune préfigurent la genèse de Faire Meute et de notre travail en trio.

LD : Nous avons ainsi découvert nos affinités et désaccords au fil de longues discussions. Au-delà d’échanges autour de films se sont dessinées des affinités amicales. Par ailleurs, il est intéressant de noter la complémentarité de chacune de nos formations. Antoine s’est construit une première expérience dans la post-production à la télévision, Owen vers la régie sur des courts et longs métrages et moi qui sortais de l’université, j’étais l’intello qui ne savait pas faire grand-chose de ses mains.

AL : Ces différentes voies, bien plus complémentaires qu’antagoniques, sont une réelle richesse pour nous. Et nous nous comprenons sur ce qu’on attend du cinéma. Chacun a sa propre définition mais elles se complètent entre elles. C’est ce qui a fait émerger Faire Meute. Nous nous sommes entendus sur ce qui ne nous plaisait le plus et sur ce qui nous semblait faire défaut aujourd’hui dans les processus de fabrication ou de diffusion d’un film. Notre idée n’était pas de s’opposer à un système et une certaine forme de cinéma, mais plutôt de réfléchir à ce que nous pouvions faire au-delà.

OM : Les collectifs se rassemblent et se fédèrent souvent “contre”, mais l’important pour nous était surtout de définir ce autour de quoi nous nous retrouvons, ce que nous avons envie de faire conjointement. Si nous en avons assez du drame réaliste, quelle alternative présenter ? Quelle réponse apporter ? Nous n’oublions pas ce qui nous plaît dans le cinéma, ce que l’on appelle le spectaculaire. D’après nous, il faut privilégier une mise en scène recherchée face à un simple suivi d’actions, sans pour autant se regarder le nombril. Les spectateurs peuvent s’amuser sans que ce soit idiot. L’important est de leur donner envie de retourner en salle.

LD : Nous ne voulons pas seulement nous adresser à des spectateurs cinéphiles, qui ont déjà un goût et une culture du cinéma, ou nous adresser à la bourgeoisie culturelle en recherche de légitimation sociale ou de blanchiment intellectuel. Il s’agit pour nous de contribuer à une contre-culture (et pour cela il faut être au fait de la “culture légitime”) en passant aux actes. Si tu n’es pas un fils ou fille de, si tu n’as pas accès à un milieu très argenté et influent et qui a la prétention et les moyens de s’adresser au plus grand nombre, tu dois nécessairement en passer par le circuit des subventions qui, par ses filtres successifs (de l’autocensure des metteurs en scène, à la sélection des producteurs, en passant par ceux des différentes commissions et télévisions) est implicitement dirigé, cloisonné. Ce n’est pour le moment qu’à cet endroit-là que nous pouvons évoluer.

Comment envisagez-vous de mettre en œuvre ces résolutions au sein de Faire Meute ? Quels moyens sont à votre disposition et quels outils devrez-vous créer ?

AL : Pour comprendre Faire Meute, il faut savoir que nous travaillons à partir de trois pôles : le développement, la production et la diffusion. Nous envisageons chacun de ces pôles d’après nos propres expériences de terrain. Par exemple, Léo et Owen ont beau avoir connu des producteurs, leurs projets n’ont jamais pourtant pu aboutir. Ils ne font pas exception. Beaucoup de réalisateurs m’ont confié ne pas se sentir suffisamment bien accompagnés ou se sentir oppressés, voire broyés, par tous les rouages propres aux financements des films. Nous misons sur la mise en place de méthodes adaptées, en fonction de la nature de chaque projet et des différents profils, pour assister au mieux des réalisateurs et trouver notamment le moyen de contourner cette impression d’uniformisation par le système des subventions, bien que les tendances évoluent.
À propos de la diffusion, j’en arrive à la conclusion que la salle de cinéma ne peut plus être exclusivement le haut lieu où doivent être diffusés des films même si elle reste fondamentale. Quand je vais au cinéma aujourd’hui, ce qui est devenu rare par rapport à l’époque où j’y allais presque tous les jours, j’ai souvent l’impression d’atterrir dans un cimetière. J’en ai assez de voir dix personnes dans les salles d’Art et Essai et de cette sensation de procession quasi-muséographique. Pour faire revenir des gens dans la salle, ce qui doit être un réel enjeu aujourd’hui, nous pensons qu’il faut sortir les films de la salle, jouer avec ses frontières, créer de l’événement.

OM : Une fois un film terminé et passé en festival, il ne sort plus souvent des tiroirs. Or les films sont faits pour être vus et doivent circuler en dehors du circuit des festivals. Ils ont besoin de visibilité afin de faire un effet boule de neige. Pour La Ville s’endormait, j’avais moi-même édité des DVD qui ont circulé de main en main. J’en avais même déposé sauvagement à Rennes 2, dans des médiathèques ou aux Champs Libres. Le film ne nous appartenait plus, plein de gens le voyaient et c’est ce qui importe le plus.

LD : J’estime que ce qu’on essaye d’inventer ne s’adresse pas à notre génération. Son intérêt pour le cinéma en tant que lieu de commun, en tant que lieu de contre-culture ou d’école buissonnière, est déjà ruiné. Nous travaillons au long cours bien qu’il y ait quelque chose d’assez désespérant là-dedans.

AL : Malgré nos constats négatifs, notre idée est de construire un modèle, une autre manière de faire qui soit enthousiasmante. Faire Meute est un collectif qui repose sur deux outils juridiques : une association et une société. L’un pallie les limites de l’autre. Une association ne peut pas (ou difficilement), par exemple, produire un film en bonne et due forme et rémunérer toutes les équipes. De la même manière, une société ne peut pas, par exemple, organiser des actions et des événements culturels tels que nous le définissons dans le secteur associatif. Les deux statuts fonctionnent en parallèle et sont complémentaires. C’est ce qui fait la force de notre modèle : nous pouvons mobiliser des moyens qui sont propres à une société et à une association, avec des activités respectives bien distinctes, bien encadrées, mais toujours au service d’un projet plus global, plus large.

OM : Notre volonté est de subvenir aux besoins particuliers des projets auxquels nous portons de l’intérêt. Les modalités de production peuvent s’adapter. Dans le cadre des résidences, certains auteurs travaillent à leur propre scénario, d’autres peuvent être amenés à rencontrer un scénariste, un scénariste peut intervenir pour aider des réalisateurs à se poser des questions sur leur écriture. Ce sont les envies et les besoins inhérents aux projets qui doivent déterminer la forme que prennent les étapes du développement et de la production. Nous ne souhaitons pas nous enfermer dans une pratique de flux, de produits à la chaîne, où les films seraient interchangeables dans la manière dont nous les accompagnons. A cet égard, notre volonté est de savoir  mettre en œuvre des méthodes de productions en adéquation avec chaque film.

LD : Les réalisateurs et réalisatrices sont aussi des spectateurs. Lorsqu’ils font partie de nos résidences, nous leur demandons de s’en souvenir et de contribuer aux projets des autres participants. Nous attendons d’eux d’avoir un intérêt pour les films des autres, d’avoir un intérêt général voire une forme d’implication concernant le paysage audiovisuel. Cela peut rappeler un modèle italien d’après-guerre dans lequel les réalisateurs discutaient de leurs films ensemble, en tablées.

AL : En tant qu’association, nous pouvons inciter nos adhérents à nous faire des retours sur des scénarios en développement, nous faire part de leur avis, sans qu’ils aient forcément d’expertise ou de cinéphilie. Plus généralement, nous aimerions expérimenter la mobilisation des adhérents sur chaque étape : solliciter des ressources insoupçonnées lors de la production, demander leur avis lors de projection de work in progress avant finalisation d’un montage, par exemple. C’est la dynamique du collectif, que chacun s’implique et contribue aux projets en cours. C’est d’ailleurs tout le sens qu’on met dans le nom de notre collectif : nous devons nous ameuter, nous devons faire meute.

OM : La condition pour travailler sur un projet est de s’y investir. Nous en tant que producteurs, mais aussi les adhérents que ça intéresse. Pour éviter la mécanique de flux, il faut marquer notre intérêt véritable pour un projet, apporter un soutien, faciliter sa mise en production et sa diffusion sur le territoire.

Quels projets avez-vous d’ores et déjà enclenchés ? Avez-vous d’autres objectifs à l’avenir ?

AL : L’association ayant été créée en novembre dernier, nous sommes encore à un stade de structuration et d’officialisation. La création de la société se fera d’ici la fin de l’année. Comme nous venons du milieu associatif, celui de la société de production est encore un peu flou. À mon sens, c’est une bonne chose qu’on n’en sache pas trop. La naïveté des débuts et propres à de nouveaux projets aide à ne pas trop appréhender les obstacles et ne pas redouter la montagne que l’on doit gravir : c’est l’expérience que je tire des débuts de Courts en Betton. À l’époque de sa création, je n’y connaissais pas grand-chose en termes de diffusion. Si j’avais su tout ce que cela pouvait impliquer, notamment à l’endroit de sa professionnalisation, je me serais sûrement exposé au risque de baisser les bras. J’ai surtout appris en faisant et j’ai fait confiance à mon intuition.

OM : En attendant la création de la société, plusieurs films sont actuellement en développement. À l’issue d’une résidence d’écriture, Damien Stein et François Le Gouic élaborent leur premier projet de co-réalisation, adapté d’une nouvelle de Damien : Les Érections. Léo travaille à son film La Mort de César. Cet automne nous organiserons une résidence entre différents réalisateurs. Ils proposeront des synopsis qui seront réunis sous la forme d’un film omnibus, que l’on appelle pour l’instant L’Omni-meute. Ce sera l’occasion de mettre à l’épreuve la synergie et l’émulation entre les auteurs.

AL : Nous voulons aussi évidemment aller vers le long métrage.

OM : Les spectateurs regardent principalement des longs métrages et des séries aujourd’hui. L’écriture  sera différente et le budget plus réduit, mais ça participe de notre envie de progresser et d’aller vers les spectateurs.
Nous organisons également un événement à Taden le 24 juillet à 17h00 : les Films de la Meute. Nous voudrions reconduire chaque été un événement en lien avec un film, en l’occurrence Le Jérôme Bosch 9000 de Matt Mandibul. La projection sera agrémentée d’un concert de Rouge Gorge, le compositeur de la bande originale du film, d’une conférence absurde sur la pratique du puzzle organisée par les acteurs du film et de jeux de société à la disposition du public. Nous nous sommes demandé comment créer un écrin événementiel autour d’un film.

LD : Il ne s’agit pas pour nous de créer un empire de diffusion, mais, plus modestement, d’apporter une pierre à l’édifice du “repenser le cinéma de son développement à sa diffusion”. La “culture” agit comme une pierre tombale sur à peu près tout ce qu’elle touche. Dans le cadre de la diffusion, nous cherchons à créer des lieux de vie dont la pierre angulaire serait le cinéma. Ce n’est pas pour rien si nous nous sommes rencontrés sur le Festival du Film de l’Ouest, festival qui tend à une désacralisation de cette satanée culture, qui tend à ce que les films participent à une forme de vie autre qu’en tant que supports d’éducation civique ou endroit de “pignolage bienveillant” entre bourges.  Par ce biais, nous retrouverons des spectateurs qui sont là pour passer un moment festif et convivial autour d’un film. Une question que nous devons nous poser :  nous baignons tous dans un bain audiovisuel constant, comment alors pouvons-nous nous souvenir des images ? Créer ce genre d’événement durant lequel huit heures de festivités mènent à un film peut créer du commun et de la mémoire. Pour se souvenir d’un film, il faut qu’il appartienne à quelque chose de plus grand que lui-même, à une forme de vie. Par exemple, je me souviens d’un film médiocre parce qu’en salle j’avais enfin embrassé un être aimé. Il faut se rendre compte qu’un film en tant que tel, ne fait pas événement. Il faut se rappeler qu’un film en tant que tel, n’a jamais fait événement dans la mesure où sa potentielle popularité a toujours reposé sur des mécaniques de partages entre spectateurs et, d’une certaine manière, peu importe que ces mécaniques aient pour sujet le cinéma.

AL : L’objectif est de faire tout ce qui est possible en termes de diffusion et de distribution. Tous les canaux doivent être sollicités, les réseaux avec lesquels nous sommes déjà en contact, notre ancrage en Bretagne, les forces locales et complices.

OM : Dans la même logique que l’autoproduction, nous souhaitons auto-distribuer les films pour lesquels nous travaillons et leur donner les meilleures chances.

AL : À plus long terme, nous nous tournerons évidemment vers la francophonie et l’international. Si la première étape est de s’installer localement, il faut aussi savoir sortir de ce territoire, et ne pas se résumer à l’écueil du film tourné en Bretagne, fabriqué par des équipes bretonnes pour des publics bretons.

LD : La culture légitime française est une culture de cour, une culture mondaine auto-satisfaite et donc consanguine. Si l’on veut y échapper nous devons être attentifs à un ensemble de pratiques ainsi qu’à différents modèles économiques. On peut se rappeler des cinémas hongkongais ou polonais, qui en des moments différents, se sont nourris d’un cinéma international et ont créé des courants d’une puissance formidable. Il est certain qu’on ne peut pas rester entre Bretons si l’on veut que nos films vivent, si l’on veut que nos films participent à la vie.

AL : En complément,  si l’on veut faire des films pour tous les publics, il y a des endroits sur lesquels nous devons agir. On ne peut pas prendre l’habitude d’énoncer un “tous les publics” alors même que les films ne leurs sont pas toujours adaptés. L’accessibilité des films doit être une constituante du processus de fabrication : nous ne pouvons pas négliger l’audiodescription et les sous-titres STSM. Il y a encore un sacré retard en la matière. Il y a également des enjeux de créations artistiques dans l’écriture de l’audiodescription et la composition des STSM qui doivent être pris en compte dès la production et qui sont sources d’émulation.

OM : Le but est d’amener le cinéma dans un contexte réjouissant. L’opportunité d’aller à Taden n’était pas calculée, il n’y a pas de prétention à vouloir décentraliser la culture en campagne.

AL : Ça ne s’est pas fait par hasard non plus. C’est issu d’un préalable : la résidence d’écriture de François et Damien pour Les Érections a eu lieu à Taden. Quitte à poser nos valises dans un territoire, autant regarder ce qu’il y a autour, l’investir à différentes étapes de fabrication et à différentes saisons de l’année. Nous cherchons une cohérence dans notre ancrage et nous misons dessus en bonne intelligence.

Entretien réalisé par Alexandre Caoudal, juillet 2022