En 2015, la rédaction de Films en Bretagne rencontrait le réalisateur et producteur du collectif Stank, Pierre-Emmanuel Urcun. Son court-métrage « Le dernier des céfrans » était salué par la critique et accumulait les prix – consécration avec le Prix Vigo 2015, nomination au César du meilleur court-métrage 2016 ! Aujourd’hui, c’est sur l’île de La Réunion que nous retrouvons le brestois entre projets de films, festivals et accompagnement d’auteurs au sein du programme « Talents La Kour ». L’occasion de se pencher de plus près sur ce dispositif de professionnalisation et de promotion de jeunes auteurs. 

– Films en Bretagne : Quelles sont vos actualités au sein de Stank ?

J’ai fait un nouveau film Rase Campagne, diffusé sur Canal+ le 5 avril dernier, à 3h30 du matin… C’était pour les couches tard, j’espère que ça ne leur a pas donné sommeil ! Il a été en compétition à Clermont-Ferrand et sera bientôt à Bruxelles fin avril et au Festival du Film de l’Ouest en juin. Sa vie commence !

 

Avec notre collectif d’auteurs-réalisateurs-producteurs Stank, on a d’autres projets, à la fois entre la France, la Colombie et La Réunion.

Je suis notamment en pré-repérage dans le sud de l’île pour un tournage prévu en juin prochain, celui de L’oeil et la terre de Louis Tardivier. C’est un film de marionnettes, assez particulier à fabriquer. Et ça me fait plaisir de m’immerger dans une autre forme de cinéma que la fiction avec des comédiens. On part un peu vers l’inconnu même si on a déjà réalisé des films d’animation comme Daniel, une vie en bouteille, en 2010.

Nous coproduisons, avec Casatarantula une société de production colombienne, un documentaire, Homo Botanicus, d’un ami cinéaste Guillermo Quintero, sur la relation entre un élève et son professeur de botanique. Ça permet d’ouvrir les horizons, de voyager et c’est le cinéma qui nous correspond !

Nous avons aussi des longs métrages en développement. Je co-écris une fiction avec un autre réalisateur breton, Vincent Cardona, sur la trajectoire d’un personnage un peu particulier qui promeut la démocratie participative. Ça parle de démocratie, de covoiturage et d’alcoolisme…
Le deuxième est l’extrapolation du Dernier des céfrans avec le personnage principal du court métrage. Il évoluera dans un univers un peu plus vaste que ce qui a été développé en court. Une espèce de « grande vadrouille » contemporaine. Voilà des projets parmi d’autres !  Il y en aura certainement d’autres à se greffer sur ce qui est prévu. Comme on le sait, il faut avoir plusieurs cordes à son arc pour pouvoir évoluer dans le milieu du cinéma, sinon c’est toujours un peu compliqué !

 

– Au-delà du repérage pour le film L’œil et la terre, vous accompagnez, à la Cité des Arts à Saint-Denis, une dizaine de jeunes auteurs du dispositif Talents La Kour…

Oui. Un heureux hasard, à l’invitation d’Elsa Dahmani, réalisatrice qui travaille entre l’île de la Réunion et Paris. Elle est à l’initiative de ce dispositif destiné à favoriser l’émergence et la professionnalisation d’aspirants cinéastes réunionnais, sur le modèle des Talents en court initiés par le CNC. Elsa m’a invité, le temps d’une semaine, à partager mon expérience sur l’écriture de scénario avec dix jeunes auteurs. Il s’agit d’être à l’écoute, et dans la proposition, « avec » eux. Nous travaillons à partir de leurs idées pour essayer de les amener vers un scénario ou au moins un traitement et un synopsis.
Parmi les dix projets de courts-métrages de fiction sélectionnés, il y a des films très personnels avec une démarche d’auteur autant que des films de genre, du conte fantastique contemporain au film post apocalyptique sur fond de virus. Le critère de sélection, le point commun entre ces projets de film, est le lien qu’ont les auteurs avec leur île. Chacun y injecte sa propre personnalité. En tous cas, je sens vraiment des univers très distincts et personnels.

 

– Vous n’intervenez que cinq jours, à un moment précis de ce processus d’accompagnement, comment procédez-vous ?

Quand on veut accompagner, il ne faut pas aller trop vite. Les auteurs doivent s’immerger dans leur histoire. Ne pas se presser c’est aussi s’en imprégner au mieux et prendre le temps de faire évoluer son scénario, traitement ou synopsis, en fonction de l’étape qui est atteinte. Mon rôle est de faire maturer les projets dans les meilleures conditions. Ces cinq journées sont vraiment très intenses. C’est souvent trop violent pour qu’un auteur ou un réalisateur puisse digérer et comprendre le processus d’évolution de sa propre histoire. Le but n’est pas de les brusquer mais d’essayer de comprendre ce qu’ils veulent faire et de les accompagner au mieux là-dedans. Cette maturation prendra une forme différente en fonction de la personne. Par exemple, il y a un candidat très jeune, 17 ans et demi, qui écrit un teen movie. Il n’a pas du tout la même approche que Vincent Fontano, metteur en scène et comédien de théâtre, qui arrive avec des idées bien en place, un style déjà présent. Ils n’écrivent ni de la même manière, ni à la même vitesse, parce qu’ils n’ont pas la même expérience. Il faut faire en fonction des participants, respecter leur rythme, et les accompagner avec ce qu’ils ont de singulier.

 

– Et après, que se passe-t-il pour les auteurs ?

Le travail auquel j’ai participé est l’une des premières étapes. Ces quelques jours servent à amorcer « ce » quelque chose. Ils s’inscrivent dans un processus plus long, de l’écriture à l’accompagnement à la fabrication, jusqu’à l’opportunité de trouver des producteurs. Ce dispositif permet de travailler sur toute la chaîne de fabrication d’un film.
D’ici quelques semaines, cinq candidats parmi les dix seront choisis pour aller à Paris pitcher au Comedy Club devant des producteurs, dans le cadre du programme Talents en court. Pendant cette semaine passé ensemble, nous avons essayé de mettre en place le maximum de structure et de développement pour chaque scénario. C’est mieux d’avoir un projet assez construit pour pouvoir le présenter à d’éventuels producteurs… Mais au delà il faut surtout qu’il donne envie. C’est l’idée du pitch !

 

– Pour cette première édition de Talents La Kour, il y a eu une bonne émulation. De nombreux projets ont été proposés, une dizaine sélectionnés. C’est une belle promesse pour la suite ?

J’ai le sentiment d’un vrai engouement pour le cinéma et l’audiovisuel à la Réunion. Je pense notamment à la mise en place de Kino, des expériences de films réalisés en 48 heures, sans oublier les propositions d’amateurs. De ce que j’ai pu voir, il y a une vraie démarche plasticienne, graphique, notamment via le street-art sur l’île qui est vraiment développé et très intéressant. Je pense qu’il y a vraiment des choses à tisser entre la Réunion et la Bretagne, du fait de notre lien historique et culturel fort, de notre rapport à l’insularité aussi. C’est à explorer… C’est mon sentiment après cette belle rencontre avec cette île qui donne tant à voir et ce désir commun de raconter des histoires.

Propos recueillis par Jennifer Aujame

En Une un photogramme de Rase campagne de Pierre-Emmanuel Urcun © Stank

 

« Qu’est-ce que CinéKour ? » par Elsa Dahmani, réalisatrice et fondatrice de l’association porteuse du dispositif Talents La Kour.

« Cinékour est une jeune association dynamique et engagée, destinée à favoriser l’émergence de cinéastes au talent prometteur dans le secteur du cinéma de court-métrage à La Réunion. Son opération-phare Talents La Kour propose, chaque année à travers un concours, une résidence et une mise en réseau en partenariat avec divers acteurs du secteur local et national. Ce dispositif est construit sur le modèle des Talents en court du CNC, parrainés par Jamel Debouze, et qui visent à favoriser une plus grande diversité culturelle et sociale dans le secteur du court métrage français. »

 

Pour plus d’informations : https://www.facebook.com/cinekour/?fref=ts