Pour vos prochaines vacances en Tsiganie, plutôt que d’acheter un énième guide touristique, allez au cinéma ! Du 23 au 30 août, le festival de Douarnenez vous propose une traversée à travers l’Europe. Voici un guide pratique et subjectif, pour vous aider à garder le cap dans le dédale de cette riche programmation.

Leçon une : mettre à jour son carnet anthropométrique.

Le premier volet de la section rrom du festival s’intitule :  »Mémoire, histoire, internement et génocide » en France et en Europe. L’occasion d’un voyage à rebours à travers le siècle dernier, pour déchirer les silences qui entourent les persécutions dont furent victimes les Rroms. Histoires du carnet anthropométrique, le dernier film de Raphaël Pillosio, tourné en 2012, s’inscrit dans le prolongement de son précédent documentaire Des Français sans histoire (2009), une enquête passionnante sur les camps d’internement lors de la Seconde Guerre mondiale. En 2003, Route de Limoges racontait déjà ce que fut ce camp de concentration situé à Poitiers. A l’instar de Nicolas Hans Martin, qui filme le quotidien d’un couple de Rroms de Roumanie dans Un coin de paradis, Raphaël Pillosio s’engage durablement. La cinéaste belge Milena Bochet témoigne du même attachement, cette fois pour les Rroms du village de Hermanovice en Slovaquie, où elle a tourné tour à tour Gejza, Vozar, Cheveux rouges et café noir. Tous font partie de cette famille de réalisateurs qui reviennent inlassablement sur les traces des nomades auxquels ils se sont liés, et qui questionnent leurs silences avec une extrême pudeur.

En écho à ces pages sombres, Le mensonge de Mélanie Spitta et Katrin Seybold exhume des documents longtemps occultés sur le génocide perpétré contre les Tsiganes. C’est la poésie qui nous emporte dans Papusza de Joanna Kos-Krause et Krzystof Krauze, le beau portrait d’une poétesse rrom exclue de sa communauté en Pologne. Et l’on décolle avec Liberté de Tony Gatlif. Au rang des curiosités, une mention spéciale pour les courts de 1906 de la collection de Lobster Films : A day with the Gypsies de 1906 ou Gyping Gypsies de 1928.

Leçon deux : se munir de bons godillots et d’une boussole.

Le second volet de la programmation propose une errance à travers toute l’Europe, une traversée cinématographique dont la première étape passe par la vaste plaine de Pannonie avec J’ai même rencontré des Tsiganes heureux (1967) d’Aleksandar Petrović. Un film fleuron du cinéma des Balkans, à l’esthétique remarquable. Du même réalisateur, Il pleut dans mon village (la fin du monde est proche), datant de 1968, a rarement été montré en France. Autre découverte, pour parcourir l’Allemagne nazie, Zigeuner Sein de Peter Nestler. Les Tsiganes montent au ciel d’Emil Loteanu, Moldave, nous entraîne en ex-URSS tandis que Gyuri de Pál Schiffer nous conduit en Hongrie au coeur du racisme ordinaire. Le Serbe Želimir Želnik suit les tribulations de son héros Kenedi en Serbie et au Monténégro. Parmi tous ces réalisateurs européens, peu sont d’origine rrom. Aux côtés du reconnu Gatlif, de jeunes cinéastes : le Rrom hongrois Árpád Bogdán et Happy new life, la Rrom italienne Laura Halilovic avec Moi, ma famille rrom et Woody Allen ou la jeune journaliste rrom hongroise Katalin Bársony et son film Faces of change. Présente à Douarnenez, elle est à l’origine d’une plate-forme web, Mundi romani, qui regroupe quantité de films réalisés par de jeunes Rroms, sur les “identités rroms”. Bulgarie, Transylvanie, Italie : on pourrait continuer l’énumération. A vous de garder la boussole en mains.

Leçon trois : continuer le voyage, pour survivre ?!

Les difficultés commencent. Se garder de tout préjugé. Refuser les amalgames, la simplification. Se perdre, alors? Comme l’écrit, dans son édito, Eric Prémel, le directeur du festival : accepter de ne pas tout comprendre, ni sous-exposer dans le mépris, ni sur-exposer dans une mise en spectacle. Le volet  »Migrants économiques, stigmatisation ethnique » nous conduit de bidonvilles en campements, du Bateau en carton de José Vieira au Terrain de Bijan Anquetil. Intimité des caravanes, intérieurs-extérieurs, il faut sans cesse se déplacer. Le pendule de Costel est réalisé par la Colombienne Pilar Arcila, qui laisse d’ailleurs le jeune Rrom Costel filmer sa famille. Le programme PEROU de Ris-Orangis revient sur les expulsions, le webdocumentaire La valse des Rroms ne cache pas ses intentions : nous aider à dépasser les préjugés. Filmées au quotidien, les difficultés d’accès au soin, au travail, à la scolarité. Dominique Idir, elle, s’empare pour la première fois d’une caméra, la rage au ventre. Des expulsions dans les quartiers nord de Marseille, il restera La maison, le violon, et le sac Tati. La nantaise Sophie Averty nous offre dans Cause commune tout le loisir de nous interroger sur les initiatives locales et politiques. Quelles alternatives ? Les réponses sont complexes.

Leçons quatre et cinq: tous les Rroms ne sont pas des Rroms !

Mais des Manouches, Yéniches et Voyageurs. Parfois évangélistes, comme dans Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste. Quelles sont les singularités des gens du voyage en France ? Pour le découvrir, éviter les confusions médiatiques et les amalgames politiques, rejeter l’anathème, continuez la route. Le volet suivant est dédié aux Gitans d’Espagne et de France. Vengo de Tony Gatlif, Khamsa de Karim Dridi. Poussière, Andalousie, énergie brute, ivresses…
Sixième et dernière leçon : pour prendre la route, il vous faudra la musique !
Embarquez dans la Gypsy caravan de Jasmine Dellal. Jouez la Jazz hot avec Django Reinhardt. Finissez avec l’éblouissant Iag Bari-Brass on fire de l’Allemand Ralf Marschallek, pour mettre le feu à la salle ! Alors le voyage touchera à sa fin. Qu’aurez-vous appris à travers ce festival ? A regarder l’Autre ? A accepter la complexité et la fragilité ? A refuser toute mise à l’index, tout ghetto ? A chacun sa route. Latcho drom !

Caroline Troin

Photo à la Une : Mémoires tsiganes, l’autre génocide de Juliette Jourdan et Idit Bloch