Rencontre avec le réalisateur d’un des courts métrages français les plus primés depuis le mois de janvier.

Quand on lui demande ce qu’il pense du succès de La Carte, son dernier court métrage, Stéfan Le Lay répond qu’il est heureux, bien sûr, surpris également mais ne s’étend pas plus. Par modestie sans doute, mais aussi parce que cette réalisation n ‘est pas au centre de ses préoccupations, de sa démarche artistique. Comme pour Le Baiser, La Carte a été écrit, dit-il, « pour marquer une respiration, une pause ». Couché sur papier le même soir que Le Baiser, en moins de 30 minutes, cette envie d’écrire une histoire légère, drôle émanait d’un besoin de compenser un travail jusque là marqué d’une ombre quelque peu macabre. Ces précédentes réalisations, La Vieille dame et l’Ankou, Mon papa à moi, avaient pour figure principale la Mort et en parlaient avec un mélange de cynisme, de poésie et de surréalisme. L’attrait du cinéaste pour ces personnages fantomatiques n’est pas à rapprocher d’un éventuel caractère morbide. Bien au contraire ! Stéfan Le Lay explique que son enfance a été baignée par ces rituels liés à la mort, profondément ancrés dans la culture bretonne, une culture qui aime mélanger le réel et l’invisible, le fantastique. C’est ce décalage avec la réalité que Stéfan Le Lay aime traiter dans son travail, « montrer quelque chose de faux avec réalisme ».

Un exercice d’illusionniste que seul le cinéma pouvait satisfaire. C’est pour cette raison qu’après son bac au début des années 1980, il entame des études de cinéma à Paris 8 (Vincennes Saint-Denis). Il en sortira avec une licence en poche, une passion pour Hitchcock, Dreyer, Delvaux, Bunuel, Mélies et Burton. Mais Stéfan Le Lay n’est pas du genre à attendre passivement que les choses se passent, assis sur les bancs de la fac qu’il ne fréquente pas de manière assidue. Il forme une bande de copains, tous étudiants à Paris 8, dont font partie entre autres Hugues Martin (réalisateur), Pierre Desheraud (aujourd’hui responsable de l’accueil des tournages dans le Limousin), Christian Wolber (futur chef opérateur du Baiser et de La Carte), Jérôme Yermia (réalisateur). Ensemble, ils passent à l’action, « empruntent » pour le week end les caméras Super8 et 16mm de la section cinéma de la fac, se font embaucher sur les plateaux de tournage qu’ils considèrent comme « la meilleur école de cinéma car c’est ainsi que nous avons compris ce qu ‘était un cadre, un plan, un scénario. Ce qui est primordial c’est d’apprendre en faisant ».

L’action plutôt que les discours. Il enchaîne les réalisations mais se sent à l’étroit aux côtés des producteurs qui lui mettent le pied à l’étrier : Perla Films pour Les Lacets (1996), Palm Productions pour La Vieille dame et l’Ankou (1998), Paris-Brest Production pour Mon papa à moi (2003). Il décide alors de créer sa propre boîte de production, Les Films du Varech, un clin d’œil à Johnny Varech, un surnom de rockeur qu’il s’était donné dans son premier film La complainte du matelas idéal, « une société pas en odeur de sainteté » ironise t-il. La première réalisation signé Films du Varech sera Le Baiser. « Je retrouve ainsi le côté artisan, libre, dans la forme comme dans le propos, la légèreté et l’indépendance de mes débuts quand justement j’avais auto-produit mon tout premier court métrage La complainte du matelas idéal (1992) ». Désir de liberté, de légèreté. Les trames du Baiser et de La Carte sont écrites sur un bout de table, lors d’un dîner entre copains, le même soir. Le Baiser est tourné en deux jours, dans le jardin avec les moyens du bord, le montage sur l’ordinateur du salon. Budget total du baiser : 5000€ ! Résultat des courses : plus de 200 sélections dans les festivals et une petite vingtaine de récompenses !

S’il faut attendre quatre ans pour que Stéfan Le Lay tourne enfin La Carte, c’est parce qu’il ne devait pas, à l’origine, en être le réalisateur. Il avait confié le projet à son ami Hugues Martin, lequel a finalement renoncé à le tourner (Hugues Martin vient d’ailleurs de terminer son premier long métrage, Djinns, dont la sortie nationale est prévue le 11 août prochain). Un contre temps heureux, dirons-nous, car Stéfan Le Lay nous offre un petit bijou de court métrage, hommage discret à Jacques Tati de par son décor et le travail sonore. « Le tournage a été super mais la post prod un vrai calvaire : quatre mois et une équipe de sept personnes pour les effets spéciaux. Plus jamais ça ! ». Faut-il croire ces paroles, lui qui jurait ne plus vouloir tourner de court après Mon papa à moi ? Toujours est-il qu’il se lance dans la réalisation de deux longs métrages. Le premier, Survie, co-produit par Quasar Film, raconte l’histoire d’une famille (le père, la mère et leur enfant) coincée en mer sur un radeau. Un seul décor, une équipe technique idéale car réduite au minimum, trois acteurs dont une tête d’affiche pour le rôle féminin mais dont il tait le nom pour l’instant « car rien n’est encore signé ». Le tournage devrait débuter en octobre. La seconde fiction, Gardien (titre provisoire), n’est pour l’instant qu’au stade de l’écriture mais nous savons déjà qu’elle racontera l’histoire d’un gardien de phare qui s’invente une femme imaginaire avec qui il aura des enfants également imaginaires. Stéfan Le Lay aime ces sujets qu’il qualifie d’un peu « bizarres, tordus, surréalistes, qui posent l’impossible comme normal ». C’est pourquoi, quand on lui demande quel film l’a le plus marqué ces derniers temps, il cite le film Les Revenants (2003) de Robin Campillo. « Le traitement de l’histoire est formidable car décalé. Il évite le genre « film de zombie », c’est un sujet fantastique abordé sous un angle complètement réaliste ».

Il se frotte aussi à un nouveau genre, celui du film social légèrement décalé, tourné caméra à l’épaule ; un projet initié par la société marseillaise Tita Productions et qu’il partage avec le réalisateur Gaël Naizet et l’écrivain Gérard Alle. Sorte de touche à tout solitaire qui se définit volontiers comme « breton et cinéaste mais sûrement pas cinéaste breton », Stefan Le Lay a le vent en poupe. Avec 26 prix et 3 mentions, La Carte dépasse déjà le palmarès du Baiser et compte à ce jour 60 sélections en festivals. Les films du Varech, un parfum de succès !

Nicolas Le Gac

La Carte sera présenté au Festival de Cinéma de Douarnenez dans le cadre du Grand Cru Bretagne 2010 et au festival CourtMétrange de Rennes.