Être lecteur : ceci n’est pas un métier


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© Gaell B. Lerays


Guichets, dossiers et commissions sonnent sans doute comme des notions familières à l’oreille de ceux qui sont au fait des quelques grandes étapes par lesquelles il faut passer avant de pouvoir envisager qu’un projet de film devienne réalité. Des mots qu’on dirait sans âme, alors qu’ils sont pourtant très fortement incarnés : par les auteurs qui rédigent d’abord les dossiers, par ceux qui les liront ensuite et auront la délicate charge de les évaluer… Ils cherchent leur équilibre entre impartialité et respect, et ce sont d’eux, ces lecteurs, dont nous allons parler…

Comités de lecteurs : pour ceux qui ne sont pas directement concernés par le passage en commissions de leurs dossiers, ces vocables associés évoquent bien plus l’édition et le livre, sans doute, que les métiers du cinéma et de l’audiovisuel. Pourtant, qu’il s’agisse de fiction courte, longue, ou de documentaire, un film s’écrit, et il se lit avant d’être tourné, d’exister. Un film se finance, tout au long du parcours qui le mènera jusqu’aux salles : c’est là, comme ailleurs, le nerf de la guerre. Pour réunir assez d’argent, il faut donner, du film qui n’existe pas encore, l’idée la plus fidèle et la plus imaginable qui soit, propre à rassurer sur la faisabilité de l’oeuvre à venir, et à susciter à la fois frustration et désir : ce sont les scénarios, les hypothèses de scénario, les notes de production, d’intention et de réalisation, et les très pragmatiques prévisionnels…, qui doivent tous ensemble porter cette idée, et transporter celles et ceux qui auront à l’entendre.
Qu’on soit auteur, réalisateur, producteur déposant, il existe différentes portes
auxquelles frapper, en fonction d’où l’on vient, d’où l’on va tourner, de quelle nature est l’objet : aide à l’écriture, au développement, à la réalisation… Des portes qu’il s’agit d’enfoncer à coups de ces dossiers soigneusement composés. Et que des lecteurs vont étudier.

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Nicolas Le Gac © Gaell B. Lerays


Nicolas Le Gac
est le créateur de J’ai Vu un Documentaire – une association de promotion et de diffusion du documentaire de création dans le Pays de Lorient – et son programmateur. Avant cela, il était programmateur également, mais au Festival de Douarnenez, et c’est là qu’il entend parler pour la première fois de l’existence de commissions de lecteurs pour sélectionner les projets de films que la Région Bretagne, en l’occurrence, aide financièrement. Le Festival de Douarnenez est membre du collège 4 de Films en Bretagne et c’est par ce biais que Nicolas est informé qu’on cherche à renouveler un certain nombre de lecteurs qui siègent à la commission du FACCA (Fonds d’Aide à la Création Cinématographique et Audiovisuelle). « Le principe est de faire tourner », raconte Caroline Rubens, auteure-réalisatrice qui a également siégé à de nombreuses reprises dans la commission documentaire du FACCA : « C’est un principe très sain, il ne faut pas s’habituer à ce genre de fauteuil, pour ne pas devenir blasé, pour rester sensible et aiguisé et ne jamais oublier les enjeux que cela représente pour ceux qui déposent. Ce respect pour les déposants, c’est pour moi primordial ! »

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Caroline Rubens © France 3


D’abord réticent à candidater, croyant encore qu’il s’agit seulement de distribuer et de répartir de l’argent, Nicolas change d’avis à la lecture du cahier des charges du Fonds d’Aide : « Il s’agit avant tout de donner un avis argumenté sur un projet artistique. Je pouvais donc me sentir légitime et j’ai envoyé CV et lettre de motivation. Je pense que ceux qui forment ces comités cherchent à diversifier les profils, j’ai donc été appelé à siéger ! », se souvient-il.

En effet, ces comités sont constitués de professionnels issus de différents corps de métier et de différentes régions, afin de juger le plus complètement et le plus justement de la qualité des dossiers qui leur sont confiés. Aux dires de Nicolas, cette complémentarité est source d’un très grand enrichissement, et Caroline le rejoint sur ce point, qui parle elle du bénéfice de ces échanges lors des commissions, quand « producteurs, réalisateurs, programmateurs partagent leur point de vue sur ce qu’est un film, et sur le réalisme du dossier. » Si le doute existe parfois – « et c’est le plus terrible, j’ai toujours si peur de me tromper ! », confie Caroline –, la possibilité même d’en discuter et la bienveillance dont sont empreints les échanges sont un précieux garde-fou et permettent que tout soit toujours fait « pour le mieux », précise-t-elle encore. Elle ajoute enfin qu’il y a « des commissions où règne une certaine harmonie, alors que d’autres fois c’est plus houleux, chacun se battant pour défendre son opinion. » Nicolas se plaît à citer 12 Hommes en colère, de Sidney Lumet, pour le plaisir d’assister parfois au retournement de tout un comité, convaincu par les arguments d’un seul en faveur d’un projet ! On le voit, tout cela ne se joue pas sans passion, ni cinéma !… Des ardeurs que savent toutefois calmer les modérateurs, Guillaume Esterlingot, Claire Rattier-Hamilton et Sophie Duault pour le FACCA, qui président ces comités.

Pour ce qui est de l’exercice de lecture et d’évaluation en lui-même, Caroline précise que le plus grand défi qu’il représente est de ne jamais perdre de vue quel film est décrit : « Tout le monde n’a pas le même talent pour écrire, et il faut s’assurer de la clarté des intentions et de ce qui est dit de la réalisation. Tous les projets ne sont pas des projets de films et ne sont pas portés par un véritable auteur, avec un regard et un point de vue singuliers. C’est cela que l’on nous demande de défendre et de relever. L’enveloppe disponible est définie pour l’année ; il n’est pas raisonnable de vouloir aider tout le monde, comme j’avais tendance à vouloir le faire. J’ai appris à dire non, ce qui était difficile pour moi au départ. »

On entend derrière ces témoignages quel prix donnent ces lecteurs à leur engagement. Un prix qui ne s’affiche pas en numéraire, un lecteur percevant – tout au plus – une modeste indemnité pour sa participation à une commission. Être lecteur n’est pas un métier, même s’il s’agit d’un travail à n’en pas douter : il faut y consacrer beaucoup de temps et d’attention, à raison d’entre vingt et trente dossiers par commission, et de trois à cinq comités par an ; des projets plus ou moins longs, plus ou moins bons, reçus environ un mois avant chaque rendez-vous. A part quelques dossiers que Nicolas juge « problématiques » (soit parce qu’ils sont bourrés de fautes d’orthographe, de lignes manquantes et de copiés mal collés, signes flagrants que les dossiers n’ont pas été relus, soit parce qu’ils véhiculent trop de clichés sur la Bretagne « terre de légendes », ce qui est rédhibitoire à ses yeux ! Avis aux déposants !), lui et Caroline y trouvent cependant leur compte : Nicolas pour ce qu’il reconnaît comme étant un accès privilégié à des ressources qu’il juge inestimables en terme de récit sur la fabrication d’un film et de désir de programmation de ces films pour l’avenir, Caroline parce qu’elle se dit rassurée de se sentir appartenir à la communauté de ceux qui doutent et espèrent. La lecture des projets de ces auteurs-réalisateurs nourrit son propre travail et lui donne en même temps l’occasion et la gratification de « participer à encourager des regards, et des projets qui nous touchent ».

Leur enthousiasme est évident et pourrait faire des émules*. Il n’a d’ailleurs d’égal que leur espoir d’être un jour rappelés pour participer à de nouveaux comités, en Région Bretagne ou ailleurs. L’appel est lancé !

Gaell B. Lerays 


  • Un appel à lecteurs est lancé à la communauté par Films en Bretagne, en général au début du mois de décembre, et concerne les comités pour le FACCA et le FAR.