En cette année 2015, où l’Institut national de l’audiovisuel fête ses quarante ans, Christine Angoujard quitte son poste de déléguée régionale de l’Ina Atlantique pour faire valoir ses droits à la… « jubilación ».
« Je déteste ce terme : retraite ! Ca sonne retraite de Russie, retraite religieuse, retrait… Quand on quitte son travail, on tourne une page mais on ne ferme pas toutes les portes. Je préfère le mot espagnol : jubilación. C’est tellement plus joli ! » Christine Angoujard a eu beau prendre, cette année, sa « jubilación », elle n’a pas pour autant perdu ce franc-parler qui faisait mouche lors des débats réunissant les professionnels bretons de l’audiovisuel et du cinéma. On se souvient de la conviction qui animait les prises de parole de la désormais ex-déléguée régionale d’Ina Atlantique, et de son engagement. Toutes qualités qui lui furent précieuses pour asseoir l’institution Ina dans le paysage régional.
Car les débuts furent sportifs, comme d’ailleurs tout le reste de la carrière : « Rien n’a été donné. Il a fallu constamment se battre. Ma chance a été d’avoir pu constituer une super équipe ». Lorsqu’elle a pris ses fonctions, le 2 janvier 1997, par moins 11 degrés dans des locaux pas chauffés, Christine savait que tout était à construire : la délégation Atlantique, couvrant la Bretagne, les Pays de Loire, le Poitou-Charentes et le Limousin, n’existait pas encore et c’est pour donner forme à cette 6ème antenne régionale de l’Ina qu’elle avait été embauchée.
A priori, l’audiovisuel n’était pas la ‘’spécialité’’ de cette ancienne professeur de sciences économiques, qui a fui l’Education nationale par ras-le-bol des… profs et non des élèves, puis a rejoint le service du développement économique de la Ville de Rennes avant de passer dans le privé. Dans ses différents postes, Christine avait plutôt pour fonctions d’analyser et de conseiller. Il lui manquait une composante essentielle : l’action ! S’ajoutait à cela un intérêt de longue date pour les nouvelles images et la convergence numérique, domaines que l’Ina avait commencé à explorer. « Je savais qu’en région, la priorité était avant tout de constituer une équipe et de mettre en œuvre les missions de l’Ina, à savoir les archives, la production, la recherche et la formation. Mais, peu de temps après mon arrivée, a débuté le gigantesque chantier de la numérisation. Ce branle-le-bas de combat qui a profondément bouleversé l’organisation interne de l’institut me plaisait. Il faut rappeler que l’Ina a été la seule structure, au niveau mondial, à numériser la totalité de ses fonds, ce qui représente des millions d’heures. »
De l’action en voilà. Elle se traduit par une immersion dans le « grand maquis » des archives régionales de France 3. « Nous avons d’emblée été confrontés à la disparité de ces fonds. Chaque direction régionale utilisait son propre matériel. Les bandes, les programmes et les normes d’archivages étaient différents, les cahiers de documentation incomplets. La numérisation a été un travail de bénédictin. L’Ina a fait appel à des sociétés externes qui travaillaient le plus souvent pour le nucléaire ou l’aéronautique et qui avaient l’habitude de ce genre de processus. Et avant d’informatiser les données, il a fallu restaurer les bobines. L’institut a formé ce personnel et a constitué de très grosses équipes. Même les femmes de la prison de Rennes ont été mobilisées. On était sur le pont. Pas le temps de souffler ! »
La tâche est tellement énorme que cette numérisation, commencée au début des années 2000, n’est pas encore achevée. Au moment où Christine quitte le navire Ina, il y a encore beaucoup à découvrir. D’ailleurs, personne n’a tout vu. « Il faudrait plus d’une vie, 24 heures sur 24, pour prendre connaissance de l’ensemble du fonds atlantique. » Au fur et à mesure que l’informatisation progresse, les pépites sont mises en ligne sur le site internet L’Ouest en mémoire. Christine s’est battue pour restituer au public tout un pan de cette mémoire collective. « Ces archives appartiennent à tout le monde. Je voulais les faire vivre. J’ai dû convaincre la direction générale. Ce n’était pas gagné car l’Ina était totalement absorbé par la numérisation des fonds des antennes nationales. Et disons le, comme beaucoup de structures centrales, a parfois du mal à voir au delà du périphérique parisien. Avec une collègue de Marseille, j’ai travaillé sur un prototype qui a ensuite été généralisé dans toutes les régions. C’est ainsi qu’est né ‘’L’Ouest en mémoire’’ que nous ne cessons d’enrichir. J’avais d’autres projets que je n’ai pas eu le temps de mettre en place… »
Christine Angoujard n’a pas non plus ménagé ses efforts pour s’immerger – et avec elle son institution – dans le milieu professionnel breton. L’institut national de l’audiovisuel avait contre lui d’être… national, doté d’un fonctionnement plutôt jacobin malgré ses implantations régionales. On ne lui a pas déroulé le tapis rouge. Il lui a donc fallu gagner peu à peu sa place dans le paysage régional. Prise entre le marteau parisien et l’enclume régionale, Christine et son équipe – dont Brigitte Cariou L’Her, Jean-Paul Dibouès et David Le Dévéhat parmi les plus proches collaborateurs – ont conquis le terrain petit à petit, à force d’explications et de rencontres. « Au début, il y a eu des échanges un peu toniques avec les producteurs qui estimaient les tarifs de l’Ina trop élevés. Et je les comprenais. On s’est battus en interne pour faire baisser les coûts. Mais avant la numérisation, c’était un gros travail de sortir les bobines. »
Les relations se sont apaisées avec le temps et les progrès techniques. L’Ina Atlantique s’est intégrée dans le PAB. Avec d’autres, Christine a même contribué à en élargir le périmètre. « Avec des structures comme la Cinémathèque de Bretagne, Daoulagad Breizh ou Comptoir du Doc, nous militions pour faire partie de Films en Bretagne. Nous avions la certitude que les archives et la diffusion étaient une composante à part entière de l’audiovisuel breton. Nous avons créé un groupe qui a préfiguré ce qui constitue aujourd’hui le collège 4. »
Christine est entrée au Conseil d’administration de Films en Bretagne en 2007. Elle se réjouit des évolutions de la structure. « C’était une sacrée gageure que la mayonnaise prenne. Réunir dans la même ambition des producteurs, des réalisateurs, des techniciens, des associations de diffusion, d’archives, de promotion, tous interdépendants, les uns étant en même temps les employeurs des autres, cela n’était pas gagné d’avance ! Mais on savait que si on ne parvenait pas à travailler ensemble, au vu des chambardements technologiques et économiques de ces dernières années, on était morts. »
Elle observe avec bonheur l’ouverture des Rencontres de Films en Bretagne (ex Doc’Ouest) à la fiction et les succès engrangés par le Groupe Ouest – « il faut multiplier et accompagner les démarches de ce type » -. Elle soutient qu’il faut encourager les initiatives entre régions françaises et européennes. Elle considère que les structures régionales souffrent de leur taille « trop petite » et, « sans aller jusqu’à l’intégration », devraient trouver « des regroupements sous des formes innovantes, – pourquoi pas en Scop ? -, pour se doter d’une base financière plus solide. Peut-être réfléchir aussi à une plate-forme régionale de crowdfunding : la richesse et la diversité des réseaux en Bretagne devraient réussir à drainer une multitude de minuscules ruisseaux de 10 €, de 20 €… pour faire quelques rivières ». La femme d’action n’a pas dit son dernier mot et dans les limites requises par la « jubilación » qui l’emmènera notamment chaque année pendant deux mois en Afrique du Sud où réside l’un de ses trois enfants, elle veut bien rester disponible au sein du PAB « pour donner des pistes de débats, ce qui ne veut pas dire que celles-ci ont une valeur pour le terrain tel qu’il se présente en cette fin 2015 ».
Nathalie Marcault
Les dessins de Schwartz ont été réalisés lors d’une émission de TV Rennes consacrée à Ina Atlantique.
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