L’âge de nos pères Acte 3, séquence 1


Ils et elles ont entre 33 et 36 ans, gens de théâtre et de cinéma, de Lille, de Rennes, ou de Paris ; et ils construisent ensemble un spectacle de théâtre documentaire. Leur collectif s’appelle LACAVALE et leur création : L’âge de nos pères.

Accueilli par le « Joli collectif », c’est au Théâtre de Poche, à Hédé-Bazouges, que cinq des six créateurs de L’âge de nos pères se sont retrouvés pour leur troisième résidence d’écriture. Après deux premiers rendez-vous dans le Nord, à la Ferme d’en Haut à Villeneuve d’Ascq en avril 2019 et au Vivat d’Armentières en décembre, c’est cette fois à une vingtaine de kilomètres au nord de Rennes que LACAVALE échafaude son spectacle autour de la violence des hommes.

 

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© Baptiste Placé

 

Pourquoi L’âge de nos pères ?

« L’âge de nos pères ne se réfère pas spécifiquement à la supposée violence de nos pères respectifs, dont tous ne portent pas les traits. Le spectacle interroge davantage l’héritage d’un monde patriarcal dominé par les hommes, et dont la figure du père est l’archétype », explique Nicolas. « L’âge de nos pères, c’est aussi l’âge que nous avons d’être à notre tour père et mère, et par conséquent de participer ou non à une forme de reproduction des modèles », complète Antoine.

Aussitôt donnée par ce duo d’hommes, cette première réponse est considérée par le groupe comme symptomatique de comportements de genre : ce sont les hommes qui d’emblée définissent ce que le spectacle est ou n’est pas. On pourrait alors penser ce prisme un peu systématique, mais Chloé, comédienne de théâtre, désigne ces moments réflexifs comme faisant partie intégrante de la construction du spectacle : « Nous nous en servons comme matière, explique-t-elle. C’est en déconstruisant les modèles que l’on met en lumière tous les rouages de la domination masculine. Jusqu’à mes 25 ans je rejetais le mot « féministe » tant j’en avais une vision biaisée. Il m’apparaissait comme une forme de détestation des hommes dans laquelle je ne me reconnais pas du tout. Et puis peu à peu j’ai pris conscience, et jusque dans le rapport à mon propre frère, de mécanismes sexistes intériorisés qui nous font agir comme homme ou femme. Mon frère, lui, considère que le combat est derrière nous, que c’est réglé. Le spectacle vient au contraire rappeler que ça ne l’est pas, et nous nous servons entre autres de nos interactions au sein du collectif pour le mettre en scène. »

Violence ordinaire, symbolique, mais aussi violence physique, tous les visages d’une domination instituée seront disséqués sur scène et à l’écran.

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Erwan © Nicolas Drouet

 

Comment ?

Ce spectacle vivant va donner à voir et à entendre le processus de fabrication d’un film documentaire sur la violence des hommes, et plus précisément son étape de montage. Un montage collectif ou s’impliqueront trois hommes et trois femmes sur un plateau de théâtre équipé d’un écran en fond de scène, où les rush du film en construction seront débattus, puis agencés et réagencés par les comédien·ne·s réalisateur·rice·s. La question de la violence des hommes sera donc abordée en plusieurs dimensions, dans le volume de la scène et sur la surface de l’écran. « Le dispositif nous permettra aussi de jouer sur différentes temporalités : celle du présent théâtral, en l’occurrence un montage en train de se faire ici et maintenant, et celle des images enregistrées pour le film, dans un temps révolu et dans un ailleurs », détaille Erwan, réalisateur.

Ainsi, des entretiens filmés auprès de femmes victimes de violences conjugales, seront par exemple projetés comme sur un banc de montage, puis montés sur scène.

Les déclinaisons de ce dispositif seront nombreuses : « On peut envisager d’assourdir les témoignages projetés à l’écran, suggère Clara-Luce, réalisatrice, et de les faire entendre par la médiation d’une actrice ou d’un acteur sur scène équipé·e d’un casque. Nous avons déjà expérimenté cette façon de travailler dans « Les choses en face », un spectacle de théâtre documentaire participatif avec des adolescents. Dans ce travail sur le passage à l’âge adulte, les adolescents portaient la parole d’autres adolescents, ou même d’adultes. Un jeune homme pouvait se présenter comme une femme de 63 ans, et lui prêter sa voix. Cela permet à la fois d’être traversé par la parole de l’autre, mais aussi de le soulager du poids de son histoire. Il y a là une portée plus universelle du récit, qui échappe au jugement. »

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Clara-Luce © Nicolas Drouet

 

Si le collectif n’entend pas tout dévoiler de L’âge de nos pères, de toute évidence le théâtre documentaire qu’il propose cherche à s’émanciper du cloisonnement des corps, des genres et des espaces, pour que circule librement la parole, jusqu’à faire sens. LACAVALE cherche à ce qu’un monde intelligible se dessine en plusieurs dimensions, pour pouvoir le déconstruire. Il s’agira alors de le reconstruire comme un documentaire en montage que l’on ne cesse d’agencer puis de ré-agencer jusqu’à trouver le film. « Le spectacle va tendre vers une forme d’utopie », prévoit Nicolas.

Une utopie qui en réalité s’expérimente depuis déjà trois actes de résidence, puisque par sa démarche même de création collective et réflexive, L’âge de nos pères défend déjà un autre monde.

Chloé, comédienne et metteuse en scène, Julie, comédienne et autrice, Clara-Luce, Antoine, Erwan, et Nicolas, réalisateur·rice·s (issu·e·s de la même promotion du master d’Écriture et de réalisation de documentaire de création – Créadoc – d’Angoulême), lèveront vraisemblablement le rideau sur leur spectacle à l’automne 2021. D’ici là, ils se retrouvent en mars prochain à la Comédie de Béthune CDN pour deux semaines de résidence d’écriture. Le jeudi 12 mars à 14h30 à Béthune, le collectif proposera de découvrir une nouvelle étape de travail, après celle proposée à des partenaires bretons le vendredi 31 janvier sur le plateau du Théâtre de Poche.

Yves Mimaut

Pour en savoir plus > site Collectif LACAVALE.