Culture et économie, un mariage pour tous


Eco-culture - Frouil © YLM Picture
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La 17ème édition des Rencontres de Films en Bretagne s’est tenue du 5 au 6 octobre au Centre des congrès et au cinéma Arletty de Saint-Quay-Portrieux. C’est sous un soleil radieux, et dans un décor naturellement somptueux, que les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel de France, mais aussi de Belgique et d’Italie, se sont retrouvés pour prendre des nouvelles, et en donner. Un rendez-vous entendu et construit comme un point d’étape, où les réflexions collectives se nourrissent des initiatives individuelles pour penser ensemble des projets ambitieux et ancrés dans leur temps… Un rendez-vous traditionnellement suivis d’articles rendant compte de l’événement dont voici le 3è opus.

Alors que Loïg Chesnais-Girard, Président du conseil régional de Bretagne, prononçait la veille un discours des plus encourageant quant à l’engagement de la Région en faveur d’un développement de la filière professionnelle qui dépasserait les frontières nationales pour gagner l’Europe et l’international, le Centre de Congrès de Saint-Quay-Portrieux accueillait une table ronde en forme d’étude de cas, et qui réunissait les témoins d’un mariage réussi entre l’économie et la culture dans l’audiovisuel, dans la région Frioul-Vénétie-Julienne : Paolo Vidali, fondateur et responsable du Fonds régional de soutien à l’audiovisuel de cette région du nord-est italien, Erica Barbiani, romancière et productrice, et Nicoletta Romeo, codirectrice du festival de Trieste et productrice.

Une expérience qui pourrait servir d’exemple aux professionnels de la région et de modèle aux politiques afin, comme le proposait Colette Quesson – productrice (A perte de vue) et modératrice de ces échanges – « d’aborder différemment le développement de la filière et d’imaginer de nouveaux dispositifs alliant intérêts culturels et économiques ». Et force est de constater que ce n’est pas encore une caractéristique de notre « esprit français » en matière culturelle, lequel traite souvent de culture et d’économie en les maintenant chacune dans sa propre zone d’influence.

Paolo Vidali © YLM Picture
Paolo Vidali © YLM Picture

C’est d’abord Paolo Vidali qui prenait la parole pour remonter le fil d’une belle histoire.
Il était une fois la petite région du Frioul-Vénétie-Julienne (1), longtemps située à la périphérie de l’occident, qui partage ses frontières avec la Slovénie et l’Autriche. Il y a 25 ans, les cartes géopolitiques sont rebattues, et elle devient le centre géographique de la nouvelle Europe. La région compte quatre langues officielles dont trois sont aussi reconnues comme officielles en Italie : l’italien bien sûr, le frioulan, et le slovène (pas l’allemand). « Cette situation linguistique et géographique a créé les conditions de l’autonomie de la Région, à l’instar de la Vallée d’Aoste, du Trentin Haut Adige, de la Sardaigne et de la Sicile. Ces Régions bénéficient d’un statut spécial en Italie, qui leur octroie plus de liberté d’initiative et de prérogatives dans certains domaines, dont celui de la création audiovisuelle depuis 2000, une compétence qu’elle partage dorénavant avec l’Etat central », raconte Paolo Vidali. « C’est ce terreau qui a permis la création d’une entité comme la nôtre. »

2000 : la Région Frioul-Vénétie-Julienne crée aussitôt une commission du film basée à Trieste, sa capitale. Elle a vocation à soutenir les productions qui viennent tourner dans la région et se traduit par une compensation des sommes investies sur le territoire, à raison de 50 à 100% et de 200 000 euros maximum par projet aidé.

Cependant, Paolo Vidali et ses collaborateurs ne tardent pas à s’apercevoir que le système présente des limites du point de vue des retombées pour les professionnels de la région et pour leur croissance : « Les productions arrivaient avec leur matériel, en ayant déjà constitué leurs équipes, ce qui ne permettait pas le développement de nos entreprises audiovisuelles. D’une certaine façon, on peut dire que ce soutien de la commission n’était utile « qu’à » la promotion de notre territoire. » 
C’est ainsi que naît le fonds régional audiovisuel, il y a dix ans, une structure indépendante de la commission du film, même si les échanges entre les deux entités sont constants – « une séparation qui est une particularité de la Région », souligne Paolo Vidali. Le fonds dépend du conseil régional pour les activités de production, et non pour celles de la culture, ce qui dit beaucoup du cadre dans lequel ce fonds s’inscrit.

Avant sa mise en place, il a fallu analyser la situation : en termes de forces, de faiblesses, d’opportunités et de menaces, en se situant toujours à l’échelle du territoire pour commencer, en tenant compte de ses spécificités, et tout en considérant également une possible ouverture à l’international. Cette analyse a révélé combien « le rapport entre auteur et producteur est particulièrement difficile en Italie, et la plupart des problèmes viennent de cette relation conflictuelle. » Paolo Vidali souligne « qu’aucun projet ne saurait aboutir sans cette collaboration ! Le fonds est aussi né de cette conviction qu’il fallait aider et renforcer la figure du producteur, la plus fragile dans la filière en Italie. C’est pourquoi le financement du fonds provient du département des activités productives et pas des affaires culturelles. Nous voulions souligner l’importance de la production dans la création audiovisuelle. »… 
Puis il a fallu convaincre les politiques : « Un des secrets de la réussite de notre fonds, c’est que les politiques n’ont pas très bien compris de quoi il s’agissait. Ils sont intéressés par un retour sur investissement rapide et par la création d’emplois nombreux et pérennes, alors que dans la production audiovisuelle, les chiffres sont petits. Nous avons mis en avant que le nombre de personnes impliquées est en augmentation constante dans l’audiovisuel, contrairement à d’autres secteurs d’activité. Il faut toujours des gens pour faire des films !  »

Une fois le fonds créé et ses règles de fonctionnement établies sur le modèle de Creative media – ce afin de ne pas perdre les producteurs dans les méandres de procédures par trop dissemblables en fonction des guichets –, il entend aider la filière sur trois plans différents : le développement, la distribution et la formation. 
Paolo Vidali détaille chacun de ces plans : « le développement comprend chaque étape de la création, de l’idée à la pré-production, et il inclut toutes les catégories de production ; il peut monter jusqu’à 50% des coûts prévus pour le développement pour la fiction. La distribution, c’est tout ce qui concerne en réalité la production, à laquelle nous avons choisi d’ajouter une obligation de contrat avec un distributeur, ce pour nous assurer que le projet que nous choisissons d’aider puisse être un jour visible (2) . Ce financement peut aller de 15% pour la fiction, à 30% pour le documentaire et l’animation, et à 50% pour les courts-métrages. L’enveloppe allouée par projet est de 130 000 euros maximum. La formation, enfin, a pour but de donner la possibilité aux professionnels d’améliorer leurs compétences, et de leur donner une nouvelle opportunité de créer des réseaux internationaux qui peuvent aboutir à des coproductions. » Il est à préciser que ce fonds régional ne propose ni ne gère aucune formation, c’est aux intéressés de trouver la formation, le stage ou l’accompagnement qui leur convient. Il est le seul de ces trois niveaux d’aide à s’adresser aux personnes physiques – sous la forme d’une bourse pouvant couvrir jusqu’à 90% des frais – en plus de s’adresser aux sociétés, et l’aide peut atteindre dans ce cas 50% du coût de la formation. L’enveloppe formation contient au plus 20 000 euros.

Paolo Vidali explique les choix que lui et ses collaborateurs ont effectués dans la typologie du financement qu’ils proposent : « nous n’avons pas, comme d’autres, opté pour une récupération de notre investissement, ni n’avons voulu entrer en coproduction en échange de notre participation. »
Il est à noter qu’un même projet peut bénéficier de l’ensemble des possibilités de financement du fonds et de la commission du film. On peut également préciser qu’une société de production peut soumettre jusqu’à trois projets lors d’un même appel à candidatures.

Les initiateurs de ce fonds ont, bien sûr, dû établir les conditions de son efficacité en créant certaines contraintes pour les demandeurs. Nous avons évoqué l’obligation d’inclure la distribution assez tôt dans le projet. Il s’agit aussi, par exemple, de s’assurer que le rôle du fonds ne soit pas celui de simple financeur d’une opération : ainsi, en cas de demande extérieure au territoire, le producteur est tenu de réaliser le projet grâce à la participation significative des professionnels de la région. Car « c’est tout le sens de ce fonds de permettre le développement culturel et économique au niveau régional », poursuit Paolo Vidali. « Nous avons la conviction qu’un produit audiovisuel n’est pas un produit culturel comme les autres, parce qu’il a besoin d’une structure pour exister. Rappelons que dans notre région, les talents existaient avant le fonds, mais les entreprises de production audiovisuelle, elles, n’existaient pour ainsi dire pas, et aucun produit audiovisuel ne sortait du territoire régional. Par la suite, nombreux sont les films qui ont passé nos frontières et nombreux ceux qui ont remporté des prix à l’international. »

Comment ça marche ?

Chaque année, un à trois appels à candidatures sont lancés, qui réunissent toujours les trois typologies susmentionnées, sans aucune division – entre elles et en amont – de l’enveloppe d’un million par an – régionale exclusivement – qu’un comité de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel décide d’attribuer (3). Ce sont les projets les plus originaux qui l’emporteront, mais les critères de fiabilité de l’entreprise qui présente le dossier et celui de la faisabilité du film sont primordiaux. Le potentiel commercial du projet n’entre pas en ligne de compte dans la sélection. Le comité doit par ailleurs évaluer si les hypothèses de coproduction pour un projet éligible à la phase « développement » sont réalistes, tandis que les accords doivent déjà être établis s’il y a coproduction en phase « distribution ».
Si l’enveloppe prévue pour l’année ne permet pas de financer un projet retenu, celui-ci pourra recevoir le financement accordé l’année d’après. Au contraire, si l’enveloppe n’est pas épuisée une année, le montant restant n’est pas officiellement reporté, mais des arrangements informels existent.

Nicoletta-Romeo © Trieste Film Festival
Nicoletta Romeo © Trieste Film Festival

Nicoletta Romeo apportait une contribution vidéo enthousiaste à ces échanges, en témoignant des multiples vertus d’un écosystème régional créé par une politique qui a irradié sur toute la région et dont elle a bénéficié en tant que productrice, et en tant que codirectrice du Festival de Trieste. « La région Frioul-Vénétie-Julienne est historiquement une terre de cinéma. Grâce à la prise en compte par les politiques de ses atouts sur tous les plans, elle a pu développer des compétences précises et créer des professions qui essaiment aujourd’hui sur tout le territoire et font que des entreprises de toute la chaîne audiovisuelle y sont implantées. C’est sur ce terreau extrêmement fertile que sont nés la Commission du film et le Fonds régional de soutien. Nous possédons désormais un vrai système qui aide concrètement à faire et à promouvoir un cinéma à la fois très enraciné dans son territoire et en recherche de collaborations extérieures. Il est presque devenu un modèle en Italie, développé dans plusieurs directions : l’évènementiel, le marché, le fonds, la production, la distribution, la conservation. »

En ce qui concerne son métier de productrice, Nicoletta Romeo témoigne de ce que les différents types de soutiens régionaux et internationaux, mis en place à l’initiative de la région Frioul-Vénétie-Julienne, sont rapidement devenus déterminants dans la structuration de la filière et son développement au niveau local, national et européen. Son dernier documentaire, L’Ultima Spiaggia, de Davide Del Degan et Thanos Anastopoulos, a obtenu le fonds de soutien régional puis celui de la commission du film avant de gagner le niveau national avec la participation de la Rai Cinema. Le film a quitté l’Italie et tourné en Europe, avec un certain succès. « Il vaut mieux partir d’où l’on est et progresser ensuite selon un parcours ascendant : cela rassure les investisseurs sur la crédibilité du projet », conseille-t-elle.
Elle évoque ensuite le REACT, un programme transfrontalier et régional créé en 2015 par le fonds audiovisuel et qui consiste en un accord avec La Croatie et la Slovénie permettant de développer ensemble des projets audiovisuels. « C’est une stratégie unique », raconte-t-elle, « qui part du territoire pour établir des relations internationales avec nos partenaires naturels ! »
C’est un peu le chemin qu’elle choisit d’emprunter, du micro au macro, en tant que codirectrice du Festival de Trieste cette fois. Elle organise un forum de coproduction internationale grâce au fonds de soutien régional, le When East Meets West : « l’un des meilleurs marchés du film en Italie et dans la région au sens large, géographique du terme. Il permet aux professionnels de l’Est et de l’Ouest de se rencontrer et d’enrichir leurs réseaux et leurs collaborations. Ce forum ne pourrait pas exister ailleurs, » ajoute-t-elle.

Erica Barbiani © YLM Picture
Erica Barbiani © YLM Picture

Erica Barbiani abonde dans le sens de Nicoletta Romeo au sujet de cette relation à la fois nécessaire et porteuse des professionnels de l’audiovisuel avec ces fonds de soutien et plus généralement des politiques en place dans leur région. Des stratégies politiques qu’elle qualifie de « justes et basées sur le mérite », et dont, en tant que productrice, elle estime être le fruit. « Avant la création du fonds, je ne produisais que de petites vidéos ethnographiques alors qu’aujourd’hui je produis un film avec un réalisateur slovaque en coproduction avec la Slovénie, l’Autriche et la République Tchèque ! » En 2010, elle participe à Eurodoc avec un projet, dont l’idée s’ancrait dans un petit village de la région Frioul-Vénétie-Julienne. Pour ce projet, elle a d’abord obtenu le fonds pour le développement, puis le soutien à la formation, avant de remporter celui de Creative Media, grâce à Eurodoc. « Dans le schéma triangulaire qui structure le fonds de soutien régional, chaque niveau apporte de la force à l’autre », témoigne-t-elle. C’est encore grâce à Eurodoc qu’elle tisse des liens avec des diffuseurs, dont Arte France.

Erica Barbiani rappelle que « le risque d’un fonds régional est celui de l’autarcie », mais le fait que le fonds de soutien du Frioul permette de se confronter au marché international est un garant d’ouverture pour les professionnels, qui apprennent à reconnaître quelles histoires locales sont susceptibles d’être exportées à l’étranger et qui, forts de ce soutien, deviennent plus attractifs pour des producteurs et autres collaborateurs étrangers. « Les contraintes de ce système me permettent d’être plus créative en tant que productrice. »

En parlant de la relation vertueuse de cette politique avec les professionnels, Erica précise qu’elle ne s’interrompt pas au seul résultat d’un appel à projets, mais qu’il s’agit « d’une confrontation constante et de la possibilité d’une consultation quasi permanente ». Car Paolo Vidali et ses collaborateurs sont très présents sur le marché international et associe continuellement les professionnels de la région qu’en quelque sorte ils représentent. « À une époque où j’écrivais surtout, j’ai pu consulter Paolo pour savoir comment utiliser mes compétences dans la production. Il m’a alors conseillée de suivre la formation de script-doctoring au Torino Film Lab ; cette nouvelle activité me permet de travailler pour les producteurs de ma région et participe à rendre nos projets plus forts. » Ces deux formations suivies par Erica ne nourrissent donc pas seulement sa carrière professionnelle, mais servent aussi à renforcer la filière régionale. Le pitching organisé à Trieste dans le cadre du When East Meets West participe également du rayonnement du fonds et des professionnels de la région, sans bouger de chez soi.

C’est encore une fois tout l’équilibre de cet écosystème de développer ses activités locales, de renforcer son marché intérieur et les professionnels qui innervent son territoire, jusqu’à faire venir à lui l’étranger, et d’engager un mouvement de va-et-vient permanent avec cet étranger. Un projet solide et galvanisant. Ne reste plus qu’à nous en inspirer !

Gaell B. Lerays

(1) Région à laquelle Venise n’appartient pas.

(2) Un contrat signé avec un distributeur doit être produit par la production qui dépose la demande et qui doit attester d’une participation de 10% du budget total de production, avec des variantes en cas de coproduction.

(3) Ce comité est constitué de Paolo Vidali lui-même, d’un président qui est un producteur d’une autre région que celle du fonds, d’un représentant de l’Université diplômé en cinéma, d’un représentant de la filière qui appartient à la minorité linguistique slovène, et un autre professionnel de la production audiovisuelle également étranger à la région. Le comité est réuni pour 5 ans.


Un Point sur l’Aide aux Cinémas du Monde du CNC

Joséphine Vinet, en charge de la coproduction internationale et de la distribution au sein du programme Aide aux Cinémas du Monde du CNC, concluait cette table ronde avec, dans son panier, ce que l’ACM a permis de récolter pour la France et ses partenaires, à l’étranger, et ce depuis sa création en 2012, en lieu et place du Fonds Sud.

Elle rappelait les trois objectifs principaux de ce fonds ouvert à tous les pays sans distinction, et qui consacre la moitié de son budget à des premières et deuxièmes œuvres, signe de sa préoccupation à soutenir la jeune création.

Ces objectifs sont donc : de créer des emplois en France en attirant des productions étrangères sur le territoire ; de défendre la diversité culturelle en suivant pour cela les préconisations de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005) ; de travailler au rayonnement de la France à l’international dans le secteur cinématographique, grâce à des films tournés à l’étranger, en langue étrangère, mais qui sont labellisés français et circulent dans les festivals internationaux.

En cinq années d’existence, il semble bien que le fonds ait atteint ces objectifs. L’ACM a soutenu 271 projets sur 1 800 déposés et les films aidés sont plus nombreux chaque année à être sélectionnés dans les plus grands festivals (Berlin, Venise, Cannes…). Ainsi, cette année, pas moins de 22 longs-métrages sur les 80 en lices pour l’Oscar du meilleur film étranger sont des coproductions avec la France ! Pour Joséphine Vinet, si ces coproductions fonctionnent, « c’est qu’il y a une volonté mutuelle et un principe de réciprocité respecté de la part des institutions en charge du cinéma dans les deux pays. »

À noter qu’outre cette subvention – dont 50% doit être dépensée en France –, le CNC a mis en place des accords bilatéraux avec des pays avec lesquels la France a des affinités particulières (Allemagne, Italie, Maghreb plus récemment) et des actions avec et en direction de partenaires étrangers (comme des ateliers de coproduction quatre fois par an). Le CNC vient par ailleurs de signer une première convention de jumelage avec la SODEC au Québec (la Société de Développement des Entreprises Culturelles), et qui intègre l’Aquitaine.