Joachim Hérissé est auteur-réalisateur de films d’animation. Après une quinzaine d’années à travailler avec des images 3D il se tourne vers des techniques plus traditionnelles, en 2D mais surtout en stop motion. Il réalise en 2021-2022 le court métrage Écorchée dont le tournage et la fabrication des marionnettes on été effectués au studio Personne n’est parfait ! à Rennes.
Il fait partie d’un collectif, le Motion Lab, qui gère un lieu sur l’île de Nantes, un studio dont le but est d’accueillir des tournages en volume de manière plus éco-responsable.
En se prêtant au jeu des 3 questions, il nous fait part de ses réflexions du moment…
Films en Bretagne : Comment en es-tu arrivé à l’éco-production ? Quelles ont été tes premières priorités dans sa mise en place ?
Joachim Hérissé : Quand j’étais animateur 3D, je me suis rendu compte que je perdais beaucoup d’énergie à essayer d’obtenir des rendus traditionnels. Je me suis dit, pourquoi pas faire directement de la stop motion ? J’ai toujours adoré cette technique et elle me semblait plus éco-responsable, plus low tech que les autres. En arrivant dans le milieu j’ai un peu déchanté et je me demande maintenant si ça ne pollue pas plus que la 2D.
Quand j’ai commencé la stop mo, je ne connaissais rien. J’ai tout appris en autodidacte, en suivant des tutos etc. En un sens ça m’a donné la liberté de faire ce que je voulais : je ne maîtrisais pas les techniques de tirage, de moulage et ça ne m’intéressait pas d’apprendre à manipuler tous ces produits chimiques et toxiques. Avec Sonia Grandame, qui a une formation de plasticienne, on s’est lancés dans quelque chose de plus expérimental : elle avec des matériaux comme le plâtre et moi plutôt avec du papier, la technique de Papercraft. Quand j’ai réalisé Écorchée j’ai de nouveau travaillé avec une plasticienne, Aline Bordereau et cette collaboration a conditionné mon écriture, mon travail d’aujourd’hui. En tant que réalisateur, si je fais de la stop mo, c’est parce que la matière a du sens dans ce que raconte le film et que la fragilité qu’elle apporte m’intéresse. J’aimerais éviter d’utiliser des matériaux de synthèse comme le silicone ou la mousse de latex (beaucoup de produits avec solvants), éviter également d’adapter en volume des designs créés d’abord en 2D. Quand je pense un film stop motion, l’écriture plastique est primordiale. Je cherche à utiliser des matériaux naturels (et donc plus responsables ?) qui vivront à l’image. Si la matière n’entre pas en résonance avec mon histoire, alors je me dirige vers l’animation 2D. Je suis devenu radical ! (rires).
Évidemment si en tant que producteur j’essayais d’avoir un catalogue spécialisé dans la stop mo, je ne dirais pas ça. C’est plus facile pour les réalisateurs d’être dans cette démarche écologique, que pour les producteurs qui ont des enjeux économiques… Pour moi, il faut que la réflexion sur l’éco-responsabilité soit un travail en commun entre producteurs, auteurs-réalisateurs et techniciens.
Films en Bretagne : Qu’est-ce qui te paraît plus facile à mettre en place ? Qu’est-ce qui te paraît plus difficile, quels freins, quelles contraintes ?
Joachim Hérissé : Notre studio collectif, le Motion Lab, a, pour l’instant, un impact très léger puisqu’on valorise des lieux qui existent déjà. L’endroit est incroyable, on est installés dans les anciens locaux du Min (Marché d’intérêt national), le « Rungis » de Nantes. Ce sont d’anciens frigos, l’isolation est top, c’est une force. La hauteur sur plafond est super, tout est parfait pour s’installer sans travaux à faire. Maintenant, il faut qu’on voie sur les tournages, les fabrications à venir, les ateliers qu’on veut mettre en place avec les écoles du coin : comment être le plus malin possible pour être plus clean ? L’idée c’est aussi de développer les tournages en Pays de Loire pour avoir des solutions de proximité avec Rennes. La connexion avec la Bretagne a été efficace sur Écorchée, on a un bon vivier de techniciens de l’animation, on peut se permettre de penser nos plus petits projets à échelle régionale et les plus gros à échelle nationale. On est conscients que limiter les déplacements des techniciens, c’est aussi limiter l’empreinte carbone des projets.
Les financements, on les a pour aider les auteurs-réalisateurs à développer leurs univers visuels et leurs techniques en essayant de minimiser leur impact environnemental. Sur Écorchée, je voulais avoir un résultat au tournage le plus vrai possible pour pouvoir passer moins par la post-production. En tant que réalisateur, ce sont mes parti-pris personnels et artistiques qui peuvent jouer sur l’impact environnemental du film. J’ai un nouveau projet en terre crue et terre cuite, j’aimerais vraiment réussir à utiliser ces matériaux sans avoir à les imiter avec des matières de synthèse. La vraie terre pose des problèmes techniques, mais j’ai envie de les assumer. Je suis venu au volume pour ça, pour assumer des fragilités, c’est ce qui me fatiguait avec la 3D qui était trop lisse et manquait d’humanité. Que ça vibre, c’est ce que j’aime. Je trouve ça intéressant de se dire que par cette contrainte, on peut arriver à des univers différents et originaux. C’est ce que fait par exemple Isis Leterrier en utilisant des plumes d’oiseaux pour fabriquer ses marionnettes. Ce qui me paraît plus difficile, ça concerne la mise en industrie d’un projet. Sur Écorchée mes marionnettes pour le tournage ont quand même été faites avec des techniques de mousse de latex. Je ne sais pas si c’est polluant ou pas, on ne sait jamais trop d’ailleurs, même en essayant de faire des recherches… Et j’ai bien conscience que sur les longs ou les séries, les contraintes ne sont pas les mêmes. Je me dis qu’il faudra quand même peut-être accepter, pour une mise en industrie, d’utiliser certains matériaux de synthèse mais j’aimerais ne pas avoir à prendre cette décision.
Films en Bretagne : Y a-t-il des éléments que tu souhaiterais mettre en place pour aller plus loin dans ta démarche ?
Joachim Hérissé : On est dans un endroit, sur l’île de Nantes, où beaucoup de choses tentent d’être mises en place sans tomber dans un green washing. La récup’ on veut en faire au maximum, il faut qu’on arrive à faire ça… pour l’instant sur des petites fabrications, des petits tournages… on verra quand se posera vraiment la question de récupérer pour des projets d’envergure. On voulait tisser des liens avec des associations, une ressourcerie culturelle, on essaie de créer des ponts avec tous ceux qui nous entourent pour avoir un système qui fonctionne, s’organiser, se structurer.
Avec le Motion Lab, on est en attente de financements. On est sur un modèle encore neuf, on construit progressivement mais il faut que le lieu vive pour convaincre les collectivités. Ce qu’on voudrait mettre en place ça concerne la traçabilité des matériaux. On voudrait aller chercher les financements pour avoir une expertise, une ingénierie des matériaux : voir quel impact ça aura si on utilise par exemple de la mousse de latex ou du silicone. Quel est l’impact d’un rouleau de fil d’aluminium recuit, où est-il fondu ? Pour les colles on sait déjà, pour le reste on a des sons de cloche différents. C’est vrai qu’en stop mo on utilise des petites quantités mais ça vaudrait la peine de creuser plus. Qui sait, si ça se trouve ce serait moins polluant d’utiliser du synthétique plutôt que de la glaise ?
Ce qui n’est pas évident non plus avec les tournages en volume, c’est qu’on a une partie fabrication mais aussi un parc informatique, divers appareillages photo et lumière. Sur l’informatique on va certainement acheter des macs dans une ressourcerie à côté du studio qui fait du reconditionnement. Dragonframe [logiciel de tournage en volume] n’a pas besoin de machines énormes pour tourner. Après, sur les appareils photo c’est compliqué de travailler avec du reconditionné…. Mais ça reste une piste de réflexion. Peut-être qu’on pourrait tourner avec des appareils d’occasion, je ne sais pas. Je ne suis pas chef-opérateur, je ne fais pas la différence entre un 220 et un 5D… et je me dis que les téléspectateurs non plus ? Plus on avance dans les projets d’envergure (série, long) plus on est conditionnés dans une volonté de se rassurer avec une technique ultra précise. C’est valable pour plein de corps de métiers, on essaie d’aller à fond dans notre truc, et moi le premier, on manque parfois de recul. Peut-être qu’on aurait besoin de désescalader un peu nos ambitions techniques ? Accepter de sortir de la technologie de pointe pour revenir à quelque chose de plus basique. Parce qu’on est tous d’accord pour dire que ce que font les gros studios anglo-saxons (Laika) c’est trop…
Mon projet à venir en glaise est un projet de long métrage et je suis prêt à relever le défi. Je pense que ce dont on a besoin maintenant, c’est de se recréer des modèles et c’est mon prochain objectif. Tout est possible !
Propos recueillis par Marie Cattiaut, membre du Groupe de Travail Eco-production de Films en Bretagne, septembre 2023