« Monstre sacré » de Jean-Claude Rozec était l’un des 39 courts métrages en compétition au Festival International du Film d’Animation d’Annecy qui vient de s’achever. Retour sur le parcours d’un créateur empreint de réalisme et d’esprit d’atelier.

Avec sa silhouette longiligne invariablement vêtue de noir, Jean-Claude Rozec n’est pas un inconnu pour tous ceux qui passent depuis quelques années dans les locaux de JPL Films ou de Vivement Lundi !, les deux studios d’animation rennais. Discrètement, il vient de terminer un court-métrage intitulé Cul de Bouteille et son film précédent, Monstre Sacré, entame une carrière internationale qui passe par Annecy et par le SICAF de Séoul.

S’il reconnaît un intérêt précoce pour le cinéma (fantastique et d’horreur en particulier) qui s’est traduit par des petits films bricolés entre copains à l’adolescence, il précise qu’il regardait tous les films sans distinction. Paul Grimault ou un film gore, pour lui c’était pareil : « je gobais tout ! ». Pourtant, avec son pessimisme naturel et son manque d’ambition avoué, l’idée de faire un métier de cinéma ne lui effleura pas immédiatement l’esprit. Il n’avait pas d’ordinateur, dessinait au crayon bic, et choisit des études de lettres et de cinéma par intérêt pour le sujet. Et il ne doutait pas une seule seconde que, le jour venu, il faudrait pointer à l’usine puisque rien d’autre ne serait possible.
Le basculement a lieu à l’université de Rennes, quand il participe en 1999 à des ateliers de cinéma d’animation menés par Jean-Pierre Lemouland. Il apprend la technique et rencontre Julien Lecomte, avec qui il partage des envies de films. Tous les deux commencent alors à occuper différents postes de stagiaires sur des tournages, notamment sur Petra’Larez, une série coproduite par Vivement Lundi ! et JPL Films en 2001. Pour Jean-Claude qui est assistant plateau, c’est une expérience fondatrice. Il traverse toutes les étapes de fabrication, décoration, story-board, animation, postproduction. Il se souvient avoir « tout vu, tout entendu. Comment on se parle dans une équipe ? C’est quoi 20 secondes d’animation par jour ? Qu’est-ce qui se passe quand le réalisateur n’est pas content ? Qu’est-ce que la production ? C’était hyper formateur ». De retour à la fac avec son acolyte, il réinjecte en permanence ce qu’il apprend durant ses stages.

CHEVALIER DÉJANTÉ, ARME PARFAITE ET DRAGON MÉDIATIQUE
La petite bande de Rennes 2 s’étoffe, et tous effectuent ces allers-retours entre pratique professionnelle et ateliers universitaires. Mais à l’époque, les équipes d’animation étaient souvent complètes, et il semblait difficile de franchir la marche entre le stage et le contrat. Pourtant, le groupe d’amis partage un vrai désir de faire des choses ensemble et, dans ce moment un peu flottant où les étudiants en fin de Licence se demandent généralement que faire, ils créent l’association Blink installée au sein l’université. Pendant deux ans, ils mettent en pratique tous les réflexes et toutes les compétences rapportés de leurs stages. Et peu à peu, ils trouvent « leurs trucs », comme, par exemple, l’animation par ordinateur. À l’époque, les deux sociétés rennaises en font peu. Le premier court-métrage de Jean-Claude, Chevalier, co-réalisé avec Julien Lecomte, connaît une jolie carrière en festivals et leur donne un début de légitimité. Jean-Claude se souvient d’un véritable déclic lors de la projection du film pendant le Festival Travelling Junior en 2003 : « J’étais au chômage, je ne savais pas quoi faire. Et pendant cette projection, ça m’a fait bizarre d’entendre le public rire. J’avais oublié que le film était drôle et là je me suis dit : c’est vachement réussi ! ».
Dans la période qui suit, il alterne les ateliers d’animation pour enfants, différents postes sur des films et séries, des projets d’écriture qui finiront dans les placards. Et puis un jour, alors que deux de ses amis reviennent d’Annecy, ils lui parlent d’un concours européen de films de 30 secondes sur le thème Les humains artificiels. Nourri aux films d’horreur et aux monstres gores, il saisit l’occasion et obtient un prix avec The Perfect weapon. Dans le jury, Chris Landreth (réalisateur canadien du court métrage Ryan, oscarisé en 2005), Bill Plympton (réalisateur américain ayant obtenu deux fois le Grand Prix du long métrage à Annecy), et cerise sur le gâteau, il rencontre Phil Tippet, animateur des effets spéciaux de Star Wars qu’il admire. « Là, j’ai pensé qu’il était temps de proposer un truc à un producteur pour de vrai ! » se souvient-il.
En 2006, Jean-Pierre Lemouland lui suggère de réfléchir à un projet 2D pour le jeune public. Deux semaines plus tard, il revient avec quelques recherches graphiques et une présentation de Monstre Sacré, l’histoire d’un dragon aussi gigantesque qu’inoffensif et qui devient subitement une star médiatique. Au même moment, il propose Cul de Bouteille à Mathieu Courtois, créateur de Blink Productions et, lui aussi, ancien membre de l’association éponyme. Si du temps s’est écoulé entre ces deux propositions simultanées et leur mise en production, c’est que Jean-Claude s’est vu confier un poste d’animateur sur la série RIP de Bruno Collet (Vivement Lundi !) et la réalisation des Schlack (JPL Films). Avec humour, il précise qu’il y a « un truc récurrent » dans son parcours : c’est que chaque fois qu’il a trouvé du boulot, c’est parce que quelqu’un laissait tomber et qu’il était là par hasard.
Le hasard fait bien les choses, mais n’a assurément rien à voir avec la sélection de Monstre Sacré au plus prestigieux festival d’animation du monde qui, en juin, fêtait ses 50 ans. Gageons qu’aujourd’hui, ce « truc récurrent » est bel et bien derrière lui !
Céline Dréan

Monstre sacré sera également présenté en août au Festival de cinéma de Douarnenez dans le cadre de la sélection Grand cru Bretagne 2010

Photo : Jean-Claude Rozec, Annecy 2010 © JFLC