KuB : la vive ascension d’un media qui invite à prendre le temps


Le 8 avril dernier, KuB, le premier web média culturel d’initiative régionale, se voyait remettre le prix coup de cœur du public dans le cadre du 6e Prix de l’Initiative numérique Culture, communication, médias, décerné par Audiens, avec plus de 1600 votes en sa faveur. Une visibilité de circonstances qui nous donne une nouvelle occasion d’être chauvin et de revenir sur la belle histoire de KuB : une histoire d’amour entre la culture, un territoire, un public décloisonné, et des forces on ne peut plus vives pour faire battre la création au rythme pluriel des disciplines et des âmes avides de transmettre et de recevoir.

Si aujourd’hui KuB compte 5 salariés, auxquels viennent prêter main forte des services civiques, des stagiaires et des intermittents, il a fallu un peu de temps pour que ce projet éclose, mûrisse et s’élabore dans l’esprit de Serge Steyer, directeur éditorial de KuB. C’est lui qui est à la fois à la tête et à la source du projet.

L’arrivée en Bretagne de cet Alsacien d’origine date de 1996. Il a alors passé une quinzaine d’années à Paris, où il a appris son métier de réalisateur « sur le tas », comme il le dit, et où il découvre que son genre de cinéma, c’est le documentaire : « je fais partie d’une génération qui a bénéficié d’une époque où les équipes de tournage étaient complètes, et où il y avait encore un vrai travail de transmission envers les assistants. À ce moment-là, La Sept/Arte démarrait. J’ai travaillé sur beaucoup de coproductions et compris ce qu’il était possible de faire dans ce milieu. » C’est après avoir tourné une fiction qu’il réalise son premier film documentaire : « j’ai aussitôt été mordu ! », se souvient l’auteur de Huis clos pour un quartier (2007), En attendant le déluge (2015), coauteur avec Stéphane Manchematin des magnifiques portraits documentaires que sont Le Complexe de la salamandre (2014) et L’Esprit des lieux (2018).

Dans les années 2000, Serge Steyer s’engage. Il est militant écologiste (il crée la première AMAP du Pays d’Auray, sonne – déjà – l’alarme du réchauffement climatique), monte une liste aux élections municipales du Bono, où il vit. Il s’engage également dans le monde du cinéma et de l’audiovisuel en Bretagne en devenant membre du CA de Films en Bretagne. Conscients de la nécessité d’œuvrer en faveur d’une véritable décentralisation audiovisuelle, Serge et d’autres membres de FEB invitent en 2007 les candidats aux élections législatives pour leur soumettre un projet qui, déjà, proposait un portail public sur internet et des télévisions de plein exercice.
La fédération connaît une grave crise (en 2008), et Serge est invité à prendre sa tête pour trois années, occupées à rétablir la situation, avant de passer le relais à Céline Durand, aujourd’hui encore directrice de Films en Bretagne. Cet exercice lui permet de se rapprocher des élus de la Région, avec lesquels il partage une préoccupation : celle de donner plus de visibilité aux œuvres produites et tournées en Bretagne, soutenues par le territoire depuis 25 ans. Cette préoccupation porte déjà en germes ce qui deviendra Zoom Bretagne en 2013.

Serge Steyer
Crédit : Gaell B. Lerays

 

« Tout cela a préparé le terrain », commente Serge. En 2014, la Région accepte sa proposition d’un projet de plateforme dans le cadre des négociations d’un COM 2. Breizh Creative, l’association qui porte KuB, est créée. Une version 0 du média en ligne est lancée en 2016, puis une version 1 en 2017. L’aventure ne s’est pas engagée sans difficulté, elle en connaît et en connaîtra sans doute encore, mais Serge mène la barque avec vigilance et fermeté, et elle ne virera pas de bord. « KuB est construit depuis le départ pour être très accessible en termes de propositions et d’échanges. Notre offre dépasse le champ de l’audiovisuel, elle regarde toute la culture. C’est ouvert, et collectif dans une certaine mesure. Une mesure qui ne tient que si quelqu’un tient les commandes. C’est ce que j’ai compris au gré de mes expériences. Un média comme KuB nécessite un arbitrage permanent sans quoi aucune équité n’est possible. La concertation avec le CA et l’équipe est continue, et je reçois toujours avec beaucoup d’intérêt et de bienveillance ceux, nombreux, qui frappent à notre porte avec une idée, un projet. »

Le succès de ce web média culturel, qui fait la part belle à tous les types de créations produites sur le territoire, n’a pas attendu les honneurs du prix Audiens qui vient de lui être décerné. Les chiffres parlent d’évidence : 50 000 visites sur le site et plus de 80 000 interactions par mois sur ses réseaux sociaux ; des temps conséquents passés par ces internautes sur les quelques 500 pages du média en ligne ! Cette fréquentation qui ne cesse d’augmenter, KuB la doit sans doute à cette fenêtre qu’il ouvre sur des œuvres qui ne sont que trop peu ou pas exposées ailleurs, à leur grande diversité, et à un rigoureux travail d’éditorialisation (chaque vidéo est enrichie de contenus critiques, chemins de traverses et autres invitations à creuser le sujet « par ailleurs »). À ces autres œuvres qu’il participe à faire émerger, à force de conseils, d’écoute, et de temps passé avec les auteurs¹. Sans compter que le média est d’accès libre et gratuit !

 

Ce qui est plus étonnant, c’est que la valorisation de tant d’œuvres ayant trait au territoire ne trouve cette année que 20% d’audience à l’intérieur de la Bretagne (pour 45% l’an dernier). La majorité du public de KuB est donc disséminé partout ailleurs en France, et son identité dépasse à n’en pas douter la diaspora bretonne… « C’est que nous avons encore une bonne marge de progrès ! », plaisante Serge Steyer.

Si KuB a fait ses preuves, il ne subit pas moins les conséquences de cette période critique pour la culture. Financé à 90% par la Région et l’État (la DRAC), Breizh Creative est entrée en 2018 dans une phase périlleuse sur le plan budgétaire, avec la fin de ses emplois aidés. « Nous allons, comme beaucoup d’autres dans ce contexte de déséquilibre et de raréfaction de l’argent public, nous tourner bientôt vers le mécénat. », commente Serge.
Il espère également qu’avec le prochain COM 3, les chaînes de télévision locales et régionales pourront acquérir les droits de diffusion pour KuB, lors de leurs négociations avec les producteurs. « Plus de la moitié des œuvres que nous diffusons est issue du COM », précise-t-il.

Pour ce qui est de son développement, justement, KuB est un média de son temps. Un web marketeur – Alexandre Ploujoux – a été embauché pour veiller au grain du référencement et permettre à KuB d’être plus visible « naturellement ». Serge précise qu’un prestataire spécialisé en SEO (Search Engine Optimization, soit le référencement naturel sur l’internet) livre depuis peu des contenus truffés de ces précieux « mots-clés », et que KuB traitera à l’avenir de plus en plus de sujets ; car sur la toile, pour exister, il faut être omniprésent ! Même chose sur les réseaux sociaux et Facebook notamment : « il faut occuper le terrain », déclare Serge,  » KuB est le fruit de ce que j’ai toujours défendu et continue à défendre : la nécessité d’espaces publics, d’accès libre, financés par des fonds publics, pour cultiver notre goût de la démocratie. Des espaces qui donnent à voir la diversité des existences, des formes d’écritures et des points de vue. C’est essentiel !  »
Il suffit d’ailleurs de naviguer sur KuB un certain temps pour être rassuré sur un supposé conflit entre la qualité de l’offre du web média, les valeurs humanistes et citoyennes qui le portent, et ces petites concessions faites à la modernité dans laquelle il s’inscrit, résolument !

À contretemps des flux et reflux d’instantanés en continu, en prenant la mesure du nôtre, (celui dans lequel on vit et celui qu’on passe), KuB s’ancre dans ce que Serge appelle le slow media. « En entrant dans KuB, on prend le temps, de la même façon qu’on prend celui d’entrer dans un bouquin. Cette temporalité que nous avons à cœur d’instaurer, c’est une forme de disponibilité. Or, ce qui fait du chiffre, c’est l’actualité, le temps court, c’est pourquoi notre audience est longue à se construire. Je ne compte pas pour autant y renoncer. C’est notre exigence, et notre identité. »

Gaell B. Lerays


¹Par exemple avec Sylvain Bouttet, qui, avec le soutien de KuB, a pu sortir son « director’s cut » de La Bande à Binic, coproduit par Aligal et France 3 Bretagne, sous le nouveau titre « Voici le jour et nous y croyons »; par exemple avec Jean-Louis Le Tacon qui réalise son rêve d’une balade documentaire au fil du Trieux, dont KuB diffusera prochainement les 21 épisodes d’un 52’ qui a évolué en feuilleton …