Le volet ‘’intermittence’’ de la convention d’assurance-chômage, qui sera renégociée cette année, fait déjà couler beaucoup d’encre. Jusqu’à la mi-février, la mission parlementaire sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques, présidée par le député UMP Christian Kert, auditionne à tour de bras. Elle rendra son rapport en mars prochain. Première étape d’un processus qui s’achèvera fin 2013.
Parmi les contributions présentées au Sénat, celle de Patrice Rabine, mérite une attention particulière tant elle prend à rebours certaines idées reçues. L’administrateur du Théâtre de la Folle Pensée de Saint-Brieuc s’attaque d’abord à ce refrain du déficit, entonné dans le rapport public annuel 2012 de la Cour des Comptes. L’institution constate : « Le régime des annexes 8 et 10 a continué de peser lourdement sur la situation financière de l’assurance chômage et leur déficit a représenté en 2010 un tiers de celui de l’assurance chômage dans son ensemble. »
Dans un chapitre baptisé ‘’Désintox’’, Patrice Rabine dénonce cette corrélation, preuves comptables à l’appui. En comparant le résultat net consolidé de l’Unédic et le résultat des annexes 8 et 10, sur une longue période, il parvient à des conclusions opposées : en 1996, 2000 ou encore 2008, l’Unédic était largement excédentaire (4,9 milliards d’euros pour 2008 !) alors que les annexes 8 et 10 présentaient un résultat déficitaire. Difficile, dans ce cas, de continuer à prétendre que c’est le régime de l’intermittence qui plombe l’assurance-chômage et qu’il a un lien de cause à effet entre les deux.
Mais alors d’où provient le déficit qui affecte périodiquement les comptes de l’Unédic ? Principalement, du PIB et du taux de chômage, donc de la conjoncture économique générale ! Patrice Rabine met en évidence cette autre corrélation. De 2002 à 2005, une première période de forte croissance du chômage a mis les comptes de l’assurance-chômage dans le rouge. C’est à cette époque qu’a eu lieu la première offensive contre les annexes 8 et 10. Depuis 2009, avec la crise financière mondiale, le chômage augmente à nouveau ainsi que le déficit de l‘Unédic. Or, l’Unédic a l’obligation de garantir l’équilibre du régime, dixit le Code du travail.
Anguille sous roche ?
Le rapport de Patrice Rabine pointe très clairement les défaillances des gestionnaires de l’assurance-chômage. Quand en 2000, les comptes redeviennent excédentaires, l’euphorie gagne l’Unédic et le Medef qui la préside, à tel point qu’ils évaluent à 18 milliards d’euros l’excédent budgétaire prévisionnel pour 2001-2003. Ils décident derechef d’une baisse des cotisations chômage qui va être prise à contre-pied par la crise économique. Et l’auteur de s’interroger : « Début 2003, la situation s’aggrave encore. L’Unédic, le Medef et la CFDT ont-ils choisi à ce moment-là d’allumer un contre-feu ? Ont-ils déclenché une offensive contre les annexes 8 et 10 pour ne pas avoir à reconnaître que l’Unédic n’avait pas anticipé le retournement de la conjoncture et que la baisse du taux d’appel des contributions constituait une erreur de gestion ? ». Conclusion qui remet les pendules à l’heure : le déficit global actuel de l’Unédic vient du seul fait que le taux d’appel des cotisations est trop bas, donc d’une mauvaise anticipation de la conjoncture économique par ses gestionnaires.
Patrice Rabine remet aussi en question le périmètre de calcul de ce déficit. Pourquoi isole-t-on toujours les intermittents du reste des professionnels du spectacle ? Y aurait-il, là encore, anguille sous roche ? Intermittents et permanents cotisent pourtant à la même caisse. Et ces derniers, salariés en CDI ou CDD, sont trois fois plus nombreux. « Depuis 2003, nous ne parvenons pas à obtenir de l’Unédic le résultat analytique, non pas des annexes 8 et 10 considérées de manière isolée, mais du rapprochement entre cotisations et allocations pour l’ensemble du secteur du spectacle, intermittents et permanents. Peut-être le Sénat y parviendra-t-il ? ». On ne peut que l’espérer.
L’administrateur du Théâtre de la Folle Pensée rappelle que les arts et la culture génèrent autant de richesses que les plus gros secteurs industriels. Dans son »Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », réalisé à la demande du gouvernement, Louis Gallois cite l’industrie culturelle, comme l’un des pôles d’excellence mondiaux que compte l’Hexagone. « Les industries culturelles et créatives françaises pourront-elles rester pôle d’excellence mondial sans les artistes et techniciens intermittents du spectacle ? », interroge Patrice Rabine. Et il enfonce le clou en relevant le dynamisme du secteur du spectacle qui crée des emplois et attire de plus en plus de public.
Autre antienne rabâchée : l’accusation de « fraude massive », argument massue repris par certains médias. Or, souligne Patrice Rabine, le système de double contrôle se basant sur les déclarations des intermittents et de leurs employeurs est efficace, ce que même la Cour des Comptes reconnaît : les préjudices financiers, mis en évidence par le service »Prévention et lutte contre la fraude » créé par Pôle-Emploi en 2009 « restent […] marginaux au regard du total des dépenses du régime des annexes 8 et 10 ». Et pourtant, cette même institution continue à porter le fer contre cette prétendue « inertie face aux abus et aux fraudes ».
La deuxième partie de cette contribution comprend d’intéressantes propositions. Elles s’appuient, pour partie, sur le remarquable travail d’expertise effectué par la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France. La CIP-IDF préconise un nouveau modèle : annexe unique, retour de la date-anniversaire (507 heures en 12 mois), un calcul de l’indemnité journalière qui réduit l’écart entre les faibles et les fortes allocations, un plafond de cumul mensuel salaires+allocations. Un modèle désormais soutenu par la plupart des organisations qui se sont opposées aux réformes de 2003 et 2006.
Nathalie Marcault, réalisatrice et intermittente du spectacle.
A regarder dans « En savoir + » l’intéressante audition de Mathieu Grégoire, maître de conférence en sociologie à l’Université de Picardie. Il travaille actuellement sur une comparaison des conditions salariales des travailleurs du spectacle en Europe.