Pince à linge le lundi, princesse dragonne le mardi, zèbre le mercredi, ils se métamorphosent d’un claquement de langue, accompagnent notre enfance, nous entrainent dans d’incroyables aventures, nous font rire, pleurer, rêver, et pourtant on ne les voit jamais… Plus accoutumés à la pénombre des studios d’enregistrement qu’au feu des projecteurs, les comédiens doubleurs sortent de l’ombre !
« Au théâtre, l’émotion principale vient du son, disait Peter Brook. Moi, j’ai toujours été passionné par la voix. Alors, quand j’ai appris qu’un studio de doublage s’installait à Rennes, j’ai sauté sur l’occasion. » À 55 ans, Philippe Robert ne se lasse pas de jouer avec ses cordes vocales. Pour ce comédien conteur qui pratique l’art du Kamishibaï – petit théâtre dessiné ambulant – la découverte du doublage se fait en 2011. Dans un souci de décentralisation, la société de postproduction AGM Factory s’installe à Rennes et organise une formation en doublage à destination des comédiens. « Pendant une semaine, on s’est entrainé à lire une bande rythmo. Comme au karaoké, un texte défile sous des images. Il faut regarder les deux parties de l’écran simultanément : si le personnage se met à courir, sa respiration s’accélère et il faut le donner à entendre ! » précise Sabrina Amengual, comédienne dans la compagnie de théâtre Le Puits qui parle. La jeune femme a suivi la même formation il y a 7 ans et a réalisé plusieurs enregistrements pour la série d’animation Dimitri, co-produite par Vivement Lundi. Un exercice chaque fois un peu stressant : « On ne sait pas ce qu’on va voir, on ne connaît pas l’histoire, l’enregistrement se fait rarement de manière chronologique et le temps est limité : il faut être efficace tout en étant force de proposition, » confirme Philippe qui incarne l’autruche Habibi dans la même série.
Techniques vocales et compétences théâtrales
Se placer devant le micro, jouer avec ses cordes vocales, passer d’une voix de tête, de gorge, ou de ventre à une voix blanche sont autant de qualités techniques requises pour le doublage. Mais « une voix n’est jamais qu’une voix », tempère Camille Kerdellant, comédienne ayant travaillé pour Vivement lundi, AGM Factory, JPL Films ou encore le studio L’Oreille du Chat. « La voix engage tout le corps, ce n’est pas que de la technique sinon ce serait froid et ennuyeux. » D’abord chanteuse, Camille Kerdellant reconnaît que sa formation musicale l’a beaucoup aidée mais « la voix ne sort pas que de la bouche, elle est à l’intérieur. Au même titre qu’un personnage, ce n’est pas qu’un trait sur du papier, il se nourrit de tout ce que le réalisateur a voulu y mettre. » Travail d’imprégnation mais aussi de composition, le doublage puise dans les savoir-faire théâtraux. « La voix est ce qui va donner de l’épaisseur au personnage. Souvent, je préfère chercher un caractère plutôt qu’un effet, proposer une voix inquiète ou enjouée plutôt que de la faire bégayer ou zozoter. »
Toutefois, en animation et notamment les programmes à destination des enfants, les personnages sont moins complexes qu’au cinéma et offrent ainsi une plus grande liberté d’interprétation. « On a davantage l’occasion de jouer sur différentes tonalités, de contrefaire nos voix, et, en animation, le lipsing – mouvements de synchronisation des lèvres – étant moins précis la liberté est plus grande » note Sabrina.
Des voix pour donner à voir
Si les caractéristiques physiques du personnage constituent une base pour permettre au comédien d’en trouver la voix, il n’en est pas toujours ainsi. Dimitri et Bienvenue à bric à broc, séries d’animation produites et co-produites par Vivement Lundi, sont des projets qui ont pris naissance en Bretagne. Sabrina a participé à l’enregistrement de plusieurs voix témoins. « Une fois les scénarios écrits, les réalisateurs vont s’attaquer à la cinématique, et notamment aux mouvements de lèvres des personnages. Pour ce faire, ils ont besoin d’un pré-enregistrement des comédiens. Les metteurs en scène nous montrent les story-boards et nous donnent des indications très typées : lui c’est la canaille, celui-là c’est un grand timide etc. On est généralement trois ou quatre comédiens en studio, on se distribue les personnages de la série. Ce ne sont pas les voix définitives mais elles constituent une étape de travail importante pour caractériser le personnage. On cherche à le définir, à construire sa dynamique en suivant les indications qui nous ont été données. Mais c’est aussi l’occasion de tester des choses, de proposer d’autres interprétations… ». Partir de la voix pour créer le personnage, c’est l’exercice auquel s’est confronté Tangi Merien sur le doublage de Un homme est mort. « Lorsque nous avons reçu les textes, les personnages n’étaient pas encore dessinés. On nous a donné le contexte de l’histoire puis ça a été à nous de tout créer. Ensuite, les images se sont adaptées aux voix. » Une pratique que le comédien, voix de Désiré dans le film d’Olivier Cossu, juge plus complexe « car on ne peut pas s’appuyer sur ce que l’on voit ».
Et des doublages en breton
Armée d’un vélo bleu et d’un grand sourire, Azenor Kallag vient de décrocher sa licence en Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales. Difficile d’imaginer que dernière cette jeune bretonnante se cache la voix de Martin Matin, un garçonnet de 9 ans qui chaque matin se transforme en personnage légendaire. « Au départ, je voulais enseigner. Puis j’ai entendu parler d’une formation au doublage proposée par les studios Dizale. Leur intention était de recruter de nouvelles voix en langue bretonne. » Chaque matin, pendant une semaine, la rennaise suit des cours de théâtre sous la houlette de Nolwenn Korbell et s’initie au métier. Quelques mois plus tard elle est contactée par le directeur artistique de Dizale qui lui propose d’interpréter le rôle principal dans le dessin-animé Martin Matin. « Il s’agit d’un programme qui s’adresse aux enfants, je dois apporter de l’énergie sans pour autant perdre ma spontanéité, car quand une scène est surjouée, ça s’entend ! ». Rendre le script vivant, gérer la respiration, aux compétences traditionnellement requises, s’ajoute la gestion du débit. En effet, le taux de foisonnement étant sensiblement différent, les comédiens doubleurs bretonnants doivent parler plus vite. Pour prévenir tout risque de décalage, la jeune femme a trouvé l’astuce : « Si à la fin de la phrase, les lèvres du personnage bougent encore, on ajoute avat » – interjection bretonne – manière d’enrichir son vocabulaire et d’améliorer sa pratique linguistique, le doublage en breton représente surtout pour Azenor l’occasion de transmettre son amour de la langue.
En français ou en breton, le doublage demeure pour chacun et chacune une activité d’appoint. « Certes, la pratique occasionnelle est gage d’une certaine fraîcheur, d’une fébrilité nécessaire pour ne pas de tomber dans une pratique standardisée techniquement très en place mais qui génère peu d’émotion, reconnaît Philippe. Mais, c’est un secteur à développer : l’activité artistique est économiquement plus rentable que la production industrielle automobile ! » Constat partagé par Tangi qui espère bien, un jour ou l’autre, doubler Un homme est mort en breton. « À part quelques programmes spécifiques, il y a peu de chaînes bretonnantes donc je travaille surtout pour des festivals ou des sites internet comme Breizh Vod. C’est dommage parce que pour moi, à travers le doublage en breton, se joue aussi la question de la transmission. La langue est vivante et pour qu’elle le reste, elle doit aussi avoir sa place dans le circuit de production audiovisuelle. » Le jeune homme réfléchit un instant avant d’ajouter, une once de malice dans la voix. « Il m’est arrivé une fois de doubler, en breton, un film comportant plusieurs scènes de sexe : c’est bien la preuve que la langue bretonne n’est pas que l’apanage des ploucs ou des écoles Diwan, on peut aussi faire des dessins animés ou des films érotiques en Breton ! »
Elodie Gabillard
En savoir plus :
Agés d’une vingtaine d’années, les studios Dizale, fraichement installés dans le centre ville de Quimper ont formé une centaine d’acteurs au doublage. Tous les deux ans, des formations d’une semaine ouvrent leur portes à une quinzaine de stagiaires, formés par l’actrice bretonnante Nolwenn Korbell et Laors Skavenneg, directeur artistique. Parmi les dernières réalisations des studios Dizale, Le grand méchant Renard, Le chant de la mer ou encore La chouette entre veille et sommeil, visibles sur le site www.breizhvod.com, « premier site de vidéo à la demande en langue bretonne », créé par Dizale.