En France, près d’un film sur cinq est le fruit d’une adaptation littéraire. Il n’en fallait pas davantage pour que les Rencontres de Films en Bretagne se penchent sur cette notion qui ne se décline jamais sur un seul modèle.
Il n’a pas qu’un seul chemin qui conduit du livre à l’écran. En mettant en avant en une seule journée plusieurs expériences différentes, les Rencontres de Films en Bretagne ont semé de petites graines de scénarios à écrire. Dans un focus sur deux dispositifs en faveur de l’adaptation, Nathalie Piaskowski, directrice de la Société civile des éditeurs de langue française (SCELF) a tout d’abord rappelé l’existence d’un premier état des lieux de l’adaptation littéraire au cinéma réalisé à partir des statistiques du CNC entre 2006 et 2013. L’un des constats forts de cette étude – dont le contenu intégral est à lire sur le site de la SCELF – concerne la moyenne des réalisations qui reste constante sur cette période autour de 20% alors qu’elles ont progressé à 22% en 2014, puis à 25% en 2015. La tendance confirme une réalité : au moins un film sur cinq est une adaptation littéraire d’une œuvre qu’elle soit française ou étrangère. Cette même enquête rappelle que le genre le plus prisé reste le roman et la nouvelle, à hauteur de 62%. Suivent la littérature jeunesse (12%), la bande dessinée (11%), le récit et le témoignage (7%) et le document-essai (4%). « L’adaptation reste une valeur sûre au regard des entrées en salles, précise Nathalie Piaskowski. Si l’on s’arrête aux quinze films ayant totalisé plus de deux millions d’entrées, plus de la moitié a pour origine une adaptation littéraire. Ce qui change particulièrement, c’est la part prise par les œuvres en langue française, qui a progressé sur cette même période de 18 à 29%. » L’ensemble de ces phénomènes s’expliquent, selon l’étude, par plusieurs facteurs : la professionnalisation des maisons d’édition qui dédient désormais des départements à la promotion et l’exploitation des droits audiovisuels ; la poussée de la bande dessinée et tout particulièrement celle de langue française en 2013 ; un intérêt croissant des producteurs pour le catalogue d’œuvres littéraires françaises et l’effet des Rencontres professionnelles de la SCELF, créées en 2009, qui ont renforcé les relations entre producteurs et éditeurs et développé un véritable réseau.
DES DISPOSITIFS JEUNES
Lors de la dernière édition au Salon du Livre Paris 2016, deux cent cinquante producteurs ont ainsi participé au speed-dating mis en place avec les éditeurs autour d’un catalogue de près de trois cents titres à paraître. La formule a si bien trouvé sa place qu’une déclinaison à portée internationale a été amorcée, notamment pour aller au-delà du constat où 90% des œuvres adaptées le sont par un producteur français. Shoot the Book a vu le jour, confrontant des éditeurs français désireux de tenter l’aventure internationale et des producteurs étrangers. La première édition, à l’occasion du festival de Cannes 2014, a concerné cent producteurs de quarante pays différents et les éditeurs pionniers ont découvert cet exercice particulier qui consiste à pitcher en quelques minutes une œuvre en anglais devant un auditoire conséquent. C’est un territoire où la SCELF a le souci d’attirer et d’accompagner de petites maisons d’éditions intéressées par le dispositif. Son expertise s’est affinée au fil des premières éditions et son territoire d’action s’est élargi à Toronto et à Los Angeles, dans les coulisses de festivals de cinéma. Une prochaine étape est envisagée en Chine. « Ce sont des dispositifs jeunes, ajoute Nathalie Piaskowski, qui peut déjà comptabiliser pour chaque année d’existence de Shoot the Book entre une et deux options déclarées d’adaptation. Il faut du temps pour cela aboutisse. Cinq ans et même jusqu’à dix ans. Une option n’est pas une adaptation, mais ce démarrage montre que nous sommes sur une bonne voie. »
Atmosphère un peu différente du côté de Lyon et son festival international Quais du Polar qui, depuis sa dixième édition en 2014, a lancé une Polar Connection, journée de rencontres professionnelles réunissant éditeurs, traducteurs, producteurs, scénaristes et auteurs autour de tables rondes thématiques et d’études de cas. Un brassage suffisamment bouillonnant pour susciter, dès la troisième année, une envie de se focaliser sur la série télévisée en créant un nouveau prix littéraire susceptible de porter un roman au fort potentiel d’adaptation. Le Prix Polar en Séries est né en 2016 et il a été conçu avec le soutien de la Société civile des éditeurs de langue française. « L’appel à candidatures a immédiatement suscité de l’intérêt auprès des éditeurs puisque soixante-cinq dossiers de livres ont été déposés, » explique Marie Le Gac, responsable du bureau des auteurs à Rhône-Alpes Cinéma, partenaire du projet et fort d’une expérience antérieure de trois années d’un prix de l’adaptation au cinéma. « Il est encore bien tôt pour tirer des conclusions quant à la capacité de ce rendez-vous lyonnais à mettre le doigt sur un roman qui deviendra une série télévisée, mais l’engouement est flagrant et la lisibilité donnée, au moins aux six finalistes sélectionnés, essentielle. Ils sont présentés dans un livret édité spécifiquement pour Quais du Polar, distribué à l’ensemble des participants de Polar Connection, traduit en anglais pour les étrangers et diffusé ensuite via les différents réseaux des partenaires que sont Rhône-Alpes Cinéma, la SCELF ou Initiative Film. » Un deuxième appel à candidatures a été lancé pour le prochain Quai du polar, en mars 2017 et vient de se clôturer. La modération de ce rendez-vous était assurée par Cécile Petit-Vallaud, la directrice de la Cinémathèque de Bretagne. Avant d’occuper ce poste, elle a été chargée de mission à la Commission du film d’Ile de France et, à ce titre lors de la mise en place de Shoot the Book, elle s’est trouvée en première ligne sur cette passerelle qui prenait corps entre les mondes du livre et de l’image.
UNE DÉCLINAISON PLURI-MEDIA
C’est à un autre stade du parcours particulier qui peut mener d’un livre à l’écran qu’invitait l’étude de cas animée autour de Claude Gendrot, éditeur chez Futuropolis et Jean-François Le Corre, producteur au sein de Vivement Lundi ! Tous deux ont témoigné des chemins de traverse que peut emprunter une œuvre dans les têtes de ceux qui s’en emparent pour nourrir leurs propres imaginaires et susciter de nouveaux projets.
À la base, il y a le travail d’un historien, en l’occurrence celui de Patrick Gourlay, auteur en 2013 de l’essai paru chez Coop Breiz Nuit franquiste sur Brest, où il relate les péripéties invraisemblables qui font suite à l’arrivée d’un sous-marin républicain espagnol dans le port de Brest à l’été 1937. La matière est suffisamment palpitante et dense pour qu’elle séduise quasiment au même moment le scénariste de bande dessinée Kris et le producteur de cinéma Jean-François Le Corre. Chacun de son côté, mais l’un comme l’autre se communiquant leurs envies. Le premier accompagné par son complice Bertrand Galic et le dessinateur Damien Cuvillier s’arrête sur une fraction des faits historiques rapportés par Patrick Gourlay et la bande dessinée Nuit noire sur Brest est éditée chez Futuropolis avec sa dose de fiction qui convient au genre. De l’autre le réalisateur Hubert Béasse, un temps aiguillé par son producteur, pousse la recherche dans les archives et met le doigt sur les ramifications de cette affaire espagnole dans une tentative plus ambitieuse de déstabilisation du gouvernement français par la mouvance d’extrême-droite. Cela s’écarte en conséquence des seuls quais du port de Brest et prend consistance dans le documentaire L’Affaire du sous-marin rouge. Chacun est donc allé de son grain de sel dans les déclinaisons qui ont vu le jour, se nourrissant du travail de recherche des autres dans une collaboration pas du tout préméditée, mais qui s’avère fructueuse. La part de fiction introduite dans la bande dessinée a été équilibrée, dans l’album sorti en septembre 2016, par un dossier très dense écrit par Patrick Gourlay où il contextualise le récit scénarisé par Kris et Bertrand Galic. La matière développée dans l’essai historique a aiguillonné l’auteur documentariste côté audiovisuel mais ici on ne parle pas d’adaptation. « Les faits historiques, scientifiques et biographiques ne sont pas appropriables par les droits d’auteur, a précisé Nicolas Mazars, responsable juridique de la SCAM présent lors de l’étude de cas. Ils n’appartiennent à personne même s’ils sont piochés dans un livre. Le droit d’auteur ne peut être conçu comme la récompense d’une recherche. C’est la rémunération de la création. »
Pour le spectateur cette double proposition offre autant de portes pour mieux entrer dans un fait historique étonnant et le comprendre. Il peut aussi profiter d’une cerise sur le gâteau que Vivement Lundi ! et Futuropolis ont réussi à faire germer en parallèle et qui fait le pont entre la bande dessinée et le documentaire. La réalisatrice Céline Dréan, et sa productrice Aurélie Angebault ont conçu une web-série Brest 1937, le dessous des cases. En cinq épisodes, de cinq à six minutes chacun, celle-ci relate et expose comment des créateurs s’emparent d’un fait historique. Elle sera mise en ligne le 28 octobre, sur KuB, le webmedia de la culture en Bretagne, dont c’est le premier programme en coproduction, et sur le site de France 3 Bretagne, juste au moment où le festival de bande dessinée Quai des Bulles à Saint-Malo, consacrera par le biais d’une exposition un large écho de la sortie de Nuit noire sur Brest, et à l’heure où le film d’Hubert Béasse L’affaire du sous-marin rouge connaîtra ses premières diffusions sur grand écran.
Christian Campion
En savoir +
L’étude portée par la SCELF sur le Marché français de l’adaptation cinématographique est à retrouver ici.
Plus d’info ici sur Polar en séries.
Et trois avants-premières de L’Affaire du sous-marin rouge de Hubert Béasse :
À Brest, le 28 octobre à 20h au cinéma Les Studios, en présence de Hubert Béasse et de Jean-François Le Corre, une projection à l’initiative de La Cinémathèque de Bretagne.
À St Malo, dans le cadre de Quai des Bulles, le samedi 29 octobre à 17h au Palais du Grand Large en présence de Hubert Béasse et de l’équipe de Nuit noire sur Brest.
À Rennes, le 16 novembre à 18h30 à la bibliothèque des Champs Libres en présence de Hubert Béasse et des auteurs Kris, Bertrand Galic et Patrick Gourlay.