Le bel envol de R.A.P.A.C.E.


Samedi 15 février, à l’occasion du festival Travelling, le sous-sol du café rennais le Méliès accueillait les premières Assises du cinéma associatif de Bretagne, proposées par R.A.P.A.C.E. (Réseau des Associations de Production Audiovisuelle et de Cinéma Émergent), coordonné par Courts en Betton.
L’objectif : réunir dans un esprit convivial – par la rencontre, le partage et la projection de films – acteur·trice·s du réseau et publics pour faire (re)connaître l’autoproduction et la production cinématographique associative de Bretagne.

À 14 heures, Coline Gueguen, coordinatrice de R.A.P.A.C.E., a lancé les échanges, réunissant environ 45 personnes, individus ou représentants d’une vingtaine d’associations. Les associations nouvellement créées en côtoient de plus anciennes comme le Collectif Un film, un jour, les Vannetais des Editions Bengrem, ou les Rennais d’Equinok, de Manual Focus, qui ont toutes plus de 10 ans d’existence. Certains de ces groupes ont été créés par des étudiants suite à un cursus audiovisuel, et on peut retrouver parmi les bénévoles qui les composent des professionnels du cinéma qui recherchent dans ces lieux d’échanges la possibilité de collaborer à des postes ou des projets différents de leur pratique habituelle.
À noter également la présence de plusieurs étudiants de l’ESRA souhaitant eux aussi se lancer dans la production associative en prolongement de leur cursus. Au fil des présentations et des discussions, on entend l’envie de collaborer pour des réalisations de films, de mutualiser compétences et outils techniques, d’organiser ensemble des diffusions. Il est fait référence à du matériel, que certaines associations ont pu acheter grâce à une subvention de la Région Bretagne, et qu’elles mettent gratuitement à la disposition des autres. Il est acté de créer des groupes de travail pour passer de l’intention à la mise en œuvre de projets en commun… 

Rapace
Assises R.A.P.A.C.E au café Méliès de Rennes samedi 15 février 2020 © Catherine Delalande

 

Un timing parfaitement maitrisé permettait d’accueillir à 15 heures Claire Rattier-Hamilton, chargée des Industries de la création et vie cinématographique à la Région Bretagne, venue échanger avec les participants au sujet des aides régionales à la production associative.
« Le fonds a été mis en place il y a 3 ans, suite à un an de réflexion avec les collectifs associatifs. Il ne répond pas aux mêmes besoins que le fonds d’aide aux films professionnels (FACCA). C’est une aide qui vise à soutenir les spécificités associatives, l’entraide, le partage de connaissances, la mutualisation de matériel et de personnes. Nous avons également remarqué les difficultés pour la diffusion des films et nous souhaitons aider aussi dans ce domaine. Il est important que des films qui n’ont pas été faits dans le circuit traditionnel se retrouvent aussi sur les écrans. L’aide a évolué et nous sommes prêts à la revoir chaque année ».
En effet, à la différence des subventions du FACCA accordées à un film en se basant avant tout sur son scénario, le fonds associatif est une aide à une association pour son projet d’année, qui doit intégrer la réalisation d’œuvres de création, mais dont l’examen des dossiers se fait selon des critères bien différents. « On regarde si l’association travaille avec d’autres structures, si les réalisateurs changent, s’il y a une stratégie de diffusion et les types de collaboration. Ce qui nous intéresse c’est qu’il y ait une diversité, qu’il s’agisse de personnes qui ont envie de faire des films pour se faire plaisir ou pour se professionnaliser. On apprécie qu’il y ait des échanges entre professionnels et non-professionnels… On ne s’intéresse pas d’abord à l’œuvre, mais au projet ».

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Claire Rattier-Hamilton (à gauche) présente l'aide aux programmes de création associative de la Région Bretagne lors des Assises R.A.P.A.C.E © Jérémy-Mazeau-Courts-en-Betton

 

Léo Dazin, de l’association Equinok, qui a bénéficié des aides, insiste sur cet aspect « Il n’y a pas de jugement sur la nature des films. On nous laisse une liberté totale dans les propositions. On n’a aucun compte à rendre sur le contenu des films. » Et pour Claire Rattier-Hamilton, c’est bien cette liberté que la Région veut encourager. « On veut aider des genres et des œuvres plus difficiles à produire dans les circuits traditionnels, soutenir l’émergence de nouveaux talents, de nouveaux regards ».
Les aides du fonds, qui existent depuis 3 ans, sont plafonnées à 5 000 euros, avec un accès relativement facile aux subventions : 70% des demandes faites à ce jour ont été satisfaites. 8 projets ont été aidés la première année, 9 la seconde et 11 la troisième, soumis par 18 associations. Certaines d’entre elles ont donc déjà été aidées plusieurs fois. « Par contre, il y a eu jusqu’à présent une très forte concentration de projets rennais, et nous sommes preneurs de demande venant de tout le territoire ».  
Un message clair à destination des candidats des Côtes d’Armor, du Finistère et du Morbihan… qui ont jusqu’au 13 mars pour envoyer leur dossier à la Région[1].  

Après les échanges formels, les organisateurs avaient proposé aux associations et autoproducteurs de présenter des films en préparation en expliquant leur recherche de matériel, de collaborateurs… Les quatre équipes de « pitcheurs » qui se sont succédées avaient bien avancé sur leurs projets.  

Le peril jaune
Le Péril Jaune © Associations Courts en Betton / Equinok Films

 

Juliette, comédienne originaire du Morbihan et Steven ouvrent le bal avec Alix, court métrage qui aura comme personnage principal l’orgue de l’église de Pluvigner, et que ses initiateurs veulent tourner fin mars. Le film est actuellement en recherche de financements participatifs sur Kengo[2]. Là ils sont venus proposer à des techniciens et comédiens de rejoindre l’équipe. C’est ensuite le tour de Benoit, des Editions Bengrem, pour un projet « de French Steampunk », le Royaume à vapeur[3]. Le discours est plus rodé, le projet plus ambitieux avec 11 jours de tournage dans 11 lieux différents. On est en 1874, et un monstre marin terrorise la Bretagne…. « Ce sera un film ouvert, on expérimente le concept, toute personne qui viendra jouer un rôle se retrouvera à l’écran et recevra comme seul salaire un DVD du film. On est dans l’échange et dans la création. Dans l’associatif, on veut faire du participatif. On aura un visa CNC et on cherche un diffuseur ».  Les deux derniers projets sont portés par des équipes d’actuels étudiants à l’ESRA, qui mettent aussi la barre assez haut.  

Pour Stade 7, un court métrage de 10 minutes, qui met en scène Alex, un jeune homme de 20 ans qui se fait rattraper par la maladie d’Alzheimer. Marius et William cherchent des comédiens de 25, 40 et 65 ans qui puissent interpréter le même personnage à trois âges différents. Et ils recherchent aussi sa partenaire, Alice à 25 et 65 ans. Ils souhaitent aussi tourner dans la gare de Rennes et même s’ils n’ont pas encore d’accord formel, sont optimistes quant à leur chance d’obtenir une autorisation.  En quête de soutien financier, il leur manque aussi une équipe décoration et une maquilleuse…

Dans Poing de non-retour[4], deux voyous se retrouvent avec un cadavre sur les bras. Mathis, Charles et leurs collègues étudiants ont contacté des cascadeurs du Puy du Fou, et ont déjà commencé à travailler avec eux. Leurs influences : Michel Audiard et Bertrand Blier. « On a l’impression que cela se perd dans les comédies modernes ». Ils prévoient des journées avec 40 à 50 personnes, et ont donc besoin de beaucoup d’assistants. En parallèle, ils vont monter une association pour développer d’autres projets dont un documentaire qui sera réalisé par Roxana, sur une maison close de Tours, devenue le siège de la Jeune Chambre Économique. Tout un programme…

17 heures, il est maintenant temps de passer à Écran Libre, avec la projection de films que les associations ou auto-producteurs ont proposé. Là encore, l’éclectisme est de mise. Les Editions Bengrem se lancent en premier avec la version courte de l’Hypogée de l’Espèce[5], film produit grâce au fonds d’aide de la Région. Une jeune femme parcourt seule et dans le noir les sous-sols de Brest. Assez stressant à regarder dans un sous-sol rennais…  C’est ensuite le tour de Thomas, un étudiant qui a participé à un concours dans le cadre du Festival premier Plan à Angers sur la thématique des Fake News. Les actus vues par LJT TV[6], foutraque et potache, mais c’est un début ! 

Changement de braquet avec Un film, un jour, collectif informel qui tourne autour d’une idée : faire des courts métrages de manière professionnelle et passionnée, en une journée ! Le groupe à géométrie variable existe depuis plus de 15 ans, avec 30 à 40 films à son actif, diffusés lors de projections publiques, concours de courts métrages, et sur internet[7]. Ses piliers, dont les cheveux commencent à grisonner, travaillent dans l’audiovisuel et le spectacle vivant. Ils associent à chaque projet des professionnels en devenir.

Jafonovsky & Delacobitch font trop bien le folchlore, leur dernière œuvre mise en ligne, est écrite, réalisée et jouée par Sylvain Anne, Eddy del Pino et Patrick Kaillout. Un savant cocktail de délire et de maîtrise technique, vues réelles, pixilation… [voir le film – 8] 

Les deux derniers films sont proposés par Equinok, association fondée en 2010, par cinq personnes issues de la licence Arts du Spectacle de Rennes 2.

Les Croubz, réalisé par Léo Dazin, nous plonge dans un futur que l’on espère lointain, où le soleil brûle si fort que les hommes se terrent pour vivre de nuit. L’un d’entre eux s’est réfugié dans une épave de bateau qui attire finalement beaucoup de monde…[9]

Un film un jour
Jafonovsky & Delacobitch font trop bien le folchlore © Un film un jour

La séance s’achève avec Le Péril Jaune[10] de Thibault le Goff et Owen Morandeau, un autre ovni dans le monde du cinéma en Bretagne. Encore une production Equinok, où l’on retrouve au générique une partie de l’équipe de Les Croubz.

Avec le fonds d’aide à la production associative, la Région souhaitait voir des œuvres différentes, c’est réussi. Ni synopsis ni scénario. Seulement 3 éléments pour amorcer un tournage sous forme de résidence : un titre (Le Péril jaune, donc), un lieu (un bar à Auray) et une poignée de comédien·ne·s prêt·e·s à tout, réuni·e·s pendant 10 nuits. Jaune, couleur du pastis, le péril se trouvait bien là…

Avec une écriture en direct, un visionnement au fur et à mesure et la fatigue de 10 nuits de tournage, difficile de savoir si les effets du breuvage sont réels ou joués. Et la musique de Rouge Gorge ne fait que renforcer ce côté « entre deux eaux ».

Le film poursuit sa carrière en festival et sera bientôt diffusé sur Kub, avec 3 documentaires making off, que l’on a hâte de voir…


Catherine Delalande


[1] Aide aux Programmes de création associative du Conseil régional de Bretagne (date limite : 13 mars 2020) : bretagne.bzh/aides/fiches/cinema-creation-associative

[2] Financement participatif pour le film Alix : kengo.bzh/projet/2288/alix-le-film

[3] Le Royaume à vapeureditions-bengrem.com/blog

[4] Poing de non-retour : facebook.com/poingdenonretour/

[5]  Hypogée de l’Espèce  (bande annonce) : editions-bengrem.com/tunnel-51

[6] LJT TV : vimeo.com/380204026

[7] Les films « Un film un jour » : dailymotion.com/unfilmunjour

[8] Jafonovsky & Delacobitch font trop bien le folchlore : youtu.be/v9j0j0MQKK0

[9] Les Croubz : equinokfilms.wixsite.com/asso/copie-de-qu-elle-revienne

[10] Le Péril Jaune : equinokfilms.wixsite.com/asso/copie-de-gargantua-1