JE est plein d’autres


Une course autour du monde et des festivals a démarré à l’automne 2021 pour Zmiena de Pierre Renverseau. Le film, librement adapté de La Métamorphose de Kafka comptabilise aujourd’hui plus d’une trentaine de Prix, pour la mise en scène, l’interprétation, la musique…

Ce projet fou, en forme de cauchemar sans sommeil, suit Greg qui perd mystérieusement et le corps et l’esprit, dans une lente dégradation savamment référencée.

Avec Rurik Sallé, interprète unique du film, et artiste multi-talents (il est aussi compositeur et coproducteur de ce projet, mais aussi et notamment auteur de fiction), nous avons voulu faire le point.



En premier lieu, au regard de ton parcours, et de la multitude de tes activités, si tu devais te définir, comment t’y prendrais-tu ?

Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je dois dire que je n’aime pas l’expression de « touche à tout », c’est même une expression qui me fait peur ! En réalité, je fais tout ça – écrire des histoires, composer et jouer de la musique, jouer la comédie —, et ce que je fais aujourd’hui, je l’ai toujours fait. Depuis que je suis petit. Je ne suis pas un genre de dilettante « chelou » qui passerait de la danse à l’architecture, et de l’architecture à la cuisine…

Quand j’étais enfant, j’écrivais déjà des fanzines avec mon père, et j’ai toujours écrit, au collège, au lycée – ça a toujours fait partie de moi. La musique pareil, je fais de la musique depuis que je suis tout petit. Mes parents m’avaient très vite mis des instruments de musique dans les mains : des claviers, des trompettes, des xylophones, des tambours… ça aussi, ça a toujours fait partie de moi. Enfin, jouer la comédie, faire des trucs devant la caméra, de la scène, ça aussi j’ai commencé très jeune.

Ces activités, qui sont devenues des métiers, sont vraiment trois parties de moi : l’écriture (auparavant dans la presse fantastique et metal, aujourd’hui dans la fiction), la musique (de film, et dans des groupes), et l’actorat. Je ne fais pas « plein de trucs différents », tout cela s’entremêle, c’est même complémentaire. Si on prend Zmiena, j’ai joué le personnage de Greg, et j’ai composé la musique, mais ce n’est pour ainsi dire pas la même personne : quand j’ai joué Greg devant la caméra, j’étais Greg. La musique, c’était après, dans un tout autre état d’esprit, dans un autre positionnement vis-à-vis du film, avec un autre « moi ». Je différencie véritablement les deux… Et il ne s’agit pas de « schizophrénie » ou de « multiplication », ce sont simplement deux sensibilités qui me composent. Pour l’écriture c’est pareil, je travaille actuellement sur une BD avec un grand ami scénariste, Corbeyran… Je suis dans cette même approche instinctive. Je fais confiance à mon instinct, cet instinct qui me guide à faire ce que je fais. Je sais ce qu’il faut que je fasse et comment le faire… La question du « pourquoi » est accessoire, ou secondaire.

Si je devais me définir en tant qu’artiste, je ne sais pas vraiment comment le dire, mais j’aime à croire qu’il y a une cohérence. Selon moi, il s’agit de connaître ses déclencheurs, ses limites et ses capacités de lâcher prise.


Zmiena continue aujourd’hui son incroyable marathon des festivals… Peux-tu nous parler du film, de l’expérience du film, de ta rencontre avec le personnage ? De ce que ce film-là était pour toi comme terrain de jeu ?

Pour parler du « lâcher prise » et de l’instinct, un ami réalisateur, dont j’admire beaucoup le travail, m’a dit une chose qui m’a fait très plaisir à propos de Zmiena : il a trouvé quelque chose de spontané, de hanté, dans mon interprétation. Ça m’a vraiment touché, parce que c’est exactement comme ça que j’ai abordé la chose… Je me suis laissé me perdre, au gré de la perdition du personnage de Greg.

Après, les projets c’est tout de même une histoire de rencontres. Pour Zmiena, le réalisateur et scénariste Pierre Renverseau est venu me trouver pour que je joue ce personnage, Greg. Il avait écrit en pensant à moi. Ça ne se refuse pas, un cadeau pareil… Et puis, j’ai très vite compris pourquoi il me le demandait, ce qu’il voulait que je lui apporte pour cette histoire-là.

J’aime le cinéma de genre, je navigue aussi dans ce milieu depuis longtemps, mais je n’aime pas les « chapelles »… En d’autres mots, j’aime d’abord le cinéma pour le cinéma, comme la musique pour la musique, avec un goût pour toutes sortes de choses… Mais j’aime la folie et les obsessions d’un auteur ! En fait, le film est fou, mais je ne sais pas si on peut simplement parler de cinéma « de genre » pour Zmiena. Dans le film, la métamorphose n’est pas celle d’un homme en cafard, c’est plutôt l’histoire d’un homme qui glisse vers la « végétalité ». Vous verrez !

Zmiena emprunte bien sûr quelques codes du cinéma de genre, avec au passage d’incroyables maquillages de Jacques-Olivier Molon, et quelques détails lointainement inspirés de La Mouche de Cronenberg. Mais la transformation a plus à voir avec le végétal que l’animal. Au-delà de la folie, d’ailleurs, ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était la douleur et la violence du personnage. En termes de jeu, tu sors de ton corps progressivement, tu dois finir par révéler des choses de toi, dans un costume et un maquillage qui, au fil des minutes du film, se densifie en influant directement et physiquement sur ton jeu, ta capacité à exprimer. Cela devient un défi de faire ressentir des choses à travers ce maquillage, qui devient de plus en plus lourd, avec l’effort physique que cela induit. C’est presque quelque chose de spirituel, et ça colle bien au film : tu es d’abord dans une performance aussi physique qu’émotionnelle, puis au fur et à mesure que le maquillage se développe, tu finis par tout faire passer par quelques détails, les yeux, la délicatesse de quelques mouvements.

Faire la musique du film, c’était tout à fait autre chose… Je redevenais spectateur, et commençais quelque part à comprendre dans quel film j’avais accepté de me perdre. Parce que je ne m’occupais absolument pas de comprendre la trajectoire de Greg en jouant Greg, je me perdais, comme le personnage. La musique, elle, le suit de manière charnelle, en évitant les thèmes musicaux – pour l’accompagner, je voulais une musique qu’on ne pouvait pas chanter, quelque chose de déconstruit, ou qui se construisait.. comme le personnage.

 

Une trentaine de prix autour du monde, avec un film produit de manière totalement indépendante et hors des balises du financement institutionnel, ce n’est pas rien ! Au-delà, du parcours du film, qu’est-ce que cette aventure raconte pour toi ?

Au fond, je ne réalise pas très bien. Nous sommes en France, il y a toujours eu, à mon sens, des auteurs incroyables dans le cinéma de genre, mais également une certaine défiance envers ce cinéma, qui n’est pas véritablement respecté ou mis en avant… Il peut y avoir des performances d’acteurs absolument incroyables dans des films de genre français, pourtant ces acteurs n’atteindront pas la reconnaissance des César, pas encore en tous cas… De la même façon que le groupe de metal français Gojira (nommé aux Grammy Awards en 2017 et 2022) n’ira jamais aux Victoires de la Musique – même si c’est pas très grave il faut le dire, mais c’est comme un symbole tout de même ! Je me souviens de Christophe Lambert quand il était président du Festival de Gérardmer, qui rappelait que le cinéma de genre est un cinéma fragile, mais qui permet aux gens de dire des choses parfois très fortes émotionnellement, politiquement, socialement, historiquement… sous des travers tortueux et souvent fous. C’est donc un cinéma qu’il faut défendre et protéger.

Pour revenir à ce que cette trentaine de prix raconte, ça me fait d’abord plaisir, pour Pierre, pour moi, et pour tous les métiers qui ont œuvré autour du film. Ça donne un socle ! Deux prix d’interprétation, et un pour la musique, ça donne confiance professionnellement, on sort du côté « on the side ». Les prix valident le fait de se consacrer à la comédie, et à la musique de film. Et c’est un cadeau, une chance. Je suis heureux, pour moi, et pour tous ceux qui ont fait ce film : ces prix récompensent le travail indépendant d’une équipe financée majoritairement par un budget participatif d’environ 15.000 euros (en même temps, le fils de David Lynch avait réuni le tiers de ça, il y a quelques années !)… Une équipe qui a fait le film qu’elle a voulu, comme elle l’a voulu.

 propos recueillis par Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne le mardi 17 mai 2022


LE FILM

ZMIENA de Pierre Renversau (14 minutes • ©2021)
Avec Rurik Sallé • Scénario & Réalisation : Pierre Renverseau d’après La Métamorphose de Franz Kafka • Image : Jeff Lesselier et Nicolas Salet • Son : Kevin Serveau • Maquillage FX : Jacques Olivier Molon • Décors : Mathieu Couanault • Musique : Rurik Sallé • Montage : Jérémy Leflamand • Scripte : Noémie Mortier • 1er assistant réalisateur : Pierre-Antoine Deborde
Coproduction : Têtes à Claps (Mathieu Bréchoire) / La Distorsion Parallèle (Rurik Sallé)
synopsis : Automne, aube. La forêt bruisse de partout, on dirait qu’elle vit. En lisière, une vieille maison isolée. Et dans cette maison, une chambre, vétuste. Un homme, Greg, se réveille péniblement, comme s’il avait la gueule de bois… Si ce n’était que ça… 

Suivre l'artiste

tout savoir sur Rurik Sallé et suivre son actualité :

 www.ruriksalle.com 

www.musikrurik.com