Imaginons demain, un texte de pure fiction… • Par Mado Le Fur


27 juillet 2020 

Cela fait un mois tout juste que nous sommes officiellement « déconfinés ».

Les Bretons ont finalement été les derniers à retrouver l’air libre alors que la Bretagne a failli être dans les toutes premières régions déconfinées ; l’apparition d’un cluster le 28 mai près de Loudéac nous a replongé dans l’angoisse et le confinement durant quatre nouvelles longues semaines. Mi-juin, certains ont pu reprendre leur travail et « faire tourner l’économie » mais cela ne concernant pas nos corps de métiers et nous sommes donc « restez à la maison ! ». 

Le masque, obligatoire depuis le 4 mai et « fait maison », manque toujours cruellement dans ce pays mais une livraison imminente est attendue pour les soignants. Les cinémas rouvrent ce week-end partout en France avec trois sorties par semaine maximum le temps que de nouveaux films soient mis en boîte. Les tournages ont repris depuis début juin dans l’Est et en Île-de-France et reprendront officiellement sur tout le territoire français à partir du 1er août. En Bretagne, on s’échange des infos entre professionnels mais aucun tournage n‘est confirmé pour le mois prochain; nous gardons l’espoir que les deux tournages annoncés mi-septembre se concrétiseront. « Mon » tournage interrompu net  le 16 mars dernier ne reprendra pas en baie de Douarnenez. Le scénario a été quelque peu réécrit et la dernière semaine a été tournée en équipe réduite et en région parisienne sur trois jours fin juin. 

10 août 2020

Il pleut averse depuis 17 jours non-stop mais rien ne pourra entacher mon moral. Suite à de nombreuses démarches, un producteur vient de m’appeler pour des repérages dans le Finistère. Cela s’explique en partie par le fait que pour l’instant, nous n’avons pas le droit de nous déplacer à plus de 100 km de notre domicile. Notre portable est contrôlé une fois par semaine, à distance. C’est pour une publicité, les premiers tournages à avoir repris et de lion, pour une voiture hybride « propre » qui devait être tournée en Afrique du Sud et la tâche ne s’annonce pas des plus simples : trouver une route de campagne déserte et sans végétation dans un paysage terreux avec quelques hauts arbres (sic !). La description me fait immédiatement penser à certains paysages de la plaine vénézuélienne mais ici, pour l’instant, je ne vois pas… La production a contacté 8 autres régisseurs dans différentes régions. Le réalisateur qui n’a jamais posé le pied dans notre « far ouest », a trouvé une photo « intéressante » mais ne sait pas exactement dans quelle partie du Finistère elle a été prise. Il me la mail dans la journée… Je parcours mon « territoire/périmètre » en respectant les 100 km à la ronde et la semaine suivante, j’envoie plusieurs propositions. Celle sur laquelle je n’aurais jamais parié est finalement retenue : les tourbières du lac de Brennilis avec la petite route qui monte jusqu’à la Chapelle St Michel. Tous les techniciens et comédiens sont du « périmètre » et nous sommes bien contents de nous retrouver sur un plateau. Cela nous permet aussi de mettre en place un vrai tournage éco-prod avec notamment du co-voiturage et une régie quasi zéro-déchets. Petit miracle de la météo ; il ne pleut pas pendant les trois jours de tournage. 

A coups d’effets spéciaux et de palette graphique, la végétation sera réduite à son maximum, quelques pins seront transformés en baobabs et la terre sera rougie et même « séchée ».  Le résultat ressemble peu à l’image que je me fais de l’Afrique mais comme je n’y suis jamais allée…

C’est la fin de l’été et le rendez-vous habituel du Festival de Douarnenez n’a pas lieu. Les représentants des associations professionnelles bretonnes, qui rassemblent un peu plus en ces temps incertains, organisent une journée d’échanges et de réflexion. Sur la quarantaine de participants, douze sont sur le point de perdre leur statut et nous créons la caisse « sol’heures ». Plusieurs producteurs ont accepté de jouer le jeu et nous pouvons déposer dans cette « caisse » certaines heures travaillées au profit d’autres techniciens. Aujourd’hui, cela permet à 5 de ces intermittents en fin de droit de récupérer leur statut. Pour les 7 autres, nous faisons fonctionner notre réseau et 3 d’entre eux trouvent par ce biais un tournage dans le mois à venir. Les 4 autres préparent un nouveau dossier auprès d’Audiens et Pôle Emploi en espérant bénéficier de fonds d’aide spéciaux. 

Nos discussions portent essentiellement sur les nouvelles règles de l’intermittence qui se durcissent alors qu’un nouvel « aménagement » de notre convention collective doit être annoncé début septembre. Bien évidemment, des « actions » sont imaginées selon les annonces à venir…

6 septembre 2020

Trois semaines plus tard, une production bretonne commence un tournage en forêt de Brocéliande. Le film ne parle ni de lutins, ni de fée, ni du Roi Arthur, ni de fin du monde… mais pour ne rien « divulgâcher », je ne vous dis rien du pitch ! La législation s’assouplit et le producteur obtient quelques dérogations ; je peux rejoindre l’équipe régie au-delà de mon périmètre… Le budget est en deça de ce que le producteur aurait pu espérer « avant »  mais il engage un éco-manager et respecte la parité ce qui lui permet d’obtenir des bonus de la Région et d’équilibrer son budget. Il décide aussi d’appliquer les 45 heures (ex-35heures) notamment pour les équipes régie et déco, ce qui permet à un plus grand nombre de techniciens de travailler. Sur le plateau, les masques sont obligatoires et nous avons parfois l’impression de tourner une série hospitalière à ciel ouvert… L’équipe HMC doit en plus porter des gants en coton réutilisable, à changer entre chaque comédien. Ces trois semaines de tournage en forêt sont bienvenues et août reprend alors son petit air de vacances accentué par notre logement sous tente ou en chalet dans un camping à la ferme, proche des principaux lieux de tournage. 

6 octobre 2020

Je décroche le poste de chargée de figuration sur un téléfilm France Télévisions. Toutes les restrictions de déplacement sont levées et les équipes se « parisianisent » un peu plus mais avec toujours une belle proportion de collègues « locaux ». Le tournage commence dans quelques semaines pour 18 jours. C’est la nouvelle norme avec des journées classiques de 10 heures qui peuvent aller jusqu’à 12h, hors heures supp. C’est ce que propose cette production. Seulement 98 figurants à trouver pour 7 jours de prépa et 5 journées de tournage. La majorité des techniciens porte toujours des masques et les gestes barrières sont appliqués à la lettre. 

Une séquence doit être tournée dans une maison de retraite (la dénomination EHPAD a disparu au profit de maisons plus ou moins fortement médicalisées pour des groupes restreints de petits vieux). C’est l’une des rares batailles gagnées pendant cette période de confinement. Une maison de retraite type Ehpad est recréée à Larmor Plage. Le réalisateur souhaite au départ 30 figurants de plus de 70 ans et au fur et à mesure le nombre diminue passant de 25, à 20 et enfin à 15 devant ma difficulté à trouver des volontaires. La séquence est même repoussée à la dernière semaine de tournage pour me laisser plus de temps (et merci de ne pas remettre ici mes compétences en question…). J’en propose finalement 12 (dont deux de 64 et 66 ans) qui sont chèrement payés (trois fois le salaire habituel) et qui disposent d’une loge pour deux dans laquelle une bonne moitié se réfugie dès le changement de plan annoncé. Nous ne sommes que 3 à pouvoir leur parler et les approcher : le réalisateur, le 1er assistant et moi (qui veille aux mèches rebelles et chemises qui débordent des pantalons souvent trop larges). La vie d’avant est en général peu évoquée, chacun gardant ses « blessures de guerre » pour lui ; ce serait sans doute le début de logorrhées sans fin pour certains. 

Aujourd’hui et demain…

À la sortie de ce tournage, je ne trouve plus le sens de ce travail mais cela arrivait aussi « avant ». 

En attendant, je totalise 156 h sur ce téléfilm et il me reste donc 246 h à travailler d’ici le 18 mars pour arriver aux 632 h désormais requises pour renouveler mon statut. 

Les syndicats sont plus mobilisés que jamais avec un calendrier de grèves et d’actions très dense pour la fin de l’année. Nous nous regroupons par département pour agir en groupes plus importants et être plus efficaces. Nous nous associons aux autres mouvements sociaux qui grondent un peu partout dans notre pays. Dans certains domaines comme l’agriculture et le transport, des changements plus radicaux sont enfin acquis mais même le domaine de la santé peine à se faire entendre encore aujourd’hui. 

J’ai peu de rêves à ce jour mais encore de l’espoir…

Mado Le Fur
Régisseuse générale – Directrice de production