GROUPE DE TRAVAIL ECO-PRODUCTION : UN ENGAGEMENT MANIFESTE  


Dans le cadre de la consultation des adhérent·es conduite par Films en Bretagne en 2021, l’enjeu de transition écologique est clairement ressorti comme un sujet de préoccupation transversale à l’ensemble des acteurs de la filière.

Dans l’objectif de permettre aux adhérent·es de s’emparer pleinement du sujet, et de travailler communément au déploiement d’un plan d’actions dans le cadre du projet associatif, le Conseil d’Administration de Films en Bretagne, dans sa réunion du 28 janvier 2022, a décidé d’appeler les membres de Films en Bretagne à la constitution d’un groupe de travail « ECOPRODUCTION », transversal à tous les métiers. 

Ce groupe de travail bénéficie de l’appui logistique et opérationnel de l’équipe salariée de Films en Bretagne : organisation des réunions et rendez-vous, actions / événements, compte-rendu et communication.

Le respect de l’Accord de Paris exige de tous les secteurs de notre économie une réduction des gaz à effet de serre (GES) afin de limiter la hausse des températures entre 1,5° et 2°C.
L’Europe intensifie sa réglementation en ce sens, son pacte vert (Green deal) prévoit notamment la contribution de tous les secteurs économiques à la neutralité climatique.
A l’échelle de la France les objectifs sont connus : – 40% d’émissions de GES d’ici 2030 (par rapport à 1990) et la neutralité carbone d’ici 2050.
Cela suppose pour la France de réduire de 2,16% ses émissions par an jusqu’en 2030 puis de 3,7% jusqu’en 2050.

Bien que jugé moins impactant avec ses 1,7 millions de tonnes équivalent carbone émis chaque année, le secteur audiovisuel (incluant la distribution de vidéos en streaming, le cinéma, la publicité, la télévision, l’archivage et les projections) va néanmoins devoir suivre cette trajectoire de réduction.

A l’heure où le numérique révolutionne le secteur audiovisuel, le recours croissant à des équipements très gourmands en matières critiques, et la hausse des consommations énergétiques liées à l’augmentation des services et des usages (ex : la diffusion en 8K exige 32 fois plus de données à traiter que la Haute Définition) risquent d’alourdir l’empreinte écologique du secteur. 

Et on peut s’attendre à une hausse du prix de ces équipements compte tenu de la raréfaction et des prévisions de pénurie de certaines matières premières. 

La prise en compte de ces enjeux est une nécessité mais surtout une véritable opportunité pour le secteur d’organiser sa résilience.    

Un plan d’action du CNC pour une politique publique de la transition écologique et énergétique, se met en place dès 2023 qui rendra obligatoire la réalisation d’un bilan carbone pour toute œuvre ou projet financé par le CNC. En 2024, la mise en place de pratiques éco-responsables et la réalisation du bilan carbone sera une conditionalité des aides du CNC.
A noter également qu’il existe des éco-bonus pour l’éco production en Ile-De-France et en Corse (15% de bonus en Corse, de 25 000 à 75 000€ pour les films de moins de 6 millions d’euros, de 25 000€ à 1000 000€ pour les films de plus de 6 millions d’euros). 

En Bretagne, nous pouvons lire sur le site de Bretagne Cinéma que le “projet stratégique régional pour le cinéma et l’audiovisuel se veut porteur d’exemplarité en termes de réduction de l’empreinte écologique, de respect de l’égalité femme/homme et plus généralement de respect des droits culturels. 

Un questionnaire est désormais intégré à la liste des pièces obligatoires au dépôt des demandes d’aide régionale. Ce questionnaire a notamment pour but de dresser un inventaire des bonnes pratiques en ce qui concerne la transition écologique, l’égalité femme homme, l’éducation artistique et la promotion des droits culturels.” 

 

Films en Bretagne a souhaité s’entretenir avec trois professionnelles investies depuis longtemps autour de cet enjeu et qui ont porté la mise en place de ce groupe de travail. 

Nous avons donc posé trois questions à : 

  • Mado Le Fur, régisseuse et cheffe de file
  • Marianna Didiergeorges, régisseuse et chargée de production
  • Gwenaëlle Clauwaert, productrice au sein de Ten2Ten 

bandeau écoprod

 

Pourquoi avez-vous porté la création de ce groupe de travail Eco-production au sein de Films en Bretagne ? 

Mado Le Fur  : ce sujet m’intéresse personnellement depuis très longtemps. Dans ma vie personnelle, j’ai pris des engagements, j’applique des gestes, j’ai pris des habitudes. On ne peut pas (plus !) passer à côté de ce sujet, on a qu’une planète…C’est donc un sujet sur lequel je suis sensible à la base et ce qu’on met en place dans les tournages est loin d’être exemplaire : bouteilles d’eau, transports peu optimisés, etc. Depuis environ trois ans, nous sommes plusieurs professionnel·les à s’emparer de cette question et à en parler. Pendant le confinement, j’en ai aussi profité pour me former avec Eco-prod. La rencontre avec des personnes qui partagent ces interrogations et cette envie d’agir stimule et est nécessaire. Tout seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ! 

Marianna Didiergeorges : le fait d’avoir suivi la formation éco-production m’a fait me poser la question de ce qu’on pouvait faire à notre niveau, dans notre région. La formation était centrée sur Paris, l’idée était de transposer ça en région Bretagne, de connecter les réseaux. La Bretagne est un territoire sensible à la question de la transition écologique, comment, à notre niveau nous pouvons créer un réseau, avec nos structures locales ? 

Le fait de rencontrer des personnes qui partagent ces questions et de ne pas se sentir seule, ça aide. Tant que tu es seule, tu mets en place des petites choses, mais il n’y a pas de grandes avancées, ni de dynamique. A partir du moment où on s’est posé ces questions à plusieurs, il était logique de porter ces enjeux au sein de Films en Bretagne. 

Le dernier rapport du GIEC (paru le 28 février 2022 consultable ici) est très alarmiste et en termes de transition écologique, le secteur de l’audiovisuel et du cinéma est en retard. Puisque l’Etat n’agit pas assez vite, c’est aux régions, aux communes et aux communautés de communes de mettre en place et d’appuyer des actions concrètes.  C’est notre terre à tous, et ce sont aussi les citoyens qui peuvent bousculer les institutions. Il y a de beaux exemples d’initiatives portées par des individus qui tentent de trouver des solutions aux problématiques de la pollution des eaux, des ressources (création d’électricité avec des vagues, low tech, etc.). Après, il faut voir comment les généraliser et les financer. C’est la chance d’internet, de démocratiser, et de porter à notre connaissance toutes ces initiatives. Plus on en parle, plus cela se répandra. Il faut avoir connaissance de tous ces outils et solutions pour les appliquer. Pour en revenir à notre secteur, les professionnels qui travaillent en régie, en production, en déco, etc, sont confrontés à des problématiques environnementales. Tant qu’on ne nous donne pas les moyens, ou que nous n’avons pas connaissance des solutions qui existent, cela n’avancera pas. Il faut généraliser des pratiques et même des manières de penser. C’est une urgence. Le cinéma est une grosse industrie, qui peut beaucoup polluer (1,7 millions de tonnes équivalent carbone émis chaque année par le secteur. Rien que pour les tournages, cela équivaut à 410 000 aller-retours Paris/ New-York en avion d’après Eco-ecoprod), on ne peut pas ignorer ça. 

Gwenaëlle Clauwaert : dans ce que devient notre monde, compte tenu de l’urgence d’agir et de l’impact écologique (même si notre secteur n’est pas le plus polluant, l’impact est néanmoins significatif !) généré par la production d’une œuvre TV ou cinéma, il me semble impensable de ne pas se pencher concrètement sur cette question !

Pour vous, quels seraient les 3 chantiers prioritaires à mener pour que la filière audiovisuel et cinéma fasse sa transition ? Quels sont les freins actuels ?

MLF : Tout d’abord, je crois beaucoup à la sensibilisation des équipes, qui est essentielle pour faire avancer les mentalités. Par exemple, j’ai travaillé récemment sur un film pour lequel le directeur de production était sensibilisé à la question, et donc toutes mes propositions ont été acceptées. Parfois le frein que l’on rencontre c’est de ne pas avoir l’appui de la production et donc d’avoir des difficultés à mettre en place des solutions plus écologiques. 

Sinon, une des avancées serait aussi, lorsque l’embauche se fait au niveau local, de pouvoir réfléchir très en amont à la logistique du tournage, notamment pour optimiser le transport.

Et je ne connais pas très bien cette partie, mais un des grands enjeux est celui du numérique, qui a un énorme impact écologique (tant au niveau de la fabrication avec l’usage d’énergies fossiles qu’au niveau du fonctionnement qui demande une grande consommation d’énergie. NDLR). 

Ce n’est pas forcément un chantier en soi, mais le cinéma a un impact important dans l’imaginaire collectif et peut être, en ce sens, un vecteur puissant pour le changement des mentalités, en montrant des gestes, en “donnant l’exemple”. C’est délicat de toucher à l’artistique, et il faut bien sûr préserver la liberté de la création, mais parfois caractériser un personnage peut aussi passer par montrer des gestes écologiques (montrer le quotidien avec des poubelles de tri, le vrac, etc) et cela participe à changer les habitudes. Tout cela n’est pas applicable à tous les films, mais quand cela s’y prête, cela peut-être un vecteur (pour aller plus loin, lire cet article “la fiction peut-elle accélérer la transition écologique ?)

MD :  Il faudrait recenser toutes nos ressources et structures qui sont dans une démarche d’éco-responsabilité sur le territoire et pouvoir les communiquer pour faciliter la mise en lien. 

Un chantier important serait aussi d’aller à la rencontre de chaque chef de poste pour comprendre la réalité du terrain, les contraintes, etc. Nous ne travaillons pas tous dans les mêmes configurations (court-métrage, long-métrage, téléfilm…), les budgets, le temps de travail, les employeurs sont différents. On ne peut appliquer de manière unique des solutions, il faut pouvoir s’adapter aux différents cas de figure. Pour moi, il faut partir du terrain, trouver des solutions, partager nos expériences, créer du lien autour de cette question. Parfois on nous impose des choses inapplicables et sans nous avoir outillé auparavant. 

Enfin, je pense qu’il faut mettre des moyens pour que cette transition écologique se fasse et aussi que les collectivités et structures qui soutiennent le secteur mettent en place des restrictions. C’est très important d’avoir une phase de sensibilisation, mais ensuite, il faut passer à l’étape supérieure, tout en restant dans le dialogue et l’accompagnement des professionnels. L’éco-production commence à être prise en compte dans les écoles et formations, mais cela reste encore marginal et très souvent lié à une initiative personnelle. 

GC : Un des premiers chantiers à mon sens est celui de la transmission, via des formations mais aussi des webinaires, des retours d’expériences d’interlocuteurs français et des professionnels étrangers, en prise directe avec les pratiques durables et les outils d’évaluation, afin de rendre leur utilisation concrète auprès des professionnels bretons.

Un autre chantier serait celui de mutualiser les compétences. Enfin, il faudrait impliquer les collectivités locales et régionales ainsi que des partenaires afin de créer de nouvelles synergies sur le terrain. 

Quels sont pour vous les 3 mots clés liés à l’éco-production ?

MLFLa persévérance : il ne faut rien lâcher ! La cohérence : je ne trouve pas tout à fait ce mot juste, mais c’est ce qui me vient de plus proche pour dire “un même sens entre vie professionnelle et privée”.  Iceberg : on met des choses en place et…le champ des possibles est immense !

MDDiminuer : il faut arrêter de consommer autant et se demander de quoi on a réellement besoin. C’est le principe des 5R (Refuser. Réduire. Réutiliser. Recycler. Composter – « Rot » en anglais). Mutualiser : le principe même de tout collectif, dans la logique de diminuer nos achats, est de créer une solidarité, une économie circulaire, sortir de l’individualisme. Surtout à l’échelle départementale et régionale, les distances plus courtes facilitent cela.  Le respect : le respect des êtres humains (la dignité des personnes, des salaires, des conditions de travail…), mais aussi de l’environnement et des animaux ! J’ai suivi le module de formation “tournage en milieu naturel” qui m’a beaucoup appris. Un tournage peut avoir de grandes conséquences pour un écosystème. En quelques jours, on vient imposer une présence, un rythme, des bruits dans des lieux qui ne sont pas habitués à cela. On effraie les animaux qui vont se réfugier dans d’autres écosystèmes qui peuvent alors se déséquilibrer à leur tour. Rien que le piétinement humain, c’est désastreux ! On impose ce qu’on a envie de faire, là où on a envie de le faire, mais il est important de se poser la question du lieu, des troubles qu’on provoque, et si c’est indispensable. En Bretagne, nous avons de la chance car il y a des organisations qui protègent le littoral, mais il faut tout de même sensibiliser (tourner en forêt n’est pas sans conséquence par exemple). Donc, oui le mot respect, et encore, il n’est pas assez fort ! 

GC : je dirais : agir ; responsabiliser ; solidarité

Informations complémentaires

Le Groupe Eco-production se réunit régulièrement, en visio ou en présentiel. Ses membres sont toutes et tous des professionnel·le·s en activité qui s’investissent à la hauteur de leurs possibilités, sur des actions de fond et/ou des actions ponctuelles
Les personnes intéressées peuvent rejoindre le grooupe à tout moment en se manifester auprès de Lubna Beautemps : lubnabeautemps.mediation@filmsenbretagne.org 

Depuis 2020 et en lien avec le travail du groupe ecoprod, en partenariat avec le collectif Ecoprod, Films en Bretagne a intégré cet enjeu dans son offre de formation avec plusieurs modules dédiés à l’éco-production : vous pouvez retrouver ces infos sur les pages du pôle de formation


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