France 3 Bretagne diffuse « Istorioù Breizh » à partir du 10 octobre prochain. Yann-Herle Gourves est l’un des comédiens à l’affiche de cette série de fictions courtes entièrement tournées en breton. Films en Bretagne retrace son parcours et nous livre ses réflexions sur la situation de la création audiovisuelle en langue bretonne.
Comment es-tu devenu comédien, et le fait d’être bretonnant a-t-il été déterminant pour toi ?
Totalement. J’étais prédestiné à l’enseignement en breton et j’ai d’ailleurs été instituteur pendant deux ans, mais je me suis vite aperçu que cette vie ne me convenait pas. Je me suis retrouvé à faire une candidature spontanée à TV Breizh sans aucune connaissance audiovisuelle préalable, et l’on m’a assez rapidement proposé de faire du doublage. Après une rapide formation, j’ai enchaîné les dessins animés pendant six mois d’affilée. J’y ai forgé un métier. Mais surtout cette expérience a donné naissance à un groupe, varié et protéiforme car venant aussi bien du théâtre que de la musique. En doublage, notre seul public est le micro et nous avons collectivement eu envie de nous mettre en danger. Cela a donné un collectif, Pik Achu (« Point barre » en breton et jeu de mot autour du nom du célèbre personnage jaune du jeu vidéo Pokémon). Nous y produisions un spectacle de cabaret intitulé Le Breton se marre qui était un peu un programme. Nous étions tous animés par une même volonté de dédramatisation de la langue bretonne.
Un peu iconoclaste, non ?
Bien sûr, cela ne plaisait pas à tout le monde dans une région plus habituée à une vision patrimoniale de sa langue, mais j’ai été surpris de me rendre compte que beaucoup de gens, notamment de jeunes, n’attendaient que ça. Pour moi, c’était certainement une forme d’évacuation d’un passé familial militant, mais aussi une revendication de références totalement générationnelles comme Les Nuls. Un besoin d’en rire. Il se trouve qu’au même moment, nous avons appris que TV Rennes cherchait quelque chose de novateur en breton. Nous avons réussi à trouver un producteur, Pois Chiche Films, et nous avons réalisé un pilote. Cela a donné Leurenn Breizh dont deux saisons ont été produites.
Et ça continue ?
C’est compliqué. La fiction courte en langue bretonne se fait par définition dans une économie fragile, et c’est du coup difficile de conserver l’énergie collective. Notre groupe s’est peu à peu dispersé, chacun voguant vers des projets personnels. Et puis le projet a démarré dans une utopie du « tous auteurs » qui était à la fois exaltante et difficilement compatible avec les normes d’une production télévisuelle. Le pilote de la série, bien que très inégal et hétérogène, est devenu en quelque sorte culte : je connais pas mal de gamins qui tous les week-ends le regardent en rentrant de « riboule ». Sur la série, un script-doctor nous a appris certains codes TV, mais cela a généré un formatage et un affadissement. TV Rennes a diffusé la série, les Finistériens viennent enfin de la découvrir sur Tébéo et une édition DVD est distribuée par la Coop Breizh. Cela nous aura offert la plus belle rencontre que nous ayons faite dans les dix dernières années (avis unanime du collectif), avec Sonia Larue. Elle a réalisé la deuxième saison et elle nous a appris ce que pouvait être une direction d’acteur pour un résultat final, bien au-delà de nos espérances.
Cela te semble compliqué de faire de l’humour en breton ?
C’est sûr que ce n’est pas une évidence. Regarde la littérature : quand tu lis en breton, tu as rarement l’occasion de te marrer. Pourtant la langue même est extrêmement riche sur le chapitre de l’humour, elle joue en permanence sur les mots. Mais, par une espèce de dévoiement historique très curieux, le breton est devenu sérieux. Par exemple, pourquoi le breton ne changerait-il pas ? Nous avons tous plusieurs niveaux de langage, nous ne parlons pas de la même manière à notre banquier ou à un ami. Il y a une surprotection de la langue qui est un peu handicapante.
Comment vois-tu l’avenir de la création audiovisuelle en langue bretonne ?
Je pense que c’est dans les tuyaux, mais qu’il va falloir y aller petit à petit. Certains voudraient un long-métrage ou une télévision intégralement en langue bretonne tout de suite. Ce serait déjà pas mal d’avoir régulièrement des bons courts-métrages. Il faut continuer à travailler et créer de l’expérience. Nous avons à peu près dix comédiens bretonnants expérimentés en Bretagne, et seuls quelques-uns en vivent. Nous nous retrouvons tous les ans à Douarnenez où nous faisons des films en une semaine. Le résultat nous importe peu, mais la démarche me semble capitale. Et puis je pense que l’avenir de la création en langue bretonne se fait aussi en langue française. Je viens de voir un court-métrage irlandais magnifique (Yu Ming Is Ainm Dom) qui raconte l’histoire d’un Chinois qui tombe amoureux de la culture irlandaise, apprend le gaélique et se rend en Irlande. Il est surpris de n’y trouver quasiment personne pour parler la langue avec lui. Le fait que nos films soient intégralement en breton pose un sérieux problème de réalisme car notre langue n’est qu’une des composantes de notre société et nos films doivent refléter cette mixité.
Ne crois-tu pas qu’un des handicaps des films en breton est peut-être une trop grande place de la langue au détriment d’un autre langage, cinématographique ?
Ça viendra. Cela prendra du temps, mais je suis convaincu qu’en travaillant cela ne pourra que s’améliorer. Par exemple sur Istorioù Breizh, le réalisateur était canadien et l’équipe technique uniquement francophone. Même si les dialogues étaient en breton, cela n’empêchait pas de ressentir les émotions, de diriger les acteurs. Et c’était extrêmement enrichissant de se frotter à une équipe de trente professionnels. Personnellement, même si c’est par le breton que je suis arrivé à ce métier, je ne me définis plus comme un comédien bretonnant mais comme un comédien.
Propos recueillis par Frédéric Le Gall
Istorioù Breizh / fiction / 10 x 13′ réalisation Luc David / une coproduction par Pois Chiche Films – France Télévisions
> Diffusion tous les dimanches à 11H30 à partir du 10 octobre 2010.
Photo © Pois Chiche Films – France Télévisions