JE SERAI PARMI LES AMANDIERS, ou comment « raconter ce que l’on ne peut pas dire »


Je serai parmi les amandiers, de Marie Le floc’h, est l’un des 5 films nommés pour concourir au César 2021 du Meilleur film de court métrage. Un très beau film, soutenu par la Région Bretagne et tourné sur le port de pêche de Keroman, à Lorient.

Pour moi, comme pour beaucoup d’autres personnes, ce film est un coup de cœur, qui marque l’esprit. Il nous raconte l’histoire de Maysan, une jeune femme syrienne qui a fui son pays, avec son mari et leur fille. Le couple travaille sur un port de pêche : elle découpe les filets de poissons à la chaîne, il transporte les caisses. On n’en saura pas beaucoup plus sur eux, si ce n’est qu’ils attendent avec appréhension les résultats de l’audience, qui leur accordera – ou non – l’asile politique en France. Et dès les premières minutes du film, la réponse arrive, positive. Pourtant, le soulagement fait immédiatement place à un nouvel obstacle, tout aussi crucial pour la jeune femme : son mari souhaite en effet reprendre la procédure de divorce, envisagée lorsqu’ils vivaient en Syrie… Maysan refuse alors de faire le deuil de son couple. Mais jusqu’où ira-t-elle pour tenter de suspendre la détermination de son mari ?

La réalisatrice, Marie Le floc’h, prend le temps de regarder ses personnages, sans complaisance. Et quand le film se termine, 20 minutes plus tard, on aimerait continuer d’accompagner encore un peu Maysan. Ici pas de cri, ni d’empoignade, mais beaucoup de pudeur et de sensibilité, qui renforcent d’autant plus les enjeux du film et de ses personnages. Quelques mots, qui ne sont pas toujours simples à dire ; une caméra particulièrement attentive à celles et ceux qu’elle filme ; un cadre, une lumière et un son au cordeau… et surtout quelques très belles idées de mise en scène, à la fois métaphoriques et parfaitement ancrées dans la réalité, qui font avancer le récit de manière très cinématographique. Je ne les décrirai pas ici, tant il est préférable de les découvrir à l’écran [voir le film] !

 

Je Serai Parmi Les Amandiers
Je serai parmi les amandiers de Marie Le Floc'h / Production Films Grand Huit & Hélicotronc (Belgique)

 

Disons juste que je ne suis pas étonné, lorsque la réalisatrice, Marie Le Floc’h, reconnaît que ce sont les personnages qui ont de la pudeur qui l’intéressent davantage, préférant trouver des situations qui vont pouvoir nous révéler ce qu’il se passe entre eux, sans qu’il y ait besoin de mots. “Le cinéma est un médium magnifique pour raconter des choses qu’on ne peut pas forcément dire”, explique-t-elle, avant d’ajouter : « À l’écriture, je vois des images. Tout le travail est ensuite de les traduire, de retrouver ces images – avec l’équipe – au moment du tournage ». Pour cela, elle procède de manière plutôt instinctive mais précise, en suivant les personnages, avec la volonté de ne pas être dans la démonstration. Un équilibre délicat, qui se travaille jusqu’au montage.

Pour encore mieux comprendre la singularité de ce court métrage, revenons aussi sur sa genèse et le parcours de sa réalisatrice. Marie Le floc’h a une trentaine d’années. Elle a longtemps vécu près de Marseille, avant de partir vivre en Belgique, pour suivre la formation en réalisation de l’I.A.D. Elle y réalise ses deux premiers courts métrages (Elena et Les herbes bruissent encore) qui remportent chacun plusieurs prix en festivals. En sortant de cette école, elle veut filmer la ville de Lorient. Pourquoi ? Parce que c’est ici que son père a grandi, dans le quartier du Péristyle, et qu’elle y a elle-même de nombreux souvenirs de vacances. Cependant, la démarche de Marie ne relève pas d’une simple nostalgie, mais bien d’une curiosité pour un lieu – dont elle pressent le potentiel cinématographique – et du désir d’y faire de nouvelles rencontres.

Marie Le Floc'h
Marie Le Floc'h

 

Car Marie n’arrive pas à écrire ses films uniquement à son bureau : “j’ai besoin de partir des histoires de vies et de lieux, pour trouver les situations de mes histoires”.

Commence alors un long travail de fond documentaire, qui va lui faire découvrir la face cachée du port : elle passe des nuits entières à la criée, embarque sur un chalutier… et, surtout, elle travaille deux mois et demi comme ouvrière “fileteuse”, à prélever les filets de poissons. Elle découvre ainsi un métier particulièrement dur et éprouvant, principalement exercé par des femmes, pour lesquelles elle éprouve une profonde admiration ! Mais comment rendre hommage à ces femmes ? Film documentaire, reportage radiophonique, fiction ? Elle ne sait pas encore.

C’est alors qu’une autre histoire vient se greffer à cet univers, à l’occasion d’un atelier vidéo que Marie anime dans un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile, à Marseille. Elle y fait la rencontre d’une femme réfugiée, qui veut se séparer de son mari mais à qui on conseille de rester en couple, pour avoir plus de chance d’obtenir l’asile… C’est cette histoire que Marie veut alors raconter ! Ou plutôt la suite, inversée : celle d’une réfugiée qui obtient l’asile et dont le mari veut alors divorcer. “Je ne voulais pas rester enfermée dans l’archétype de la femme qui voudrait quitter un mari conservateur”, dit Marie. Pour elle, il s’agissait surtout de sonder ce qui se passe une fois que la situation administrative de réfugiés est réglée et que “tout ce qui fait la vie ordinaire arrive d’un coup”. L’exil n’est pas le sujet du film, mais bien la toile de fond qui – pour son personnage – décuple le besoin d’être ensemble.

Je serai parmi les amandiers
Je serai parmi les amandiers de Marie Le Floc'h / Production Films Grand Huit & Hélicotronc (Belgique)

 

Ainsi est née Maysan, réfugiée syrienne et fileteuse sur le port de Lorient, qui aimerait tant voir renaître l’amour dans son couple. Encore fallait-il trouver les interprètes capables de faire exister cette histoire d’amour. Au départ, la réalisatrice tenait à travailler avec des acteurs non-professionnels. Mais après une phase infructueuse de casting sauvage, elle se tourne vers une liste de comédiens syriens exilés. Le hasard fait qu’elle rencontre Masa Zaher (Maysan) et Jalal Altawil (le mari) le même jour. Et c’est le déclic tant attendu : “j’ai vraiment senti l’évidence, ne serait-ce que par leur présence”. Une évidence qui se traduit à l’écran. Quant aux ouvrières qui entourent Maysan, ce sont bien de véritables fileteuses qui joueront leurs propres rôles. Par leur accueil et leur investissement lors du tournage, elles ont apporté une énergie essentielle au film, estime la réalisatrice. Même s’il a fallu couper certains plans au montage, pour se focaliser sur l’histoire du couple. Un choix assumé, avec un peu de regret. Mais Marie n’en a probablement pas fini, avec l’histoire de ces “guerrières du quotidien”, comme elle les appelle.

Pour l’heure, Marie préfère se concentrer sur l’écriture de son premier long métrage. Et lors de la prochaine cérémonie des Césars, son cœur battra sans doute un peu plus fort que d’habitude… Nous lui souhaitons bien sûr de remporter le César du court métrage ! Mais qu’elle gagne ou non, prenons le pari que l’on entendra à nouveau parler d’elle. Espérons aussi que la Bretagne continuera de l’inspirer et de l’accueillir. Marie Le Floc’h est ici chez elle.

Denis Rollier

*[Voir le film complet jusqu’au 8 mars sur le site de l’Académie des César]

Cérémonie de remise des prix des César 2021 le 12 mars à 21h sur Canal+ et MyCanal.

JE SERAI PARMI LES AMANDIERS
de Marie Le Floc’h / 2019 / 20 min

Avec Masa Zaher, Jalal Al Tawil, Hamal Alhamoud

Production Films Grand Huit (France)
Coproduction Hélicotronc (Belgique)
Produit par Julie Esparbes, Lionel Massol & Pauline Seigland
Directeur de la photographie : Olivier Boonjing
Son : Pierre Albert Vivet

Affiche Je serai parmi les amandiers