Lors de la dernière édition du Festival National du Film d’Animation de Rennes, il a une fois encore été beaucoup question d’animation pour adultes. Depuis dix ans, le secteur cherche à convaincre que le public du cinéma d’animation ne se limite pas aux enfants. Mais le marché ne l’entend pas toujours ainsi…
C’est l’un des films événements du festival et, ce 26 avril, le public est venu nombreux au Théâtre National de Bretagne pour découvrir Funan, un long métrage qui fait beaucoup parler les professionnels de l’animation depuis quelques semaines. Le film retrace l’histoire de Chou, une jeune mère cambodgienne, qui, en 1975, tente de retrouver son fils de 4 ans arraché à sa famille par les Khmers rouges. Pour son premier long métrage, Denis Do s’est aventuré sur le chemin pavé d’embûches du film d’animation pour une cible ado-adultes. Après cinq années de travail, une coproduction complexe pour réunir les 5 M€ du budget et un Grand prix au Festival du Film d’Animation d’Annecy 2018, le réalisateur espérait une distribution à la hauteur de l’investissement. Mais les propos qu’il tient ce soir là au public rennais, révèlent une situation douloureuse, difficile à comprendre tant la salle semble avoir bien accueilli le film. Sorti le 6 mars dans les salles françaises par Bac Distribution, Funan a eu bien du mal à trouver des écrans malgré une critique globalement très favorable. A Rennes, à l’instar de nombreuses villes, le film n’est tout simplement pas sorti. Cette situation ébranle une nouvelle fois le secteur de l’animation qui reste convaincu qu’il existe un public pour l’animation pour adultes.
Le lendemain, l’Association Française du Film d’Animation réunit quelques professionnels pour tenter de comprendre pourquoi les succès du cinéma d’animation restent cantonnés au champ du cinéma jeune public. Le titre de la table ronde se veut uchronique et désigne sans détour un coupable : « Et si Disney n’avait pas fait du Disney ? ». Si, historiquement, le grand Walt a imposé une norme esthétique et narrative dès 1937 avec le succès de Blanche-Neige et les sept nains, il serait stérile de limiter la problématique à la part de marché de la firme de Burbank, aussi écrasante soit-elle. Isabelle Vanini, programmatrice au Forum des Images et auteure d’un mémoire sur la diffusion du cinéma d’animation en salle, rappelle que la France a connu quelques succès probants avec des films pour adultes : « En 2003, Les Triplettes de Belleville réalise 900.000 entrées ; en 2007, Persepolis atteint les 1,280 M d’entrées et en 2008, Valse avec Bachir dépasse les 485.000 entrées. Des films aux sujets divers et dont le point commun est d’être passés par le Festival de Cannes, le film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud glanant un Prix du jury en 2007. » Et on pourrait également ajouter à ce tableau, Mary & Max, film australien grinçant en stop-motion noir et blanc qui a passé les 190.000 entrées en 2009. Depuis 2009, le marché hexagonal serait-il devenu plus dur pour ces films ou la persistance de l’idée que l’animation pour adultes serait boudée par le public français serait-elle infondée ?
Un public frileux ?
On avait pensé que les générations biberonnées depuis les années 70 à la BD, à l’animation japonaise et au jeu vidéo, n’éprouveraient aucune réticence à découvrir des récits animés pour adultes, que l’animation ne serait plus cataloguée comme un « sous genre », mais existerait comme un média mature avec des codes partagés par tous. Et cette nouvelle porosité avait même trouvé son prophète en la personne de Wes Anderson, dont la filmographie alterne depuis dix ans fictions « live » et films en stop-motion. La table ronde rennaise écorne quelque peu ce rêve d’un public curieux de propositions animées aventureuses. Le box-office ne ment pas et les experts nous rappellent que, « lorsqu’Anderson abandonne les comédiens pour des marionnettes animées, il perd une bonne moitié de son public ».
Dans la salle, un spectateur remarque que, ces derniers mois, les animations pour adultes sorties en salles étaient toutes des films historiques ou à sujets politiques. Ces thématiques peuvent limiter l’attractivité des œuvres, notamment pour les adolescents. Le cas Funan revient logiquement dans le débat. En s’appuyant sur quelques données objectives, la salle fait le constat qu’un premier film, fut-il en animation, reste une prise de risque élevée. Avec près de 20.000 entrées, l’exploitation du film de Denis Do apparaît décevante, mais elle échappe à la statistique éprouvante qui veut que 60% des premiers longs métrages français – toutes techniques confondues – réalisent moins de 10.000 entrées lors de leur première exploitation. La rareté des films d’animation d’initiative française exacerbe la perception des échecs. Quand la fiction « live » réalise de mauvais scores sur le marché français, ils sont estompés par le nombre de succès qui reste significatif dans un pays où plus de 77 millions de tickets vendus¹ vont à des productions nationales. Avec seulement 7 longs métrages d’animation sur les 300 films français agréés l’an dernier, l’animation française ne peut compter sur cet « effet de masse » et attend fébrilement chaque nouveau long métrage comme le film qui servira d’étendard à la filière.
Malgré toutes ces pistes de réflexions, un manque évident pointe en fin de débat : les exploitants et distributeurs ne sont pas présents à cette table ronde. Difficile de comprendre pourquoi Funan a été si mal accueilli par les salles sans leur donner la parole… Rendez-vous est pris avec Marie Conas, programmatrice pour Cinédiffusion, société basée en Bretagne et qui programme 282 écrans dans 11 départements. Sa première réponse est catégorique : « Souvent, les distributeurs ne savent pas comment positionner ces films. Le public vieillissant des films arts et essai manque de repères et donc d’envie par rapport à l’animation. Si le distributeur ne fait pas exister le film, l’exploitant ne va pas avoir envie de le sortir. » Elle rappelle qu’un an plus tôt, les exploitants avaient découvert le documentaire animé Chris the Swiss à Cannes, lors des journées AFCAE, et qu’ils l’avaient beaucoup apprécié. Mais, passée l’exposition cannoise, elle regrette un manque de promotion du film. « Quand il est arrivé en salles, le public ne savait pas ce que c’était » constate-t-elle, « Aujourd’hui, pour qu’un film existe, il faut investir dans la communication pour le distinguer dans l’offre pléthorique. La presse ne suffit pas. » Un autre exemple s’immisce dans la conversation : Loving Vincent, film de Dorota Kobiela et Hugh Welchman inspiré par la vie de Vincent Van Gogh et sorti en 2017. Portée par la popularité du peintre et un marketing web précoce décrivant la fabrication du film en peintures animées, cette production britannico-polonaise a été vue en France par plus de 100.000 spectateurs et a connu le succès dans les salles US. Mickey laisserait donc des espaces à conquérir pour l’animation pour adultes ? Marie Conas attend avec curiosité la sortie le 4 septembre de Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, sélectionné à Cannes (Un Certain Regard) cette année. « Le film est distribué par Memento qui sait créer de la notoriété pour des films qui sont difficiles à sortir sur le papier, des films comme Ida ou Le Caire Confidentiel », précise-t-elle. Après un printemps maussade, l’animation française ne serait pas fâchée que ces hirondelles lui annoncent un automne clément…
Jean-François Le Corre
¹Source CNC – Voir