David et David sont dans un studio…


uand on parle marionnette à Rennes, un prénom surgit, ou plutôt deux, mais c’est le même : David est le spécialiste de l’armature et se nomme Thomasse ; David officie plutôt dans le modelage et porte le nom de Roussel. Les David ont mis au monde les marionnettes de nombreuses productions de stop motion, en Bretagne et ailleurs, et ont contribué à la reconnaissance de la filière.

– Vous n’êtes pas un peu grands pour jouer à la poupée ?

– David Thomasse : Cela peut paraître étrange à certains, mais créer ces petits bonshommes est un vrai métier où il faut faire preuve de rigueur et de sérieux. Les marionnettes sont un outil pour exprimer des sentiments, des idées en direction du spectateur. Quand on les voit prendre vie sur un écran, c’est comme si elles étaient en chair et en os. Elles sont un peu comme nos enfants. On est ému.

– David Roussel : Pour moi, la marionnette est surtout la rencontre avec un imaginaire et son auteur. Il est très important de bien servir les propos d’un film à travers les expressions et la subtilité des personnages. Passer des heures à concevoir, modeler, poncer, pour, au final, voir un personnage se lever, marcher, pleurer et parfois même mourir, c’est prenant. J’ai presque le trac pour elle.

– Vous travaillez toujours en binôme ?

– D.T. : Il y a une véritable équipe autour de nous, dont la taille dépend des spécificités du projet et, bien sûr, de son budget. Une bonne dizaine de techniciens apportent leur pierre à l’édifice, de l’armature à la peinture en passant par les costumes. C’est un travail où il faut être bricoleur, curieux, inventif avec un fort penchant artistique.

– D.R. : Nous ne nous considérons aucunement comme les « chefs », mais il faut reconnaître que l’expérience d’ensemble de David lui permet souvent d’encadrer l’équipe. Sa double casquette d’animateur nous est d’un grand secours pour anticiper certains problèmes.

– Comment se passe le travail avec les réalisateurs ?

– D.T. : Le story-board est l’étape cruciale où l’on va discuter de ce que doit faire la marionnette : courir, sauter, voler, etc. C’est également le moment où l’on détermine les expressions qui seront nécessaires au personnage pour véhiculer des émotions ou pour parler. La durée du film est à prendre en compte. La robustesse demandée à une marionnette, son usure, ne seront pas les mêmes d’un court-métrage à une série. Nous travaillons avec toutes sortes de matériaux : acier, laiton, résine, mousse de latex, silicone. Difficile d’échapper aux matériaux de synthèse toxiques !

– D.R. : On doit souvent re-designer un peu les personnages en fonction des contraintes techniques. Parmi les réalisateurs, le spectre est large. Nous avons dû parfois nous contenter de croquis griffonnés à la hâte sur un coin de feuille… A l’opposé, certains, comme Agnès Lecreux pour Dimitri, nous ont fourni des modèles en volume presque opérationnels. Le budget disponible est un premier filtre. La grande difficulté reste le temps alloué à la fabrication, souvent trop juste,

– Y-a-t-il des marionnettes qui vous ont marqués ?

– D.R : Celles du film Le pont de Vincent Bierrewaerts car c’était la première fois que je faisais presque entièrement le design des personnages. La marionnette du Petit dragon de Bruno Collet est également une de mes préférées. Il y avait un vrai challenge pour obtenir le rendu de jouet que Bruno désirait.

– D.T : Depuis toutes ces années, nous avons fabriqué pas loin de 200 marionnettes. Des hommes, des femmes, des enfants mais aussi des chiens, des poules, des insectes, des hippopotames, des bestioles bizarres. La plus petite était certainement une fourmi de 4 cm et la plus grande, une girafe d’un mètre environ. Pas facile d’en choisir une, mais je dirais celle de Oh Willy d’Emma de Swaef et Marc James Roels. La structure d’un personnage aussi rondouillard n’était pas facile à mettre au point. Le matériau utilisé, la feutrine, n’était pas évident non plus, mais le résultat est vraiment très beau.

– D.R : C’est vraiment la variété des designs qui apparaissent à chaque nouveau projet qui me plait. Même si les phases de travail restent à peu près les mêmes, cette richesse rompt toute monotonie. On aime chercher et trouver la solution.

– D.T : Les marionnettes tchèques de Trnka et Pojar m’ont beaucoup marqué. Il y a bien sûr celles des ateliers Mackinnon & Saunders en Grande-Bretagne et aussi celles de Jim Henson.

– Voyez-vous une évolution de la marionnette en stop-motion ?

– D.R. : Je la trouve de plus en plus sophistiquée techniquement mais aussi plus « graphique ». On est sorti de la poupée classique
Qu’il s’agisse de films comme Les Noces Funèbres de Tim Burton, où l’on ne sait plus s’il s’agit de volume ou de 3D, ou d’autres comme Les escargots de Joseph de Sophie Roze, où, au contraire, la matière est assumée, les directions esthétiques sont plus précises. De nouveaux matériaux apparaissent. L’impression 3D est arrivée, qui permet plus d’expressions. Le tracking pour incruster des visages ou des yeux par la suite est parfois utilisé comme dans Tempête dans une chambre à coucher de Laurence Arcadias et Juliette Marchand.

– D.T. : Nous devons nous adapter en permanence. C’était déjà le cas lors du passage au numérique. D’un seul coup, les animateurs pouvaient faire tenir leurs marionnette grâce à des « rigs », des tiges que l’on gommait en post-production. Il nous a fallu alors mettre au point des points de fixation, les cacher. Mais même si on peut prédire une sophistication dans les matériaux et les mécaniques, n’oublions pas que la marionnette est là pour servir un propos, une idée de réalisation, un univers.

– Cette année, le focus est mis sur la stop-motion au Festival d’Annecy, heureux ?

– D.T. : La stop-motion n’est pas morte ! La rumeur a souvent couru. Mais c’est une technique qui a su s’adapter.

– D.R. : Avec la sélection de films bretons comme  »La petite casserole d’Anatole » et  »Dimitri », c’est un peu nos marionnettes qui vont nous représenter et rendre notre travail visible. Nous en sommes très fiers.

Propos recueillis par Gilles Coirier

Photo de Une : David Thomasse (à gauche) et David Roussel
Crédits photographiques © JPL Films / Vivement Lundi !