« Fin Ar Bed » : quand facebook fait rayonner la fiction bretonne


FIN AR BED

Fin Ar Bed  s’est imposée comme l’une des productions bretonnes incontournables en 2017, constat validé par sa récente sélection au Festival des créations télévisuelles de Luchon. La série portée par Nicolas Leborgne à la réalisation et le tandem Lyo Production/Tita B côté production a su innover dans un paysage où la fiction d’initiative régionale est encore très cantonnée au court métrage. Avec un format atypique de sept fois dix minutes, ce thriller feuilletonnant, entièrement tourné en langue bretonne, a su bousculer quelques « protocoles » pour trouver son audience en misant sur le web.

C’est en 2011 que les spectateurs du Festival de cinéma de Douarnenez, qui s’étaient aventurés du côté des programmes en langue bretonne, découvrent le pilote de Fin Ar Bed. Nicolas Le Borgne y dirigeait déjà Nolwenn Korbell dans un registre dramatique qui faisait regretter de ne pas voir plus souvent la comédienne dans ce type de rôle. Malgré des qualités évidentes, la série reste en jachère jusqu’en 2014. Et c’est à nouveau au Festival de Douarnenez, que les chaines régionales décident de relancer le projet. Tita B, plus aguerri que Lyo Production qui a initié Fin Ar Bed, rejoint la production et l’engagement des programmes en langue bretonne de France 3 permet de la rendre économiquement crédible. « Les locales TVR, Tébéo et TébéSud ont été déclencheurs en soutenant le pilote dans le cadre du COM1¹ (Contrat d’Objectifs et de Moyens)France 3 a permis de dépasser le stade du pilote » confirme Aurélie Rousseau, directrice de TVR, la locale rennaise.

Il faudra encore trois bonnes années pour que le public découvre la série. Le premier épisode est posté sur facebook le vendredi 29 septembre, la veille de la première diffusion antenne, sur France 3 Bretagne dans une case matinale dédiée aux programmes en langue bretonne. Avec une moyenne de 12 000 spectateurs par épisode, « le programme a réalisé des audiences au-dessus de la moyenne de la case » analyse Mael Le Guennec, responsable des programmes en langue bretonne de France 3 Bretagne, « mais c’est sur facebook qu’il a vraiment trouvé son audience ». La première semaine, le premier épisode cumule 40 000 vues et facebook va porter l’audience de Fin Ar Bed à une moyenne de 50 000 vues par épisode, avec un pic à 100 000 vues pour l’épisode 7. Sur YouTube, la moyenne de 6000 vues par épisode semble dérisoire.

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Fred Premel (Tita B), Anne-Edith Cuillandre (Lyo production), Nicolas Leborgne (réalisateur) © Sonia Lorec

 

FORCE DE FRAPPE

Anne-Edith Cuillandre revendique d’avoir impulsé une stratégie web lors de la production de Fin Ar Bed. « Lyo Prod vient de la production institutionnelle et nous travaillons beaucoup la diffusion web avec nos clients » explique la productrice. Quand on évoque l’audience de la série, elle cite immédiatement le travail du réalisateur : « Il y avait une volonté de Nicolas Leborgne de parler au plus grand nombre et il a voulu trois personnages principaux de trois générations différentes ». Les statistiques facebook montrent que la série aurait surtout touché des hommes de 35 à 44 ans et que les spectateurs de moins de 20 ans représentent 20% de l’audience.

Fred Prémel de Tita B met lui l’accent sur les outils de promotion en ligne : « Après l’avant-première publique de la série, le 22 août, six teasers courts de trente secondes, un teaser officiel de quarante-huit secondes et le générique début de vingt secondes ont été mis en ligne tous les trois ou quatre jours. Des vidéos courtes de making-of et des avant-premières complétaient les teasers ». A la recherche du public « socle » qui aurait pu porter l’audience de la série sur facebook, on évoque naturellement les communautés liées à la langue bretonne. « L’association bretonnante Dizale nous soutient depuis l’origine du projet et nous avons toujours senti de l’envie, de la bienveillance des réseaux bretonnants. Mais, si notre community manager facebook a travaillé ces réseaux, nous n’avons pas senti un engouement particulier des bretonnants lors de la diffusion » constate Anne-Edith Cuillandre.

A France 3, Mael Le Guennec est convaincu que Fin Ar Bed a bénéficié des acquis d’une stratégie web grandissante pour la diffusion des émissions en langue bretonne. Le chargé de programmes n’a pas attendu la diffusion de la série pour constater l’impact de facebook : « L’été dernier, lors de la diffusion de nos émissions sur le Festival Interceltique de Lorient via facebook Live, nos captations et nos émissions ont enregistré près de 1,8 millions de vues, une augmentation de plus de 500% par rapport à nos audiences habituelles ». La diffusion de Fin Ar Bed sur facebook avant l’antenne ne lui a pas posé de problème et il affirme son statut de « producteur de contenus » qui doit s’emparer du web, « cela nous permet de toucher de nouveaux publics ». Et pour déployer cette stratégie web, il peut s’appuyer sur ce qu’il définit comme une « force de frappe » : les 207 000 abonnés de la page facebook de France 3 Bretagne. Pour lui, Fin Ar Bed a bénéficié de ces acquis et du choix des partenaires d’accepter une diffusion facebook en crosspostage. La page facebook de la série peut ainsi comptabiliser l’audience cumulée de l’ensemble des partenaires partageant la même vidéo source sur leurs propres pages, et réciproquement. Une stratégie gagnante-gagnante quand il s’agit d’afficher ces audiences.

UNE FILIÈRE MOBILISÉE

Du côté de TVR, les audiences facebook n’ont pas été aussi importantes (4000 vues en moyenne par épisode) alors que l’outil est largement utilisé par la chaîne. « TVR n’est pas très bien référencée sur la langue bretonne » analyse Aurélie Rousseau. Ces résultats mitigés ne l’empêchent pas de dresser un bilan très positif validé par des « retours qualitatifs » émanant des spectateurs de la chaine. « Je crois beaucoup aux formats courts et nous avons une carte à jouer en régions sur ces formats ». Elle retient de cette production que les partenaires « se sont tous mobilisée pour mener à bien un projet lourd et innovant ». La collaboration entre diffuseurs semble avoir particulièrement bien fonctionné lors de la diffusion de Fin Ar Bed et tous soulignent les synergies en termes de communication et de marketing qui ont permis d’amplifier la visibilité du programme.

« Notre but commun n’était pas uniquement l’audience la plus large, mais aussi de créer une notoriété, une marque forte et identifiée dans les réseaux sociaux et dans la presse » souligne Fred Prémel, « et un marqueur de cette réussite est le nombre de « J’aime » sur la page facebook de la série : 1.700 en 3 mois. C’est le plus grand nombre de fans depuis 10 ans, pour une page d’un film que nous avons produit. C’est un acquis à capitaliser sur une seconde saison ».

Avec une audience facebook cumulée qui avoisine aujourd’hui les 400 000 vues, et réalisée à plus de 50% hors Bretagne, Fin Ar Bed marque les esprits en apportant à la fiction bretonne une visibilité publique qui lui manquait cruellement. Elle acte aussi la capacité de la filière à porter un projet de série de fiction nourrissant des ambitions esthétiques et narratives dans un format cohérent avec une économie régionale. À un moment où le secteur audiovisuel doit faire face à une évolution des modes de diffusion qui déstabilise une culture héritée de la salle et de la télévision linéaire, Fin Ar Bed montre que le web peut être un outil de diffusion performant pour la création régionale, au-delà des cases traditionnelles. Pour une région qui s’enorgueillit d’être à la pointe du numérique avec ces deux métropoles labellisées French Tech, et à un moment où se profile la réflexion sur la 3e génération du contrat d’objectifs et de moyens avec les diffuseurs régionaux, ce retour d’expérience pourrait nourrir une réflexion stimulante sur la production de contenus web natifs en Bretagne.

JFLC


¹Contrat d’objectifs et de moyens financé par la Région Bretagne et qui permettait aux 3 télés locales bretonnes (TVR, Tébéo, TébéSud) de cofinancer et de diffuser des programmes produits dans la région.  L’actuel COM a intègré depuis 3 ans France 3 Bretagne, la webTV bretonnante Brezhoweb et le webmédia culturel KuB.