Ecriture accompagnée et documentaire : définir un cadre pour trouver sa place


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Rencontres de Films en Bretagne © YLM Picture

La 17ème édition des Rencontres de Films en Bretagne s’est tenue du 5 au 6 octobre au Centre des congrès et au cinéma Arletty de Saint-Quay-Portrieux.  C’est sous un soleil radieux, et dans un décor naturellement somptueux, que les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel de France, mais aussi de Belgique et d’Italie, se sont retrouvés pour prendre des nouvelles, et en donner. Un rendez-vous entendu et construit comme un point d’étape, où les réflexions collectives se nourrissent des initiatives individuelles pour penser ensemble des projets ambitieux et ancrés dans leur temps. Un rendez-vous pour redire également la volonté collective, des professionnels comme des politiques, de poursuivre dans la voie d’une structuration et d’un développement de la filière, à l’intérieur et au-delà de nos frontières.

Les auteurs tenaient lieu de fil rouge dans la programmation l’an passé, un fil que cette édition reprenait où nous l’avions laisséC’est en effet de leur accompagnement à l’écriture qu’il s’est agi de débattre, non plus sous l’angle de dispositifs pensés pour booster l’écriture et permettre aux auteurs d’accoucher de leur film, mais sous celui des accoucheurs eux-mêmes, leur statut, la définition de leur emploi, la relation qu’ils entretiennent avec l’auteur, et le producteur.
Ce sont ceux qu’en documentaire – puisque c’est là qu’on se situe cette fois – on appelle consultant à l’écriture, script-doctor, tuteur, etc., selon une terminologie assez vague, pas toujours appropriée à la situation, et qui nécessite d’être (re)définie. Cette collaboration peut également être sujette à conflits, notamment quand pose problème la paternité de l’oeuvre, la part de chacun dans son élaboration première qui est celle de l’écriture et une supposée co-signature.

Céline Dréan, auteure-réalisatrice qui modérait ces échanges, le rappelait en préambule : l’accompagnement à l’écriture en documentaire, en France en particulier, intervient à un endroit stratégique de la vie d’un film, parfois celui de la possibilité même du film, ou de sa survie. Qu’il s’agisse d’obtenir des financements à différents guichets, ou de permettre de trouver la voix du film à un moment où il se tait, les formes de collaboration à l’écriture se multiplient sans pour autant s’inscrire dans un champ d’interactions bien établi, et cela rend vulnérables toutes les parties. Autrement dit, les désillusions amères, les procès en paternité, les attentes déçues, tout cela fait bien souvent suite à un cadre posé de guingois, à des prérogatives qu’on n’a pas jugé utile de discuter, au temps qui passe sans qu’on sache l’arrêter.

Un constat s’impose : il y a en la matière du flou un peu partout. L’auteure-réalisatrice Laurence Kirsch, la productrice Caroline Roussel, Olivier Daunizeau en sa qualité de script-doctor et Nicolas Mazars, responsable juridique de l’audiovisuel à la SCAM, étaient réunis pour témoigner de leurs pratiques et de leur expérience, et appeler de leurs voeux plus de clarté pour plus d’assurance. Clarifier les statuts et le contexte pour mieux élaborer et renforcer un projet, le film, et tous ceux qui le portent. 

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Laurence Kirsch © YLM Picture

Laurence Kirsch est auteure et réalisatrice. Il lui est arrivée plusieurs fois de travailler à deux, selon des modalités et des temporalités différentes, et son expérience corrobore ce premier constat : c’est en définissant la place de chacun en amont de l’aventure de la « co-écriture », soit en définissant ses attentes, les objectifs de la collaboration et quel temps lui sera alloué, que l’on peut vivre une relation apaisée et utile au projet. Il lui aura fallu une expérience malheureuse pour le comprendre et mieux appréhender les suivantes : « j’avais proposé à une collaboratrice d’être co-auteure d’un film que je portais depuis longtemps, afin qu’elle prenne le relais et devienne le moteur du film, mais sans que j’aie verbalisé ce désir. Elle n’a pas investi cette énergie, et je ne lui ai pas laissé prendre cette place de co-auteure. Je m’étais « déplacée », et je me suis dépossédée du film. Cela m’a heureusement permis de comprendre quelle était ma place en tant qu’auteure. » La fois suivante, Laurence connaissait le script-doctor à qui elle faisait appel pour une expertise rapide et précise sur un projet en cours, « une analyse radicale, comme peut l’être celle de la monteuse devant les rushes. », précise-t-elle. « Ce script-doctor a aussitôt définit sa place, qui ne serait pas celle de co-auteur, et a parlé d’argent, ce qui m’a rassurée : cela posait les limites de son engagement. En deux jours, j’obtenais ce que j’attendais. »

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Olivier Daunizeau © YLM Picture

Cette question des limites et du positionnement, Olivier Daunizeau les connaît bien. D’abord auteur-réalisateur puis producteur, il s’est un jour « autoproclamé script-doctor ». Quand on fait appel à lui, c’est ainsi qu’il dit entrer en matière : « Je commence par parler d’argent ». De quoi rassurer les auteurs sans doute. Et les producteurs. L’argent, c’est du travail, de l’énergie, et c’est du temps. Reste à définir les besoins, la mission et ses objectifs pour décider du type de rémunération. Il poursuit : « Il faut bien sûr avoir le désir de travailler ensemble. Et pour que les choses soient claires : je refuse a priori le statut de co-auteur.

Ensuite, tout dépend du type d’expertise demandée. Si j’écris une fiche analytique, c’est-à-dire que je doive pointer les forces du projet, les faiblesses du dossier et donner des pistes de réécriture, je demande à être payé en droits d’auteur au forfait. Je suis auteur de la fiche et c’est tout. Si je travaille en tête-à-tête avec l’auteur durant plusieurs heures, voire plusieurs jours, mon travail s’apparente à celui du monteur ; je demande alors à être payé au même tarif, en droits d’auteur ou en salaire, pour un temps donné. C’est alors ce qui sert de base à la négociation avec le producteur, laquelle, dans l’économie fragile du documentaire, oblige à des ajustements. Mais je ne me considère pas autrement que comme un salarié dans ma relation à lui, si c’est lui qui m’emploie, y compris symboliquement. »

Où l’on voit que « l’argent est juge de paix », pour reprendre les mots d’Olivier, et que la terminologie quant au poste qu’on occupe aurait un rôle déterminant à jouer dans cette paix.

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Caroline Roussel © YLM Picture

Caroline Roussel est productrice chez Arturo Mio et dit apprécier la référence « filée » par Laurence et Olivier au travail du monteur comme un repère parlant, puisque la nomenclature des métiers appliquée au documentaire lui paraît défaillante. Elle insiste sur le fait que tout doit être décidé et consigné dès le départ, quand tout va bien et que personne ne se préoccupe d’un accord qui servira de garantie par la suite si le film est mis à mal. Toujours dans cette optique de créer un cadre mieux défini pour servir le projet et ceux qui participent à le construire, elle évoque la « fiche généalogique » utilisée en fiction TV et qui pourrait être un outil des plus efficace dans cette affaire documentaire : « cette fiche permet de suivre pas à pas la ou les paternités successives de l’oeuvre, c’est une généalogie de l’écriture qui permet de protéger l’oeuvre dans son évolution. Son intégrité. »

Elle rappelle également le rôle qui est le sien en matière d’accompagnement de l’auteur et qui préside à toute autre forme de secours : « si cela ne suffit pas, il existe plein de façons d’aider l’auteur et de s’aider soi-même en tant que producteur, comme les forums de pitching, ou les labs qui inscrivent le projet dans un parcours qui peut l’aider à se fortifier et à fortifier le dossier. Tout le monde a intérêt à ce qu’il soit bien écrit. Il faut pouvoir revenir à l’intention de départ jusqu’au montage. », poursuit-elle.

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Nicolas Mazars © YLM Picture

« Créer un métier s’il n’existe pas ». Une assertion qui ressemble à une provocation après ce temps passé à en parler. Elle est signée Nicolas Mazars et elle dit bien dans quelle impasse se trouvent ces collaborateurs à l’écriture et leurs employeurs aujourd’hui, et qui n’est pas que juridique. Il rappelait ainsi l’importance de la terminologie et de la définition des formes de l’accompagnement pour décider du type de contrat qui sera établi entre les parties, du type de rémunération, subséquemment. « Le juriste ne prend en compte que des éléments objectifs tels le contrat et le générique », précise-t-il, « de même que l’Agessa réclame des critères clairs et peut, dans le doute, refuser le régime d’exception qu’est celui d’artiste-auteur à un collaborateur. » Tant qu’un métier n’est pas rigoureusement qualifié, tant qu’il n’y a pas de mot pour le dire, et de contextualisation précise pour l’exercer, ce flou s’installe comme l’inconfort des uns et des autres dans une relation mal ajustée faute d’être nommée. Et si, comme le dit Nicolas Mazars, « des solutions de médiation existent en cas de conflit : l’AMAPA (Association de Médiation et d’Arbitrage de la Profession Audiovisuelle) permet de résoudre la plupart des désaccords et de continuer le film ; la SCAM a son propre service de médiation en cas de problèmes de partage de droits, et des solutions sont trouvées le plus souvent, en plus ou moins de temps », cela n’est évidemment pas satisfaisant.

Sans parler encore de la constitution d’un groupe de recherche – ce qui n’est cependant pas à exclure – l’auteure-réalisatrice Anna Feillou rappelait depuis l’assistance l’utilité d’un guide pratique élaboré par les associations Addoc & ATIS et qu’Olivier Daunizeau présentait aux Rencontres l’an dernier. Une démarche dont on pourrait s’inspirer pour « qualifier la place de ces collaborateurs, afin de leur donner la possibilité légale d’être payés en droits d’auteur quand leur travail ne répond ni à un lien de subordination avec le producteur, ni à du co-autorat », précise Anna.

Place, attentes, objectifs et budget d’un côté, expertise et positionnement de l’autre : il ne semble manquer aux auteurs, producteurs et « consultants » qu’une case, un mot sur lequel s’entendre pour s’engager chacun dans une relation de travail apaisée. Céline Dréan rappelait en conclusion de ces échanges que ce défaut de langage n’est sans doute la conséquence que d’une évolution des pratiques et de « quelque chose qui n’aurait jamais été qualifié, pas d’un endroit qui résisterait sans raison. » Rien que de très positif et d’encourageant, en somme.

Gaell B. Lerays


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