La Boucle documentaire, des auteurs en mouvement


Le premier week-end de juillet se tenait une réunion de la Boucle des auteurs documentaires. Après Strasbourg et Marseille en 2015, le rendez-vous estival de 2016 prenait place à Montpellier sous un soleil brulant et dans une ambiance constructive et combative. 

Constituée au premier semestre 2015 au moment de la crise des chaînes locales, la Boucle documentaire est un collectif de quatorze associations d’auteurs-réalisateurs dont dix régionales (AARSE, ALRT, ARBRE, ATIS, APARR, Le Plateau, Les Petites Caméras, REAL, SAFIR, SAFIR Haut de France, cf encadré) et quatre nationales (SRF, ACID, SFR-CGT, ADDOC). Au-delà du fait qu’elle représente ainsi l’ensemble du territoire, son identité s’est forgée dans cette articulation inédite entre les points de vue régionaux et nationaux sur les problématiques liées à la création documentaire. Au sein de la Boucle, les échanges d’expériences, de documents et d’expertises entre régions ont toujours présidé aux discussions, permettant de donner du grain à moudre aux uns et aux autres dans les négociations avec des élus, et parfois les batailles à venir.
L’ordre du jour plus que copieux du rendez-vous de Montpellier annonçait un week-end studieux pour les 10 associations qui avaient pu faire le voyage. L’occasion de faire le bilan de l’action du collectif depuis plusieurs mois, avant de lancer de nouveaux chantiers.

Un an de travail intense

L’investissement majeur de la Boucle depuis l’été 2015 fut sa participation active à la concertation menée par le CNC sur le financement des documentaires produits avec les chaînes locales. Après la parution d’une plateforme de propositions pour une refondation du soutien au documentaire de création, une délégation de la boucle avait été reçue par le CNC (Direction générale, et Direction Création, territoires et publics) puis par le Ministère de la Culture. Ainsi identifiée, elle fut conviée à la table des négociations au côté des syndicats de producteurs, des sociétés d’auteurs, du collectif Nous Sommes le Documentaire, de certaines organisations professionnelles dont Films en Bretagne, et des diffuseurs. Au terme d’un an de discussions, au cours desquelles les professionnels ont su maintenir un front commun constant, le CNC a arbitré dans deux directions : des mesures favorables aux films produits avec les chaînes locales (possibilité de monter à 80% de financement public pour les films à moins de 150.000 euros horaire, augmentation du nombre de membres de la commission du COSIP sélectif, incitation à un soutien renforcé), et la décision d’abonder les COM existants et à venir dans les territoires. Satisfaite de ces propositions qu’elle défend depuis sa création, la Boucle a pourtant regretté que le CNC ne réponde pas à la demande conjointe des professionnels quant à renforcer les possibles passerelles entre le COSIP sélectif et automatique. L’ensemble des organisations proposait d’aménager un dispositif très encadré qui aurait permis à certains films soutenus par le sélectif de générer à l’automatique sous conditions, ce qui aurait encouragé certains producteurs ayant un compte automatique à continuer d’accompagner des projets aux écritures moins formatées via le sélectif. Après l’augmentation en 2015 du seuil d’accès à l’automatique (de 50.000 à 70.000 €), et de l’apport horaire numéraire minimum par projet (de 9.000 à 12.000 €), l’étanchéité entre COSIP sélectif et automatique fragilise certaines sociétés de production et les auteurs qu’elles accompagnent, et crée une économie à deux vitesses qui pourrait, à terme, marginaliser davantage la création.

Des territoires en mouvement

Outre le bilan du travail de cette délégation à l’œuvre pendant l’année, le rendez vous de Montpellier était  l’occasion de faire le point sur la situation des différentes régions suite aux élections et à la réforme territoriale. Le constat est celui d’une très grande hétérogénéité, certaines régions n’ayant changé ni de frontières ni de majorité (comme en Bretagne), quand d’autres font face à des difficultés réelles. C’est le cas de la Nouvelle Aquitaine, qui réunit trois anciennes régions (Aquitaine, Limousin, Poitou-Charente). Anna Feillou explique que « a priori, les trois fonds de soutien devraient être additionnés et une concertation professionnelle a été mise en place. ATIS, association des auteurs de la Nouvelle-Aquitaine, y a activement participé. Mais l’association est mise en danger par le refus de la Région d’augmenter en 2016 son soutien financier, alors qu’ATIS s’est ouverte aux auteurs de l’ensemble du territoire d’où une hausse significative de son activité. Contrainte de se séparer de son unique salariée, ATIS est en sommeil. Le soutien aux associations d’auteurs devrait pourtant être considéré comme partie prenante des politiques territoriales en faveur de la création. » D’autres régions sont quant à elle extrêmement fragilisées après un changement de majorité, comme en région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, représentée à Montpellier par Jean-Christophe Victor et Régis Sauder. Tous deux décrivent une situation alarmante : « Dans notre région, il est beaucoup plus question de tradition et de patrimoine que de création dans la bouche du nouvel exécutif. Le service cinéma a tout simplement été dissout au profit d’un pôle Industrie des Arts et de l’Image. Rien n’est clair et tout semble pouvoir évoluer, pas forcément dans le bon sens, et particulièrement en ce qui concerne le documentaire dont certains proches  de Christian Estrosi ne comprennent pas l’utilité ». Ailleurs, pendant que  la fusion Alsace – Lorraine / Champagne – Ardenne se fait dans la concertation, notamment avec la SAFIR historiquement présente dans les débats, Languedoc-Roussillon / Midi-Pyrénées exige un plus gros effort d’harmonisation. Quant à la région Bourgogne / Franche-Comté, moins impliquée jusqu’ici dans le documentaire, le chantier est en construction. Outre la volonté politique des exécutifs, les habitudes, ou non, de concertation avec les professionnels semblent déterminantes dans cet état des lieux des situations.

Préparer la suite

Écrit à quatorze mains ce samedi de canicule, un communiqué de presse rappelait ainsi la place revendiquée des auteurs à tous les endroits où sont prises des décisions qui les concernent. Conviée à la réflexion initiée par le CNC autour du renouvellement des conventions de coopération entre état et collectivités territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel, la Boucle, dans ce texte, regrette la faible place donnée aux auteurs dans la restitution de ces travaux, et l’oubli de certaines préconisations quant à leur rémunération. Dans le même temps, le collectif  réitère la demande que les associations d’auteurs-réalisateurs  soient impliquées dans la réflexion en amont de la rédaction de ces conventions, et dans leur évaluation future. Pour la Boucle, la place centrale de l’auteur à toutes les étapes de la création en fait un interlocuteur incontournable à la structuration du secteur.

La dernière étape du week-end consistait à préparer la présence du collectif à Lussas. La Boucle documentaire y a ainsi présenté, aux côtés de Nous sommes le documentaire, son action auprès du CNC, toujours dans la perspective singulière de l’auteur. Régis Sauder a par ailleurs représenté le collectif lors d’un rendez-vous avec la Ministre de la Culture Audrey Azoulay, qui a semblé très à l’écoute des propositions de la Boucle : extension de l’aide à la conception au documentaire, rémunération des auteurs accompagnant leurs films, abondement des aides à l’écriture par le CNC, ouverture d’une réflexion sur le financement du documentaire pour le cinéma (demande conjointe avec Nous sommes le documentaire).

Ces deux temps de Montpellier et Lussas sont désormais derrière nous, et la rentrée de la Boucle est chargée : poursuivre les requêtes en cours auprès du CNC, interpeler France Télévisions aux côtés de la SCAM, prendre part, dans toutes les régions, à la structuration du secteur, continuer à participer à la gouvernance de Tënk… Autant de dossiers sur lesquels le collectif fera le point lors de sa prochaine grande réunion qui aura lieu en décembre. Avant cela, la Boucle sera également présente aux Rencontres de Films en Bretagne où elle offrira un apéritif face à la mer, le jeudi midi. L’automne approche, mais la boucle continue de tourner ; pas d’hibernation en vue !

Céline Dréan



La Boucle documentaire regroupe les organisations suivantes :
AARSE (Association des Auteurs Réalisateurs du Sud-Est – Provence-Alpes-Côte d’Azur)
ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion)
ADDOC (Association des cinéastes documentaristes)
ALRT (Association Ligérienne des Réalisateurs et Techniciens – Pays de la Loire)
ARBRE (Auteurs Réalisateurs en Bretagne)
ATIS (Auteurs de l’Image et du Son en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes)
APARR (Association des Professionnels Audiovisuel Rhin-Rhône – Bourgogne-Franche-Comté)
Le Plateau (Association des cinéastes, auteurs et réalisateurs de l’image et du son en Auvergne)
Les Petites Caméras (Association de Cinéastes en Bourgogne)
REAL (Association des Réalisateurs, Expérimentateurs et Auteurs en Languedoc-Roussillon)
SAFIRE (Société des Auteurs de Films Indépendants en Région Est)
SAFIR Haut de France (Société des Auteurs de Films Indépendants en Région – Hauts-de-France)
SFR-CGT (Syndicat Français des Réalisateurs)
SRF (Société des Réalisateurs de Films)

Contacts pour le réseau :
Addoc / SRF – 14 rue Alexandre Parodi – 75010 Paris
Charlotte Grosse (Addoc) 01 44 89 99 88 / courrier@addoc.net
Bénédicte Hazé (SRF) 01 44 89 99 70 / bhaze@la-srf.fr