Emmanuel Roy : rener ar skeudenniñ


Sur le tournage de Lann Vraz, long métrage de fiction en breton filmé en 2013, Emmanuel Roy s’est senti comme un poisson dans l’eau. Cela faisait longtemps qu’il attendait de pouvoir allier son métier de rener ar skeudenniñ, – traduisez chef-opérateur -, et son amour de la langue bretonne. Le film de Soazig Daniellou lui en donnait l’occasion rêvée : il était non seulement joué par des comédiens brittophones mais toute l’équipe parlait breton sur le plateau. Emmanuel a vécu cette immersion comme un aboutissement : le cinéma et le breton, qui ont surgi tôt dans sa vie, s’unissaient enfin. Lui qui est né à Argenteuil et a grandi à Cergy-Pontoise n’a pourtant pas pris le chemin de la Bretagne en ligne droite. C’est en région parisienne que l’histoire prend sa source.

Lann Vraz 2
Emmanuel Roy sur le tournage Lann vraz, téléfilm en breton de Soazig Daniellou ©Kalanna Production

« J’ai commencé à tourner des petits films avec une caméra Super 8 à l’adolescence. Je ne sais pas comment cette envie m’est venue, je n’ai pas analysé l’origine de ce goût précoce pour l’image. C’était là, comme une évidence. Je voulais faire ce métier. Un point, c’est tout », raconte Emmanuel Roy. L’évidence ne saute pas aux yeux de sa famille qui le décourage : « C’est un milieu fermé. Tu n’y arriveras pas ». Le jeune garçon se plie sagement au raisonnement parental et poursuit de bonnes études qui auraient dû le mener à une carrière commerciale. Mais alors qu’il s’apprête à intégrer une classe préparatoire à HEC, un facétieux hasard le met nez-à-nez avec une affiche qui vante les formations aux métiers de l’image. Cette fois-ci, il réussit à convaincre ses parents de le laisser entrer dans une école qui, en un an, prépare à Louis Lumière.

Et la lumière, Emmanuel ne l’a pas beaucoup vue pendant cette période. Au sens propre du terme. « On prenait nos cours dans des locaux en sous-sol sans fenêtre. Quand j’arrivais le matin, il faisait nuit, et quand je sortais le soir, aussi. J’ai bachoté comme un fou pendant un an. Tout le cursus était axé sur l’examen d’entrée à Louis Lumière. On a passé le concours blanc plusieurs fois. Il y avait un côté commando ! L’étudiant met aussi cette année à profit pour se faire une culture cinématographique qui, il l’avoue, tangentait le zéro. « Jusqu’à présent, j’allais voir les gros succès comme La Guerre du feu ou Le Grand bleu. Il m’a fallu rattraper mon retard. J’ai regardé au moins un film par jour, cette année-là, et découvert le cinéma d’auteur ».

Bibi Andersson dans Les fraises sauvages de Bergman. © Svensk Filmindustri

 

Il s’aperçoit avec bonheur qu’il y prend un plaisir décuplé. Il se souvient « être sorti démonté d’émotions » du film de BergmanLes Fraises sauvages« Je suis bien évidemment tombé amoureux de Bibi Andersson, c’est tout juste si je ne me suis pas mis au suédois, je suis devenu un fan absolu et j’ai vu tous les films du cinéaste suédois. » Son travail est couronné de succès. Emmanuel décroche Louis Lumière qui, à l’époque, proposait une formation en deux ans. Il « bouffe » de la technique, refait des équations « longues comme le bras », s’initie à l’optique, à l’analyse de films, à l’écriture de scénario et à la fabrication de films. Et c’est à cette époque qu’il se met aussi à apprendre… le breton.

fraises-sauvages-1957-02-g1
Bibi Andersson dans "Les fraises sauvages" de Bergman ©Svensk Filmindustri

Cherchez la grand-mère

Les grands-parents maternels d’Emmanuel sont des Finistériens du Nord, bretonnants, qui ont quitté leur région natale pour la grande ville. Enfant, il n’a jamais entendu parler breton, mais l’idiome faisait partie de son patrimoine, « comme un tableau de famille » et il était proche de sa grand-mère. « Vers 20 ans, j’ai senti le besoin de m’approprier cette langue. Il y avait dans ce désir quelque chose d’affectif et de politique. Apprendre le breton, c’était aussi une façon de défendre une singularité, une vision du monde qui se nourrit de la rencontre des différences. » Emmanuel fréquente assidûment la Mission bretonne à Paris, s’imprègne – autant qu’il le peut – de culture bretonne par les Fest noz, les cours de danse et les concerts de musique. Il progresse « bon an, mal an » dans son apprentissage mais se heurte à l’absence de « bain linguistique ». « Il ne suffit pas de posséder la grammaire et le vocabulaire. Il faut trouver des occasions de parler en dehors des cours. Au bout de quelques années, j’étais parvenu à saturation. Je n’en pouvais plus de parler seulement avec d’autres élèves et avec les profs. Avec ma compagne, on a décidé d’arrêter de fantasmer la Bretagne et on a quitté Paris pour s’installer à Rennes où elle avait trouvé un travail. » 

Mais ne brûlons pas les étapes car entre sa sortie de Louis Lumière en 1991 et son arrivée en Bretagne fin 2002, il s’est écoulé une décennie au cours de laquelle Emmanuel a fait ses gammes de chef opérateur. Après l’école, il aurait pu emprunter la voie classique, et gravir peu à peu les échelons. Mais dès ses premiers contrats, ce qu’il avait pressenti durant sa formation s’est confirmé : « C’était encore la vieille voie hiérarchique du cinéma français. Tu commences assistant-caméra et tu n’obtiens ton bâton de maréchal qu’à un âge déjà avancé. Je ne me voyais pas suivre ce parcours du combattant. J’ai eu la chance de faire mon service militaire au cinéma des armées et d’y découvrir la vidéo que je n’avais pas beaucoup manié à Louis Lumière qui nous formait quasi exclusivement aux outils de la fiction. »

Premières armes

Dans la foulée, le jeune homme est recruté par une société de production qui travaille pour la télévision publique. Pendant quatre ans, il se fait la main en cadrant des magazines aux formats courts. Puis il change de boite et « monte en gamme ». La plupart des grands reportages et des documentaires auxquels il collabore alors sont tournés à l’étranger et diffusés par Arte : « J’étais plutôt fier de dire que je travaillais pour cette chaîne ! » De cette expérience, Emmanuel tire une certitude : « Je n’aime pas le journalisme pur. Je suis frustré de faire des images purement informatives. J’ai besoin de discuter en amont, de réfléchir au point de vue et à l’esthétique ».

 

A cette époque, il acquiert une grande polyvalence qui fait partie, estime-t-il, de ses points forts. « Ma façon de tourner s’accommode d’une certaine vitesse, d’une certaine souplesse et d’une capacité à être réactif ». Parallèlement, Il participe à des courts métrages de fiction : « Je n’ai jamais renoncé à la fiction. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’aujourd’hui, les mêmes outils sont utilisés partout. Les gens de ma génération qui ont travaillé pour le cinéma, la télévision, la publicité, en 35 mm, en Super 16, en Bétacam et maintenant en numérique, sont à la croisée des chemins. Nous pouvons revendiquer ce savoir-faire transversal. » Jusqu’aujourd’hui, Emmanuel continue à tourner des documentaires unitaires pour France 5, France 3 ou Arte. Il travaille souvent avec les mêmes, apprécie la réflexion à « deux têtes », et se conçoit comme « le bras armé » du réalisateur, sans « surenchère ni jargonnage techniques ».

Mont-Blanc
Sur les pentes du Mont-Blanc pour l'émission "En Immersion" (France 2). A gauche : Julien Chaumat, ingénieur du son. ''Trois semaines à crapahuter caméra à la main, jusqu'à poser le pied sur le toit de l'Europe. Certains jours, il vaut mieux ne pas avoir le vertige.'' ©Emmanuel Roy

Depuis qu’il vit en Bretagne – nous y revoilà -, le chef opérateur a développé un nouveau réseau, facilité par l’accueil qu’il a reçu. Il a apprécié de « rencontrer ici des professionnels très ouverts ». Il a encore étoffé sa palette professionnelle en développant l’écriture de films. « J’ai toujours eu envie de raconter des histoires. Tout au long de ma carrière, j’ai rempli mes tiroirs de projets qui, pour la plupart, n’ont pas abouti. » Avant que les mots ne deviennent des images : « Avec mon ami, le réalisateur François-Xavier Vives, j’ai co-écrit le moyen métrage Noli me tangere sorti en 2003 et le long métrage Landes en salles en 2012. J’ai également participé au scénario de Lann Vraz (1) avec 5 autres auteurs, puisqu’à l’origine, ce projet devait prendre la forme d’une série de six épisodes. »

Landes
Marie Gillain dans ''Landes'', long-métrage de François-Xavier Vives. ''Une première expérience marquante de cadreur en long, doublée du plaisir de filmer un scénario dont j'ai participé à l'écriture.'' ©Sésame Films et WFE

Début 2013, Emmanuel comble un inhabituel trou d’activité en mettant trois projets en chantier. Pas moins ! Un documentaire Avel en o blev (Du vent dans leurs cheveux) qui dresse le portrait de quatre chanteuses bretonnantes. Déjà tourné, le film sera monté en février 2016 à France 3. Un court métrage de fiction en breton, Ar mor Atav (La mer, toujours) qui a reçu l’aide de la Région Bretagne et du Conseil général du Finistère, et qui sera, « si tout se passe comme prévu », tourné au dernier trimestre 2015. Et last but not least : un long métrage de fiction, lauréat de la fondation Beaumarchais, qui sera bilingue. Français-breton ? « Pas du tout, c’est un projet franco-allemand ! L’histoire se situe dans l’Allemagne occupée par les troupes françaises après la Première Guerre mondiale. Le bilinguisme, c’est décidément ma marotte ! J’aimerais que le film soit vraiment porté comme un projet binational ». Accompagnée par la dramaturge Katja Krüger, Emmanuel a achevé un premier traitement et ne sais pas, avec tous ces fers au feu, quand il pourra reprendre l’écriture.

 

Doc chanteuses
Premier doc de E. Roy

Lorsqu’il a réalisé son premier documentaire, le chef-opérateur a gardé la main sur la caméra. Pour ses futurs films, il délèguera l’image à un homologue. C’est Fabrice Richard qui signera la photo de son court métrage. « Je suis arrivé à un moment de ma vie où j’ouvre de nouvelles portes. Je ne sais pas si j’ai envie de me consacrer entièrement à la réalisation. Ce qui est certain, c’est que je veux poursuivre cette expérience et je pense qu’elle pourra me servir dans mon métier de chef opérateur. Me mettre dans la peau du réalisateur me permet de mieux connaître ses besoins, la singularité de ce rôle. » D’ici-là, Emmanuel aura cadré le nouveau documentaire de Soazig Daniellou dont le tournage aura lieu à la rentrée. En breton, mar plij ! Il observe avec intérêt l’émergence d’une jeune génération d’auteurs et réalisateurs bretonnants, les Goulwena an HenaffYouenn Chapalain ou Avel Corre qui sont attirés par la fiction.


Lors de son édition d’août 2015, le festival de cinéma de Douarnenez projettera des films de ces jeunes auteurs et proposera pour la deuxième année consécutive, un pitch dating brezhonek, appel aux projets de fictions courtes en langue bretonne. Le Groupe Ouest accompagne aussi ce mouvement avec sa formation ‘’devenir auteur en langue bretonne’’ (2). Emmanuel, quant à lui, n’est pas en reste. Avec ses deux enfants qui sont scolarisés dans des écoles bilingues, il ne parle que le breton. Chez lui, la relève est assurée !

Nathalie Marcault

(1) Lann Vraz, un film de Soazig Daniellou, une coproduction Kalanna – France Télévisions – Tébéo – TVR – Ty télé avec le soutien de la Région Bretagne, du Département du Finistère et du Centre National du Cinéma et de l’image animée.

(2) Le partenariat avec Stumdi, Livre et Lecture en Bretagne, Dizale et le Groupe Ouest se poursuit avec la vocation de permettre aux auteurs écrivant en langue bretonne de se former aux principes fondamentaux de l’écriture. La nouvelle mouture expérimentée en 2014 (formation de quinze jours consécutifs) et porté par la structure Groupe Ouest Développement se focalise sur les outils de la dramaturgie nécessaires aux auteurs au tout début du développement d’un projet de film, étape appelée pré-écriture.

 

En savoir + : Lien(s) en relation avec ce sujet
Le site d’Emmanuel Roy