Hâtons-nous lentement • Par Fred Gélard


Savons-nous de quoi sera fait demain ? Qui m’aurait dit il y a 20 ans que je viendrai proposer une forme de compagnonnage et d’échanges entre les jeunes auteurs de court métrage de fiction et les professionnels du secteur de l’audiovisuel en Bretagne. 

La Bretagne est la terre où je suis né et où j’ai commencé à rêver des histoires. La côte de granit rose pour être un peu plus chauvin. C’est même là où je suis né cinématographiquement parlant dans les années 90 à Rennes avec mon personnage, mon énergie, ma créativité. Je dis souvent que je suis né sur un plateau de Cinéma. Ce plateau, c’est Philippe Alard qui me l‘a offert, sur un plateau. Il a été ma rampe de lancement. « Le gars de la piscine », « Villa Beausoleil » et puis « Villégiature » ont été mes premiers terrains de jeu pour l’acteur que je suis. Cette période de confinement, cette proposition que Films en Bretagne nous offre, me permet de regarder en arrière, de prendre du recul et de regarder la ligne de départ. 

Après ces trois films court, moyen et long, films qu’on dit aujourd’hui « sauvages », j’ai voyagé dans d’autres univers cinématographiques en gardant cette énergie et cette envie de me raconter à travers des personnages, de m’exprimer, de créer. Voulant toujours plus de terrains d’expression, j’ai commencé à inventer les miens, à écrire mes plateaux de cinéma et mes films. Je n’avais pas les outils nécessaires pour l’exercice de l’écriture pour le cinéma, alors j’ai commencé à me former sous l’impulsion de deux producteurs. Puis des projets de films sont nés. J’avais le temps. Peu de besoins et une grande envie de comprendre, d’étudier cet art de raconter. Dans les années 2000, j’ai eu la chance de rencontrer Marcel Beaulieu. Nous avons travaillé ensemble de longues journées sur un projet de long métrage. C’était passionnant de l’entendre parler de son expérience de scénariste, de le voir articuler la narration et d’échanger avec moi des petits secrets de fabrication. C’est grâce à lui que j’ai rejoins la deuxième session annuelle du Groupe Ouest en 2009. J’y ai beaucoup appris, sur moi et sur le métier d’écrivain de scénario. Mais mes projets de long métrage n’arrivant pas à terme, je me relançais corps et âme, avec l’énergie du dernier geste, dans un nouveau court métrage. Quelle expérience ! Quand j’y repense ce passage de Nicolas Boileau dans L’art Poétique : « apprenez à penser avant d’écrire, hâtons-nous lentement, et sans perdre courage, cent fois sur le métier…. » me revient à l’esprit. Quel beau texte. 

Ce moyen métrage, « Free party », m’ouvrit une nouvelle voix. Je redémarrais. Je retrouvais mon énergie, mon envie de cinéma et le plateau qui m’a vu naître. Comme on dit souvent de nos jours depuis le début de cette crise sanitaire, je vivais une forme de résilience. 

La vie, quelle soit de cinéma ou d’autres choses, est une accumulation d’expériences. Une des plus belles que j’ai vécue ces dernières années, c’était, à mon tour, de passer le flambeau, de partager mon expérience. 2017, je me lance et je créé une résidence d’écriture individuelle pour jeunes auteurs de court métrage de fiction : Trégor Cinéma. Une résidence d’écriture où on prendrait le temps de partager, d’écouter et d’échanger dans un espace intime entre jeunes auteurs et professionnels du cinéma. Je suis revenu en Bretagne, sur les terres de mon enfance pour lancer cette aventure. Peut-être pour partager avec les jeunes auteurs cet endroit où les choses ont commencé pour moi. 

A la veille du lancement de la troisième édition de la résidence « Les Courts d’Armor », je me pose la question suivante : Au regard de cette crise sanitaire qui nous amène à repenser notre activité demain, c’est à dire à fabriquer des films, avec les contraintes qui vont sûrement en découler, les jeunes auteurs auront-ils encore envie de Cinéma et de se lancer dans l’écriture ? Auront-ils encore envie de se raconter, de raconter leur rapport au monde ? Auront-ils envie de se projeter dans un imaginaire et un après? D’ailleurs donnons-nous assez de place à cet imaginaire dans la société ? Comment pouvons-nous le valoriser davantage pour leur donner envie de s’y plonger ? 

Il y a quelques années, j’avais commencé à rêver une histoire où un virus venait à toucher l’imaginaire de tous les créateurs et auteurs de la planète, le réduisant à néant. La seule solution que le marché de la productivité a trouvé c’est : le remake. Refaire comme avant, avec d’autres, pour occuper l’espace de diffusion et de consommation du divertissement. Jusqu’au jour où un immunisé surgit du fin fond de la Bretagne, comme dirait Jean-Michel J. et inventa de nouvelles histoires.  

Nous vivons une période de confinement difficile, ou pas pour certains, profitons-en pour  nous poser la question de l’émergence des talents de demain sur notre territoire et des moyens humains et financiers pour les accompagner pour voir éclore leur désir de films et pas un copié-collé d’hier, un remake. 

Je suis un optimiste au fond, peut-être aussi parce que je suis tombé et que je me suis relevé, plusieurs fois, alors j’ai confiance dans le désir et l’envie de films des jeunes cinéastes de demain.
En tout cas, comme le dit la chanson de
Sinsemilia, « je leur tendrai la main ». 

 

Fred Gélard
Acteur, auteur, réalisateur
Fondateur de Trégor Cinéma