A l’origine de Doc Alliance, basée à Prague, il y a sept festivals européens de films qui se sont regroupés pour promouvoir la création documentaire. Partant du constat que de nombreux films aux écritures novatrices ne trouvaient pas leur place sur le marché, ils ont imaginé des circuits alternatifs de diffusion et donné naissance à un portail de distribution en ligne.
Diane Tabakov, la responsable des acquisitions pour Doc Alliance, l’a d’emblée précisé : « La plateforme n’est pas tant un outil qui permet de regarder des films sur le web qu’un moyen de faire connaître leur existence ». Une fenêtre ouverte aux innovations cinématographiques, et qui met à la disposition du public et des programmateurs une sélection de documentaires contemporains majeurs du cinéma européen. Ce qui fait l’originalité de Doc Alliance, c’est un dispositif qui avance sur deux pieds – l’un virtuel et l’autre réel -, et se situe au croisement des écrans numériques et des lieux physiques que sont les festivals. Les films sélectionnés bénéficient ainsi d’une double diffusion : dans les festivals fondateurs de Doc Alliance et via le portail internet DAfilms.com.
Quelle sélection ?
Les films mis en ligne – une vingtaine de nouveautés chaque mois – sont soit repérés dans des festivals, – Diana Tabakov passe du temps à voyager dans la galaxie documentaire -, soit proposés par les sociétés de production elles-mêmes ou par les réalisateurs. Avantage pro domo : les documentaires programmés dans l’un des sept festivals fondateurs (1) de Doc Alliance sont automatiquement sélectionnés par la plateforme.
Jean-Laurent Csinidis, producteur aux Films de Force Majeure (Marseille), a témoigné de l’intérêt de cet outil, à l’issue de la projection de Tirana d’Alexander Schellow. Doc Alliance a donné une seconde vie à ce film qui a « connu un destin un peu triste et injuste ». Le producteur avait misé sur l’exclusivité demandée par quelques festivals prestigieux en Europe qui « ont gardé une option les uns après les autres jusqu’au dernier round. Pour rien ! ». Malgré cela, « le film a tout de même vécu sa vie, a été diffusé sur Arte à plusieurs reprises et a bien circulé, notamment dans le champ de l’art contemporain dont est issu le réalisateur ». La présence de Tirana sur Doc Alliance permet à son producteur de « continuer à communiquer sur notre site, sur la page Facebook du documentaire, dans nos newsletters. Et cela porte ses fruits puisque des manifestations nous demandent encore ce film sorti en 2012 ». « La non-exclusivité du site est un point essentiel », a-t-il ajouté en connaissance de cause. »
Comment ça marche ?
Dans un premier temps, DAfilms.com propose les films en accès gratuit. Pendant cette période, l’équipe dédiée à la promotion fait feu de tout bois, profitant d’événements liés aux films (sorties en salles, parution de critiques, édition DVD, etc.) pour attirer le public vers le site. Les documentaires intègrent ensuite la bibliothèque d’archives et deviennent payants. Pour les visionner en ligne, l’internaute devra alors débourser de 0, 50 à 5 euros.
« Une bonne communication au moment de l’accès gratuit suscite par la suite des achats en ligne », souligne Diane Tabakov. Même si, en France, la chronologie des médias retarde cette distribution alternative. L’accès à la plateforme peut aussi être contrarié par les accords de co-production passés avec les chaînes. Il faut parfois attendre plus d’un an avant la mise en ligne par Doc Alliance.
Quel financement ?
« Même si une partie des royalties nous revient, la diffusion via la plate-forme ne rapporte que peu d’argent », a précisé Jean-Laurent Csinidis. « Il faut être clair, la distribution via internet ne génère pas de retours financiers », a confirmé Diane Tabakov, « sauf si cela fait partie du plan de commercialisation dès le départ et si cela touche des sujets très fédérateurs comme l’écologie, le jeu, etc. ». Un film bien promu peut espérer “capitaliser’’ 100 euros par mois, « mais pas beaucoup plus ». Se distinguant par leur forme plutôt que par leur sujet, choisis avec une forte exigence éditoriale, les documentaires en ligne sur le site ne sont pas « des blockbusters que les chaînes s’arrachent ».
Doc Alliance en négocie les droits au cas par cas. Ils sont parfois cédés à titre gracieux. C’est le cas des rétrospectives d’Agnès Varda et Nicolas Philibert pour lesquels les mandataires n’ont pas demandé de minimum garanti, se contentant des 40% de royalties reversées en fonction du nombre de vues. En contrepartie, Doc Alliance a pris en charge les frais de distribution au niveau international et particulièrement soigné l’exposition des films. Parfois, les droits de mise en ligne peuvent atteindre de 200 à 500 euros. Le contrat est signé pour deux ans et reconduit tacitement, sauf objection de la part de l’ayant-droit.
Quel modèle économique ?
A ce jour, l’internaute qui navigue sur DAfilms.com dispose d’un choix de plus de 1000 films. Regardée par 25 000 personnes, la rétrospective Varda est un contre-exemple. Le nombre de visionnements peut descendre à 800 si le réalisateur est peu connu. « La gratuité ne fait pas augmenter le nombre de vues », a constaté Jean-Laurent Csinidis. Doc Alliance n’est pas une entreprise à but lucratif. « Nous espérons augmenter la part d’autofinancement, mais nous ne souhaitons pas faire des choix qui rapportent de l’argent. Ce qui nous importe, c’est de suivre notre ligne artistique. Si l’accès aux films était totalement gratuit, nous aurions besoin de publicité. Or, nous n’en voulons pas. Doc Alliance reçoit de l’argent public, notamment européen (2). Selon moi, si nous devenions un business pur, nous ne pourrions pas conserver la même exigence éditoriale », a conclu Diane Tabakov. Le portail est appelé à évoluer. Doc Alliance réfléchit à la mise en place d’un abonnement. Voilà une initiative dont le projet de plateforme Breizh Creative pourrait tirer quelques enseignements.
Nathalie Marcault
Photo de Une : Tirana de Alexander Schellow produit par les Films de Force Majeure
(1) CHP:DOX Copenhague, Doclisboa, DOK Leipzig, FID Marseille, Jihlava IDFF, Planete Doc Film Festival, Visions du Réel Nyon.
(2) Doc Alliance est financée par Europe Creative Media. Christine Mazereau, responsable de l’information au Bureau Europe Creative Media France, a présenté à Doc’Ouest les aides européennes en faveur de la diffusion. Consultable ici.