La séance de cinéma, une relativité restreinte ? • Par Mireille Le Ruyet


En cette période de confinement où, dans la majorité des cas, le salon (voire la chambre) est devenu le lieu de la sortie culturelle, les notions de temps et d’espace sont totalement reconsidérées.

Alors qu’il est annoncé une réouverture des salles de cinéma et le retour des festivals et autres événements culturels à la mi-juillet et au-delà, cela laisse à repenser la place du rôle social de la culture dans notre quotidien. 

Les liens virtuels existent et la notion de convivialité perdure comme à travers les apéros skype/zoom/messenger, substitution aux bars et autres lieux de rencontres. Il s’agit dans ce contexte particulier de recréer cette sensation de dépaysement chez soi, juste en changeant de pièce, revisitant et revalorisant les usages de son intérieur à la méthode Feng shui ou en se réappropriant et repensant ses espaces à la manière de Georges Pérec.

Comme si le présent avait anticipé le futur, une pléthore de contenus dématérialisés existent déjà comme si tout avait déjà été imaginé, prévu : le succès de Netflix, Amazon Prime,  Disney + qui propose sa plateforme à point nommé (!), la Cinétek et sa sélection de films du XXe siècle, mais aussi des structures anticipatrices depuis de nombreuses années telles que les propositions Vod de Arte.
La rapidité de cette adaptabilité est remarquable, grâce au numérique qui fait disparaître la notion de temps pour laisser place à la simultanéité de l’offre audiovisuelle. Elle est particulièrement marquée par l’autorisation du CNC de sortir des films d’actualité directement en vente à distance, vente anticipée par rapport aux délais habituels
. La salle de cinéma elle-même s’approprie la vente de vidéos à distance grâce à La Toile. Mais encore la Vingt-cinquième heure qui fait exister ce temps de rendez-vous et de rencontre, notamment par la séance à l’heure et en ligne suivi de débat virtuel avec le réalisateur Bastien Simon pour son documentaire “Les Grands Voisins, La Citée rêvée”.

Le point positif de ce confinement serait peut être qu’il donne encore plus de visibilité à des genres et formats souvent à part tels que le court-métrage pouvant prévaloir sa place au même titre que le long, l’animation ou le documentaire à travers diverses  propositions de visionnements :

  • des court-métrages avec Bref de l’Agence du court-métrage,
  • les films primés du Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand,
  • la plateforme Benshi pour les plus petits,
  • l’Association du Cinéma indépendant (ACID) et la mise en ligne de ses conférences, 
  • une sélection de documentaires par Images en bibliothèque, 
  • le Festival du Film d’animation délocalisé en édition BIS sur le net, amplifiant des partenariats nés avec Kub Bretagne et Universciné.
  • etc.

Toutes ces initiatives ont l’opportunité d’annihiler la frustration de ne pouvoir se rendre à ces événements pour des questions d’obligations et de calendrier. 

La production audiovisuelle met de la sorte directement à disposition de chez soi un foisonnement de propositions. Le temps disponible laisse aussi la place à la créativité et notamment la pratique amateur : devenir réalisateur dans son salon grâce au concours du Court Roulette, filmer un souvenir grâce à l’initiative de la plateforme vidéo “Par ma fenêtre”, ou se laisser le temps d’un cours sur l’histoire du cinéma grâce à la Cinémathèque de Grenoble. 

Ce sont ainsi toujours ces notions de temps et d’espace qui créent l’expérience avec le repère du rendez-vous (un même lieu à un même horaire). Si le virtuel permet de conserver au moins cette notion de temps, dans quelle mesure peut-on considérer internet et sa toile comme un même lieu à l’image de la matrice ?

Devrons nous réimaginer la salle de cinéma comme on a réinventé son chez soi le temps du confinement, en terme d’intimité, espace cocon et en petit groupe ? 

Le drive-in gagnera t-il du terrain, puisqu’il permet de respecter les règles de sécurité sanitaire, dans l’espace clos d’une voiture, tout en gardant l’idée de grand écran et d’expérience de visionnement collective ? 

Pour autant est-ce que nous pouvons faire vivre durablement la culture de manière virtuelle ?
En effet ce rapport vital et nécessaire, avec le réel, le toucher, avec la possibilité de se rendre dans un autre lieu
commence à manquer. Dans cette période de confinement, nous courons moins après le temps mais les propositions à foison nous poussent dans une crise de la simultanéité et du zapping, multipliant les choix face au plaisir simple de se rendre en salle de cinéma pour voir un film. La question à se poser est celle du désir et des motivations qui poussent à sortir de chez soi. Une étude de  Vertigo Research a ainsi relevé ce rapport fort qu’ont les français avec la salle de cinéma : aller voir un film au cinéma serait la deuxième activité post-confinement après la sortie au bar ou au restaurant 

Tout comme le plaisir de lire un livre, d’écouter un vinyle, l’importance des sens et du contact humain prédomine, gardant cette préciosité de l’instant et de la rencontre. Ce retour au côté rassurant de la normalité, avec une chance pour notamment les petites salles, de regagner cette confiance, cette relation unique et de proximité avec ses spectateurs prouve que la salle de cinéma comme lieu de socialisation reste essentiel. 

Mireille LE RUYET
Coordinatrice Cinéma 35